LGBTQIA+ en milieu rural : iels racontent

Elian Barascud Publié le 25 décembre 2024 à 18:18
Première marché des Fiertés LGBTQIA+ organisée au Vigan, le 22 juin 2024. Crédit photo : Mathieu Le Coz/Hans Lucas

Le 22 juin a eu lieu la première marche des Fiertés du Vigan, dans les Cévennes. Dans une ville de quatre mille habitant.es, un demi-millier de personnes a manifesté au son d’une batucada pour pointer du doigt les problématiques que les personnes LGBTQIA+ rencontrent en milieu rural : manque de représentation, de lieu pour se rencontrer, d’accès aux soins… Le Poing a discuté avec quelques manifestant.es, qui ont accepté de livrer leur témoignage et de parler de leurs revendications

Article initialement paru dans le journal papier numéro 42 du Poing, sur le thème “LGBT, services publics, vote RN : les campagnes montent au front”, publié en septembre 2024 et toujours disponible sur notre boutique en ligne

Lud : “Se construire sans représentations”

“Organiser une Pride ici, ça comporte des difficultés liées à la ruralité : on n’a pas beaucoup d’espaces pour se retrouver entre nous. Quand on se construit comme personne LGBTQIA+ à la campagne, on se construit sans représentations ni personnes avec qui échanger. Il y a sans doute plus d’homophobie que dans les centres urbains. Certain.es ne font pas leur coming-out à cause de l’homophobie qu’ils vivent au quotidien. Et il y a moins d’anonymat ici que dans les grands centres urbains. À Montpellier, je peux passer inaperçu dans la rue avec du maquillage sur les yeux, ici, je mets un pantalon rose, tout le monde va me regarder. Et puis ce qui pose problème dans la ruralité, c’est l’accès aux soins. J’ai grandi en Lozère, c’était impossible d’avoir des distributeurs de capotes au lycée ou des tests de dépistages gratuits et anonymes. Ici non plus, il n’y a pas d’antenne du planning familial, et c’est dur de trouver un médecin. Cela pose problème pour les dépistages ou demander la PrEP [NDLR : un traitement préventif contre le VIH]. Aujourd’hui, on est aussi là pour demander la réouverture de la maternité de Ganges, qui a fermé en décembre 2022, et qui pratiquait l’IVG.”

Romane : “Un manque d’informations sur la transidentité”

“J’ai grandi dans un petit village de Provence où il n’y a rien, et absolument pas de représentation LGBT, pas d’associations, pas d’informations sur ce qu’est la transidentité, et je n’étais pas consciente que d’autres gens pouvaient vivre la même problématique que moi. J’ai eu accès à ces informations via Instagram, et aujourd’hui je fuis mon village, je ne m’y sens pas à l’aise. Si je veux porter une jupe, je me sens plus safe à Montpellier par exemple. Et c’est aussi plus simple pour trouver un médecin transfriendly, parce qu’à la campagne, c’est la galère pour avoir accès à des traitements hormonaux, on est obligé de se déplacer en ville, et ça coûte cher en transports. Heureusement, on peut en avoir avec une consultation en visioconférence. Aujourd’hui, je suis là pour demander la déjudiciarisation de la procédure de changement de genre sur l’état-civil, on ne devrait pas avoir à passer au tribunal pour ça, voire carrément la suppression de la notion de genre sur nos papiers. Et aussi l’arrêt de la psychiatrisation des transitions de genre.”

Aquarii : “J’essaime une scène drag au Vigan”

“Avant, j’étais un gay de droite, j’étais contre les hommes qui se maquillent. Je pense que ça vient du milieu rural et agricole dans lequel j’ai grandi. J’ai découvert ça dans le camping où je bossais, il y avait des transformistes qui faisaient des animations. J’y ai pris goût, puis je me suis déconstruit en participant à des shows drag en ville. Quand j’ai commencé, on me disait que je ramenais l’idéologie LGBTQIA+ à la campagne, alors qu’en fait, on étaient déjà là. Il y a des gens qui m’insultaient sur les réseaux sociaux mais qui me disaient bonjour dans la rue, je pense que c’est parce que je suis un enfant du pays, tout le monde connaît ma famille ici. Aujourd’hui, j’essaie d’essaimer une scène drag au Vigan, en formant des jeunes drag, en allant faire des shows dans des bars du coin qui n’ont pas l’habitude de voir ça ou en organisant des événements. Je pense que ça fait bouger les mentalités, la preuve, les réservations ne font qu’augmenter ! Je tiens aussi Outcoming, une association qui fait de la prévention sur les problématiques LGBTQIA+ dans les rues d’ici.”

Snoop : “On m’a suivi, c’est parti très loin”

“Des amis m’ont trahi et ont dit que j’étais gay. On m’a pris en grippe, ça a commencé vers mes treize ans. Je ne pouvais plus me déplacer seul dans Ganges. On m’a insulté, on m’a frappé, on s’en est pris physiquement à ma famille, on m’a suivi, on m’a foncé dessus en scooter… C’est parti très loin. On ne se rend pas compte de la gravité des choses quand on est ados. Je recevais des SMS menaçants, parfois de gens que je ne connaissais même pas. Je n’en pouvais plus, je me tapais littéralement la tête contre les murs. Ma mère a déposé une main courante, je ne voulais pas qu’elle porte plainte par peur de représailles. Je savais que je pouvais compter sur mes parents et franchement, je comprends les cas de suicide si tu n’as aucun soutien… Quand je suis parti au lycée à Alès, j’ai compris que ça pouvait être différent ailleurs, ça m’a libéré. Je me suis trouvé une bande de potes, qui étaient là pour me défendre. C’est le combat des Prides aujourd’hui, d’élargir, et ça passe aussi par sensibiliser plus les milieux ruraux.”

Louise : “Je suis devenu.e queer en allant à la ville”

“Au collège, je me faisais déjà traiter de lesbienne, et je ne savais même pas ce que ça voulait dire la bisexualité. Comme beaucoup de gens, je suis devenue queer en allant à la ville. J’ai fait mes études aux Beaux-Arts de Montpellier, où il y a beaucoup de personnes queer, c’est là que j’ai découvert tout ça et que ça a répondu à des questionnements. Encore aujourd’hui, dans mon quotidien, ici, dans la rue ou au bouleau, on me considère comme une femme hétéro-cisgenre [NDLR : le terme cisgenre concerne une personne dont l’identité de genre correspond au sexe qui lui a été assigné à la naissance], alors que je ne me défini pas du tout comme cela, mais il y a plein d’espaces où je ne le dit pas, pour ma sécurité et pour éviter les remarques. Aussi, le problème, ici, c’est que ma gynéco est super loin, il n’y en a pas beaucoup, et encore moins des gynécos avec qui on peut se sentir en confiance.”

Texte : Élian Barascud

Photos : Mathieu Le Coz/Hans Lucas

Nos articles sont gratuits car nous pensons que la presse indépendante doit être accessible à toutes et tous. Pourtant, produire une information engagée et de qualité nécessite du temps et de l’argent, surtout quand on refuse d’être aux ordres de Bolloré et de ses amis… Pourvu que ça dure ! Ça tombe bien, ça ne tient qu’à vous :


ARTICLE SUIVANT :

Voisins vigilants : la société du flicage permanent