Loi immigration de Darmanin : toujours plus de répression

Elian Barascud Publié le 1 juin 2023 à 14:45 (mis à jour le 1 décembre 2023 à 11:34)
Manifestation contre les mesures répressives anti-migrants, le 25 mars 2023 à Montpellier

Le ministre de l’Intérieur devrait présenter une nouvelle réforme « pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration », par le travail. Sans surprise, l’idée est d’accélérer les expulsions des étrangers. Après plusieurs rebondissements, le projet devrait être présenté à l’automne, avec pour objectif affiché du gouvernement d’obtenir un compromis avec Les Républicains. Le Syndicat des Avocats de France (SAF) craint une atteinte aux droits de la défense et aux libertés fondamentales, notamment sur le contentieux d’asile et d’éloignement. État des lieux provisoire de textes toujours en travaux.

« Depuis 1995, c’est la dix-septième réforme du droit des étrangers et du droit d’asile, les précédentes mesures ne sont même pas appliquées et on ne voit même pas encore leurs effets ! », déplore Julie Moulin, avocate responsable de la permanence dédiée au droit des étrangers du barreau de Montpellier, et membre du SAF. Dur d’y voir clair, donc, dans ce fatras législatif. Une chose est cependant certaine : « Gérald Darmanin l’a dit lui-même, il y a les bons et les mauvais étrangers », résume l’avocate. Et ce texte traduit en acte la volonté du ministre de l’Intérieur, dans un « en même temps » que l’on commence à bien connaître : en bref, les « bons étrangers », ce sont ceux qui bossent.

En effet, le texte prévoyait dans sa première mouture la création d’un titre de séjour spécial « métiers en tension ». De la chair à patron, dites-vous ? Claire Hédon, la Défenseure des droits, semblait en tout cas assez critique sur ce point, dans un avis rendu le 23 février dernier. Pour elle, ce nouveau titre de séjour « conduit au maintien d’un régime insuffisamment protecteur des droits des travailleurs concernés », car « son caractère expérimental risque d’en faire un simple dispositif de correction temporaire de la pénurie de main d’œuvre dans certains secteurs de l’économie », et « dans cette perspective, les droits des étrangers, et notamment la protection de leur vie privée et familiale, demeureraient précaires et dépendants des fluctuations de l’économie ».

« L’ordre public » à toutes les sauces

Et pour les autres, alors ? Dans le projet de loi, Darmanin entendait durcir les critères pour l’obtention d’un titre de séjour pluriannuel, notamment la maîtrise de la langue et des sacro-saintes « valeurs républicaines » qui lui sont si chères. « Pour la maîtrise de la langue, ça va réduire les possibilités pour plein de gens, comme les personnes âgées qui apprennent le français moins vite que les jeunes », note Julie Moulin. Mais le texte de base va plus loin, et prévoit notamment de réduire le périmètre des protections contre les mesures d’éloignement (expulsion et obligation de quitter le territoire français – OQTF) et de l’interdiction du territoire français (ITF) dans certains cas. Par exemple, le projet de loi facilite l’expulsion d’étrangers ayant fait l’objet d’une condamnation « et dont le comportement constitue toujours une menace grave pour l’ordre public » (art. 9). Le renouvellement (ou non) du titre de séjour pourrait lui aussi être conditionné au respect de « l’ordre public ». Pour trancher sur l’expulsion d’un étranger déjà condamné, la loi fixerait un seuil et la justice ne se baserait pas sur la peine énoncée lors du jugement pour savoir si ce seuil a été franchi, mais sur la peine encourue au maximum pour l’infraction commise. À titre d’exemple, l’usage de stupéfiants est un délit puni d’une peine maximale d’un an d’emprisonnement…

Dans son rapport, la Défenseure des droits s’alarme à propos d’« un déplacement du curseur particulièrement inquiétant […] car, dans les faits, les peines encourues sont très supérieures aux peines prononcées, si bien que la levée des protections contre l’expulsion concernera un champ très large de personnes pour lesquelles la gravité de la menace représentée sera loin d’être établie ».

Un article qui fait particulièrement tiquer Julie Moulin, qui craint que le texte renforce le pouvoir discrétionnaire de l’administration : « Le terme d’ordre public n’est pas du tout caractérisé. On nous le ressort à toutes les sauces, mais la notion est super floue. Par exemple, pendant le confinement j’ai eu un cas où des jeunes se sont battus dans la chambre où ils étaient provisoirement logés car ils n’en pouvaient plus de l’enfermement. Le juge a considéré ça comme une menace à l’ordre public ». Questionnée à ce propos, elle précise : « Oui, fumer un joint dans la rue aussi, ça pourrait être considéré comme une menace à l’ordre public selon l’appréciation… »

Pour elle, l’expulsion de l’imam Hassan Iquioussen, l’été dernier, a créé une sorte de jurisprudence. « Au-delà de sa personnalité, certes très polémique, ça montre que l’ordre public prime sur le reste, qu’il est vu dans son expression large, et qui du coup, restreint la vie privée et familiale. Il y a une double peine : une sanction pénale, puis une sanction administrative. »

Cette extension du domaine de l’ordre public prend également d’autres formes : le texte prévoit d’autoriser l’inspection sommaire des voitures particulières, jusqu’à présent exclues, dans le cadre des contrôles frontaliers (art. 17 du texte original), et « le recours à la coercition pour le relevé des empreintes digitales et la prise des photographies des étrangers en séjour ». Bref, une plus grande liberté de l’État, et une potentielle menace pour les droits et libertés fondamentales de tout le monde.

Atteintes au droit d’asile et « justice low cost »

Le projet de loi intègre aussi un volet de simplification des contentieux d’asile et d’éloignement, ce qui n’est pas sans inquiéter Julie Moulin. « En ce qui concerne le droit d’asile, avant le juge unique était l’exception, maintenant, il va devenir la norme, comme pour tous les contentieux de masse, pour aller plus vite. Sauf que l’intérêt de la collégialité, c’est de croiser les regards. La question du droit d’asile, ce n’est pas que du droit, c’est une connaissance d’une situation culturelle, religieuse, géopolitique, à un moment donné. La collégialité permet le débat. Si le juge est seul, il peut se tromper sur une décision car la situation géopolitique d’un pays a changé et qu’il n’est pas au courant. »

Ces volontés d’économies se traduisent également par une volonté de généraliser les vidéos-audiences depuis les centres de rétention administrative (CRA), pour ne plus avoir à financer des transports sous escorte policière jusqu’au tribunal. « Il y a un gros problème de droit de la défense, souligne Julie Moulin, comment accéder à son client de manière confidentielle ? Et puis ça coupe tout le temps, c’est de la justice low-cost ! »

De plus, la réforme prévoit de réduire les délais permis pour contester une OQTF, toujours pour accélérer les procédures, rendant plus compliqué le fait de réunir tous les documents nécessaires pour défendre une personne. Enfin, les opposants à ce texte craignent que les refus de droit d’asile se transforment de fait en OQTF. « Avant, l’administration faisait des contrôles, pour savoir si la personne avait fait une demande de titre de séjour ou si elle était malade. Maintenant, l’administration ne s’embête plus à vérifier la condition des gens pour savoir s’ils ont le droit au séjour », déplore une nouvelle fois Julie Moulin. Quid alors, des mobilisations collectives pour tenter de faire reculer le gouvernement sur ces textes ? Le 25 mars dernier, cinq-cents personnes se sont réunies à Montpellier pour demander le retrait de ce projet de loi. « Personne n’en a rien à foutre des migrants » commentait alors une militante de longue date. Pour Julie Moulin, la réforme va passer. « On n’a pas la force de faire retirer la réforme, même si on organise des choses avec la Cimade ou le SAF… Nous, en tant qu’avocats, on a fait des recours, on a été entendu par les parlementaires, le but, c’est juste de limiter la casse… »

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