Manifeste pour une vie sans relous
«Toi, j’te lâche pas jusqu’à ce que tu me donnes ton numéro ! », me lance un mec dans la rue. Je ne le connais ni d’Ève ni d’Adam, et pourtant ce type va me suivre trois longues et flippantes minutes pendant lesquelles je blâmerai la nature de m’avoir filé deux chromosomes X. Quand je le raconte à ma mère ce soir-là, elle me demande comment j’étais habillée. Tu connais ce sentiment ? Oui ? Cet article est fait pour toi. Non ? Même chose.
Sur le harcèlement de rue
Être victime de harcèlement de rue, c’est se faire interpeller verbalement ou non dans des espaces publics. C’est se prendre des remarques menaçantes, irrespectueuses et insultantes sans n’avoir rien demandé, c’est se faire siffler par des inconnus quand on passe devant eux, et généralement ce comportement découle de notre sexe, notre genre voire notre orientation sexuelle.
Il m’arrive régulièrement de me faire aborder par des inconnus dans la rue. La plupart du temps, c’est assez gentillet, on me demande mon numéro et on me laisse tranquille quand je refuse poliment. Parfois, ça va un peu plus loin que ça. On insiste, comme si ça allait me faire changer d’avis, on essaie d’établir un contact physique, on me suit quand je continue ma route. Plus généralement, je reçois des coups de klaxon, des clins d’œil, des insultes, à l’image de cet homme m’ayant traité de « salepute » en passant son chemin. Le pire, c’est qu’ils ont l’air de penser que me faire traiter comme un bout de steak en collants me ravit. Mais il y a pire, malheureusement.
Vous connaissez le frotteurisme ? C’est une pratique par laquelle on recherche le contact physique, généralement dans des lieux publics et avec des personnes non consentantes. En gros, les « frotteurs » trouvent un plaisir sexuel malsain à toucher des inconnu(e)s sans leur demander leur avis. Je trouvais ça assez marrant comme terme, jusqu’au jour où un homme d’âge moyen s’est assis à côté de moi dans le tram et qu’il a tranquillement commencé à me caresser la cuisse en cachant sa main sous son écharpe. Bien sûr, cette pratique est passible en France de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende, alors j’aurais probablement dû dire quelque chose. Pourtant ma voix s’est perdue au fond de ma gorge et je me suis contentée de me lever et d’attendre mon arrêt. À ce moment là, arrive l’éternelle question : « concrètement, qu’est-ce que je peux faire ? ».
Une vie sans relous
L’association « Stop harcèlement de Rue » est probablement la plus active en France, avec des antennes dans plusieurs villes. Plus que de soulever le problème, l’association cherche à montrer qu’il y a des moyens de le combattre. Par des actions concrètes dans l’espace public, comme des scènes de sensibilisation ou des conseils, les membres de cette association nationale apprennent aux harcelé(e)s à relever la tête et à cracher allégoriquement sur la patriarchie. Elles appellent ces actions des « zones sans relous », et comme 100% de la population féminine, j’aimerais qu’elles existent sur toute la surface de la Terre.
Entre autres, l’association a organisé l’année dernière un événement, « L’incroyable Relou », où plusieurs témoignages ont été mis en scène devant un public qui désignait le plus lourd. Une manière humoristique de rendre leur humiliation à des harceleurs qui tournent leurs agressions à la dérision. Comme on dit, mieux vaut en rire qu’en pleurer.
Mieux vaut prévenir que guérir
Dans des pays comme le Japon, le Mexique ou le Koweït, il existe un système de « transports roses » mis en place contre le harcèlement verbal et sexuel ; dans les trains de Tokyo, certaines voitures sont réservées exclusivement aux femmes. Lorsque Serge Bouvet, photographe reporter, visite ces lieux, il avoue s’être senti « castré et humilié, (…) l’impression poisseuse d’être considéré comme un maniaque sexuel dangereux »(1).
Quand il ajoute que ce type de transport « encourage à une certaine suspicion malsaine qui peut nourrir des préjugés toxiques qui n’arrangeront rien à l’égalité des sexes », je ne peux que rouler des yeux et affirmer que cet homme n’a pas réalisé qu’en France, 100% des utilisatrices de transports en commun y ont subi au moins une fois dans leur vie du harcèlement sexiste ou une agression sexuelle(2). Pour certaines, l’action même de se promener en ville à deux heures du matin est une véritable roulette russe de l’agression sexuelle. Cette « suspicion malsaine » dont parle Serge Bouvet est insignifiante au regard des 75 000 viols en France chaque année(3).
Changer les choses pas à pas
Bien sûr, tous ces crimes ne sont pas perpétrés par des hommes ni subis par des femmes. Mais 96% des auteurs de viol sont de sexe masculin, et 91% des victimes de sexe féminin(4) : il va donc sans dire que le harcèlement de rue touche principalement les femmes et les personnes LGBTQ(5).
Le problème, à mes yeux, siège au cœur du sexisme ordinaire. Comme ces petites blagues sur le viol, lâchées tranquillement en soirée et qui terrorisent les victimes tout en déculpabilisant les coupables par l’humour. Sans parler de ces petites phrases éternelles, du genre « vu comment elle est habillée, c’est une invitation » ou bien « c’est pas si grave que de se faire siffler dans la rue, prends le comme un compliment ! ».
Bien sûr, la solution n’est pas d’installer des transports roses dans toutes les villes du monde. Le but, c’est d’arrêter de normaliser cette « culture du viol », et de ne pas oublier le principal : ne pas harceler les gens dans la rue ne fait pas de vous un héros, ça fait de vous une personne décente. Je vous invite donc tous et toutes à mépriser et combattre le sexisme ordinaire, à marcher fièrement en jogging comme en minijupe, en imaginant un monde où vous n’auriez pas à vous demander combien de fois vous auriez aimé levez votre majeur plutôt que de baisser honteusement la tête en accélérant le pas.
Manon B.
(1) « Transports réservés aux femmes », Sergebouvet.com. (2) « Harcèlement de rue : ‘‘quand on est une femme en France, on est seule’’ », Le Monde, 16 avril 2015. (3) Rapport du Collectif féministe contre le viol, 27 juin 2012. (4) Voir note précédente. (5) Acronyme de lesbiens, gays, bisexuelles, transgenres et queers.
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