Masques : au nom de la solidarité, les couturières sont incitées à renoncer à toute rémunération

Le Poing Publié le 29 avril 2020 à 19:50 (mis à jour le 29 avril 2020 à 20:44)
Photo de couverture de la page facebook « Bas les masques ! »

Lorsque la pandémie de covid-19 a frappé la France, les initiatives solidaires ont fleuri : faire des courses pour un voisin âgé, garder les enfants d’une infirmière, donner de l’argent à un proche en difficulté, etc. De nombreuses couturières indépendantes, souvent précaires, se sont spontanément inscrites dans cet élan populaire en confectionnant des masques. Pensant pallier un manque temporaire de masques, elles ont constaté comme tout le monde que la pénurie était durable. Et quand elles ont osé réclamer une rétribution, elles ont reçu des insultes en retour. Le monde à l’envers.

Marion, couturière indépendante, créatrice de la marque montpelliéraine « Quat’Cousines », n’a pas digéré de s’être fait lourdement démarcher. Un entrepreneur de Montpellier dans l’immobilier cherchant à faire « travailler des acteurs locaux » lui a demandé par mail si elle n’était pas « en mesure de (lui) produire des masques (…), à hauteur de 50 unités par jour » en précisant que « seules les fournitures et le main d’œuvre (lui) seront à charge », la « rémunération » proposée étant de 2,5€ par masque. Elle lui a répondu sans ambages : « Je ne comprends pas votre proposition de rémunération. (…) Si vous envoyez ce message de la Chine, je comprends votre tarification ».

La norme semble effectivement s’être alignée sur les conditions laborieuses des Chinois·e·s, le président de l’association des maires du Morbihan, Yves Bleuven, n’ayant pas hésité à livrer cette « réflexion » dans Le Télégramme : « On a du bénévolat ici, et on achèterait des masques en Chine !? » Une dépêche AFP publié par le journal Le Point, classé bien à droite, se réjouit même que « des couturiers sans-papiers confectionnent des masques par centaines », sans rétribution ni régularisation à la clé, bien entendu.

Ces injonctions à travailler gratuitement sont souvent formulées par des communes et des métropoles, comme à Melun, Lyon, Bordeaux et Arcachon – liste non exhaustive. « On nous propose des kits et on nous dit : je reviens chercher les masques dans trois jours. Ça nous met une pression incroyable. Moi, j’en étais rendu à travailler douze heures par jour. Et qui m’aurait remboursé ma machine à coudre si je l’avais cassé ? J’ai arrêté avant le burn-out, mais il y en a qui ont pété les plombs ! » nous confie Christie Bellay, costumière intermittente parisienne, co-fondatrice de la page facebook Bas les Masques !, en lutte contre le travail gratuit.

Elle rappelle que « le coût de revient d’un masque, c’est 4 à 5€ pour un couturier indépendant. Ce n’est pas la même chose que de faire une robe, il faut prendre beaucoup de précautions, et travailler avec un tissu adapté, qui résiste à un lavage à 60 degrés ». « J’espère que les pharmaciens et les buralistes ne vont pas accepter des masques fabriqués dans n’importe quelles conditions, car il ne faudrait pas que les gens respirent n’importe quoi ! » s’alerte la coutière montpelliéraine Marion, qui précise tout de même que de nombreuses normes, dont celles de l’AFNOR, existent pour veiller à la qualité des produits.

Elle affirme qu’à Montpellier comme ailleurs, « des couturières se sont littéralement fait insulter parce qu’elles osaient vendre des masques à 4 ou 5€, alors que ça ne leur permet même pas de nourrir leur famille ! » Les réprimandes leur sont d’autant plus dures à encaisser que les grands groupes industriels, eux, produisent en veillant à leurs profits. Dans les colonnes du Midi Libre, le romancier Alexandre Jardin se félicite d’avoir mobilisé gratuitement des couturières pour fabriquer des masques, ensuite distribuées « grâce » à « une alliance avec Intermarché, Carrefour, Monoprix… »

Bien sûr, 5€ le masque, ça reste un prix démesuré pour la population, et ce d’autant plus que le secrétaire d’État en charge des transports a précisé à BFM TV que celles et ceux qui ne porteront pas de masque dans les transports publics seront bientôt sanctionnés. Mais « les couturières n’ont pas à assumer le poids de l’irresponsabilité du gouvernement, qui n’a rien fait pour préserver la filière textile ! » s’indigne Christie.

« Pourquoi est-il choquant de demander une rémunération pour coudre un masque ou vendre du tissu (…) alors que personne ne remet en cause qu’il faille acheter du matériel médical, ou rémunérer le personnel des autres secteurs essentiels ? » s’interroge légitimement la styliste Márcia de Carvalho de l’association Chaussettes orphelines.

« Nous, les couturières indépendantes – même s’il existe aussi des couturiers –, on a toujours été invisibles ! Pour la plupart des gens, la couturière, c’est la grand-mère qui coud pour ses proches le dimanche. Bien sûr, ça existe, mais nous aussi, on existe, et on a le droit d’être rémunérée, et de bénéficier du Code du travail. Ce sont toujours les femmes qui doivent se sacrifier pour prendre soin des gens… Même les munitionnettes, les femmes qui fabriquaient les munitions pendant les guerres mondiales, étaient rémunérées, et nous, on devrait travailler gratuitement pour la “Mère Patrie” ? C’est trop facile ! »

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