Montpellier a dansé des masses avec HK et les Saltimbanks
Plus ou moins interdit, le concert de rue organisé par la Carmagnole a évolué en manif étonnamment dansante, joyeuse, et nombreuse, jusque sous les sinistres grilles closes de l’Agora de la danse.
Y a des choses bizarres. Exemple : parmi les journalistes du Poing, tout entier consacré aux luttes, il en est un qui est aussi… critique de danse contemporaine. Alors, ce mercredi, le gusse avait inscrit à son agenda un rendez-vous professionnel où la chorégraphe Katerina Andreou – très intéressante – devait présenter l’état de préparation de sa prochaine pièce de danse. Cela à l’Agora de la danse, boulevard Louis Blanc (plus précisément dans les locaux du Centre chorégraphique national qui se trouve là, et qui accueillait ces temps derniers Katerina Andreou en plein travail).
Mais en chemin, comment un journaliste du Poing ne passerait pas sur la Com’, pour le concert de HK et les Saltimbanks, annoncé par le collectif d’État d’urgence culturel et social, qui gravite autour de la Carmagnole. Le célèbre groupe de Kaddour Hadadi est en plein tour de France militant. Mais étonnamment, il ne se passe rien sur la place… Cherchons un peu. C’est finalement au kiosque Bosc sur l’Esplanade, que l’événement a dû se réfugier. Manière de filouter, quatre véhicules de police étant venus faire savoir que le préfet avait interdit tout cela.
En toute bonne stratégie, on le comprend un peu. L’heure n’était certes pas aux pires affrontements. La “culture” est en ce moment un matériau d’opinion délicat à manier. On ne peut pas le charcuter aussi crûment que des Gilets jaunes. Qu’une petite fenêtre de tolérance s’ouvre, un rien de sous-effectif policier, qu’une opportunité se présente, et alors c’est le plus beau des spectacles qui se produit : celui d’une foule qui se surprend elle-même, qui grossit, s’agrège par simple curiosité, s’invente en manif, s’improvise, chante, danse, déambule, et déborde de toute part. Un air de bien des possibles. Formidable soleil printanier. On a la sensation de ne participer à rien d’autre que la vie normale. Sauf que la vie normale serait devenue aujourd’hui terriblement politique.
Il.les se retrouvent cinq cents sur l’Esplanade. Et alors “On va danser, on va danser”, «On ne lâche rien, on lâche rien”. Et puis tiens, on s’offre le minimum syndical : retourner sur le parvis de l’Opéra-Comédie. Interdit ou pas. Là se dire que ça tourne au bon millier. Joyeux, dansants, tous âges, en choeur, un peu flash-mob. Tout ça en pleine semaine en plein début d’aprèm. Pas mal de militants (Prés d’Arènes toujours impeccable à l’appel). Mais des tonnes de visages inconnus. Les curieux. Les passants. Les gens de la culture sans grade. La Comédie rendue à l’agora, desserrée de l’étreinte étouffante du commerce.
Autant continuer. Plus ou moins en impro. Monter à la préfecture. On ne se refait pas. Entrapercevoir la place du Marché aux fleurs, plantée à la hâte des silhouettes accablantes de lourdeur antipathique, de boucliers et de casques, de caricature de détestation du monde et de la vie. Ce n’est pas le jour d’en découdre. Juste on se faufile vers la rue de l’U. On la capte un instant en perspective descendante, entièrement noyée par le cortège. Peut-être bien mille cinq cents. Et “On est là, on est là, même si…” Une banda militante du cru y rajoute ses airs de carnaval occitan, son Internationale sous les fenêtres du préfet, sa Bella Ciao.
Bien souvent, cela paraîtrait codé et éculé, référencé pour les petites couches moyennes blanches conscientisées. Mais ce mercredi, une ivresse pétille, façon défi de vivre, et ça fait un bien fou. Chez bon nombre, admettons, le non-port du masque fait partie de l’expérience. En fait, on savait où on allait. Nous voici au bout du chemin, devant l’Agora de la Danse. Depuis une semaine, de courageux artistes occupants campent à l’intérieur. Nul doute que cette action fait levier, en même temps que tâche d’huile dans le pays bloqué. Superbe. Mais comment ne pas souligner le symbole accablant des grilles monstrueuses, toujours hermétiquement closes, par lesquels ce bâtiment culturel s’offre aux regards de la ville comme caricaturalement institutionnel.
Cela fait des années que ça dure. Les artistes occupants n’y sont pour rien. Mais nul doute qu’ils doivent inscrire à leur agenda l’ouverture de la culture à la ville, très au-delà de la seule réouverture sanitaire des lieux de spectacle. Ce mercredi, c’est sur le trottoir, de l’autre côté des grilles closes, que la danse, la culture – et une grande part de leur public – pétaient la forme et le criaient. Du coup, le critique de danse qui sommeille dans le journaliste du Poing, n’avait plus qu’à renoncer à son rendez-vous professionnel à l’intérieur de l’Agora de la Danse, pour dare-dare se consacrer à la rédaction de cet article.
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