Montpellier: Gilets Jaunes acte 61, la convergence par la base
Plusieurs milliers de manifestants du rassemblement contre la réforme des retraites – avec une forte composante de Gilets jaunes – ont refusé de se plier aux intimidations policières et d’imiter la désertion des directions syndicales.
Le Poing l’annonçait en concluant son compte rendu de la manifestation inter-pro du jeudi 9 janvier : il allait être particulièrement intéressant d’observer le nouveau rassemblement du samedi 11 janvier. Forces syndicales et Gilets jaunes allaient forcément s’y retrouver, mais cette fois plutôt sur le terrain des seconds. Les directions des premières avaient d’ailleurs pris leurs précautions : pas question de se confondre, leur regroupement ne devait pas se faire sur la Place de la Comédie au contact des Gilets jaunes, mais bien à l’écart, trois cents mètres plus bas, étrangement aux Halles Laissac, qui connaissaient ainsi leur première entrée dans le vif du combat social montpelliérain. A cet endroit, on remarquait l’assentiment désormais affiché par le gros carré jaune-convergent des Prés d’Arènes, lui aussi oublieux de la Comédie. Les avocat.e.s en grève étaient également présents avec les syndicats, tous et toutes en robe noire.
On n’était quand même pas place Zeus, au pied du building de la Maison des syndicats. Fatalement, après quelques tergiversations, le cortège tumultueux, sans drapeaux et banderoles standardisés, plus éruptif, des Gilets jaunes a tôt fait de débouler pour se diluer dans le cortège syndical traditionnel. Sortons des chamailleries : la question de la mobilisation du samedi raisonne avec un ancrage social bien carré. Quantité de gens décidées à combattre dur comme fer la réforme des retraites n’ont pas les moyens de faire grève et donc de rejoindre les cortèges confédéraux en semaine. Pas mal d’autres n’en ont simplement pas la culture.
Tant et si bien que ce cortège du samedi 11 janvier à Montpellier a pris tout de suite une autre allure, beaucoup plus entraînante, que celui du jeudi juste précédent. Et voici bien longtemps qu’on n’avait pas vu des gilets jaunes (le vêtement), portés en si grand nombre un samedi dans les rues de la ville. Cela rappelait le beau sursaut du samedi 7 décembre, avec son cortège de l’acte 56, galvanisé par le succès monstrueux de la première grande journée d’action sur les retraites, deux jours auparavant.
On n’est pas là à se compter entre amis. C’est surtout qu’on retrouve un mouvement Gilets jaunes dans ses racines profondes, dont on craignait que les effectifs se soient clairsemés à coup de désaffection, quand en fait c’est par lassitude, déception, peur et répression, que s’explique avant tout le reflux apparent. Il n’en faut pas beaucoup pour que les cœurs se remettent à battre, les jambes à fourmiller. Un potentiel de bouillonnement insurgé demeure actif. On allait vite le vérifier ce samedi 11 janvier après trois quarts d’heure de tour de chauffe par le versant nord de l’Ecusson.
Remonté sur l’Esplanade, le cortège s’approchait, yellow block en tête, des cantonnements policiers installés comme habituellement du côté de l’Office de tourisme, direction dalle du Polygone. On aurait pu croire que, soldes obligent, des consignes aient été données pour éviter un retour de désordre en ville. Il n’en est rien. Comme à l’accoutumée, BAC en tête, les forces de l’ordre surexcitées se livrent à leurs provocations, cherchent à déclencher l’incident coûte que coûte. On s’étonne que les associations de commerçants, et autres édiles consulaires ou municipaux ne crient pas leur lassitude devant ces menées assauts incontrôlées.
Il s’agit alors de pratiquer une interpellation. Bien entendu la tension est à son comble. Et au milieu des terrasses d’un après-midi quasi estival, l’humeur des mauvais jours sent la poudre et l’allumette qui va avec. C’est long. C’est bloqué. Cinquante mètres en arrière, côté Corum, l’encadrement du cortège syndical continue de diffuser ses tubes pré-enregistrés incongrus. Naturellement, les manifestant.e.s les moins déterminé.e.s, les moins préparé.e.s, commencent à se disperser.
Là est le but de la manœuvre policière : empêcher purement et simplement l’exercice du droit de manifester. On le vérifiera à nouveau vingt minutes plus tard quand les cordons d’uniformes barrent la rue de la Loge en son milieu, devant des centaines de chalands, passants et familles, bouches bées. Mais à ce stade, les directions syndicales ont déjà déserté, avec tout leur matériel. Elles n’assument pas le minimum syndical de détermination à s’imposer face aux bandes armées du capital. Cependant, de nombreux syndicalistes continuent de suivre le cortège sans les sonos tonitruantes.
Alors des milliers de manifestants – deux à trois mille, un gros quart ou un bon tiers du cortège initial – se sont remis en branle, de l’avant sur cette Esplanade, bravant le risque de frôler les rangs imprévisibles des agitateurs à matraques, lance-grenades et autres armes de guerre, que chacun sait hyper dangereux et protégés en toute impunité. On ne parle pas là de trois mille révolutionnaires lâché.e.s dans les rues de Montpellier. Mais de trois mille manifestant.e.s joyeux.ses de reconstituer toute leur puissance.
Iels sont extrêmement divers.es, iels étaient un peu partout dans le cortège, disséminé.e.s par hasard dans les rangs de telle ou telle section organisationnelle, sans y être forcément affilié.e.s. Affranchi.e.s de directives, de fait ingouvernables, iels sont simplement et clairement déterminé.e.s dans leur combat du moment et pratiquent alors la convergence – la fameuse, la sacro-sainte – spontanément avec leurs pieds (leurs voix aussi). Pieds de manifestant.e.s légitimes à battre le pavé. En toute fermeté. En toute évidence. Qui ne se discute pas. On continue. Et dans cette foule, il se fait naturel de reprendre les slogans clairement anti-capitalistes, anti-autoritaires. Il faut capter ces signes de politisation. Un sapin prend feu sur le Jeu de Paume, le caractère insurrectionnel de l’hiver dernier resurgit dans l’atmosphère.
Au moment de déboucher alors en grand sur la Comédie, de poursuivre rue de la Loge puisqu’il le faut, d’y craindre la nasse, les grenades, pourquoi pas les LBD, et finalement s’engager dans un énigmatique et fascinant cortège en labyrinthe dans les ruelles, on se convainc que décidément, ce n’est pas le cortège qui erre comme canard sans tête. Derrière ses barrages statiques d’hommes sur-armés, c’est le pouvoir qui se révèle bateau ivre sans gouvernail. Il n’y a rien de délirant à envisager l’hypothèse de son échouage définitif, voire son naufrage avec coulée à pic.
Les gaz commenceront à irriter globes oculaires et nasaux vers 16h40 après que les parangons de la morale publique aient chargé les contestataires sur l’avenue Foch alors qu’ils tentaient de rejoindre la préfecture. Des slogans anti-police résonnent en chœur, l’équipe du Poing se regarde l’œil pétillant, le sourire en coin. L’énergie ressentie dans la même rue l’hiver dernier est encore là. Ce mélange de colère et de détermination qui fait de ce mouvement quelque chose d’insaisissable et de particulièrement tenace malgré la brutalité de la répression.
Mais la foule compacte se fait rapidement séparer par les manœuvres policières. Après un jeu du chat et de la souris qui fera courir jusqu’à Figuerolles, le reste des troupes encore vif se retrouve sur la Comédie. Un petit mot circule de bouche à oreilles : dix minutes plus tard, 300 personnes se retrouvent dans le temple spectaculaire marchand du Polygone à gueuler des slogans anti capitalistes. Mais très vite, la situation se crispe, la sécurité joue des mains devant des badauds coincés comme des lézards dans des vivariums derrière les vitres des magasins contraints de fermer. Puis, la police s’en mêle, et charge dans l’enceinte du centre commercial avant de se déployer devant les boutiques. Jamais l’expression « police nationale milice du capital » n’aura autant pris son sens.
Finalement, tout le monde fini par sortir tant bien que mal sur la Comédie, une poignée d’infatigables tente une remontée sur la préfecture, et tomberont nez à nez avec une dizaine de nazillons, principalement des militants de l’action française, équipés mais perdus, qui se verront chasser en courant par des gilets jaunes et des antifas.
On compte aujourd’hui 3 interpellations. Qu’on se le dise : la journée fut bouillante, et la détermination affichée promet une année 2020 socialement explosive !
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