Montpellier : Les soulèvements de la Terre ont poussé les murs de la Cavale

Elian Barascud Publié le 15 septembre 2023 à 14:54 (mis à jour le 1 décembre 2023 à 11:32)
La rencontre portait notamment sur le livre "on ne dissout pas un soulèvement". "Le Poing"

A l’occasion de la présentation du livre “On ne dissout pas un soulèvement” dans la librairie coopérative La Cavale, deux de ses co-autrices, Geneviève Azam et Virginie Maris, ont évoqué autant la création de l’ouvrage que les nouveautés apportées par les soulèvements de la Terre dans le champ des luttes

Jeudi 14 septembre, la librarie la Cavale n’était presque pas assez grande pour contenir un public de tout âge venu en nombre. Pour présenter le livre “On ne dissout pas un soulèvement” , Geneviève Azam, économiste, maître de conférences en économie et chercheuse à l’université Toulouse-Jean-Jaurès, Virginie Maris, chargée de recherche CNRS au Centre d’Ecologie Fonctionnelle et Évolutive (CEFE) de Montpellier, et Octave, membre du comité local des Soulèvements de la Terre de l’Hérault, étaient présents et ont alterné entre témoignages et appels à la résistance. Ce dernier a rappelé que les Soulèvements de la Terre sont nés au début de l’hiver 2021 pour lutter contre l’accaparement des terres, dans un contexte de crise sanitaire. “Le gouvernement a été à côté de la plaque. Au lieu de lutter contre les causes de la pandémie, comme la déforestation, la mondialisation, on a eu une réponse sécuritaire. Il fallait lutter contre cela.”

Un livre né dans l’urgence

“L’ouvrage est né en réponse au décret de dissolution [débouté par le Conseil d’Etat, NDLR]”, décrit Virginie Maris. Le 23 mars 2023, des dizaines de milliers de militant_es convergent sur la méga-bassines de Sainte-Soline. Peu de temps après, Gérald Darmanin, annonce la dissolution des soulèvement de la Terre. “Il a essayé de dissoudre un truc non identifié, poursuit la philosophe de l’environnement C’est un ovni dur à définir, ni une association, ni un syndicat…”

S’en suivront pléthore de tribunes de soutien dans divers médias, et même un live de soutiens aux Soulèvements sur plusieurs médias indépendants, dont Blast et Mediapart.

“L’idée du livre, c’était de sortir du ressassement apporté par la quantité de tribune, il fallait créer quelque chose de nouveau qui crée une culture commune de ce mouvement protéiforme. D’où l’idée d’un abécédaire”, raconte Virginie Maris. Le 12 avril, s’engage une course contre la montre avec l’objectif de sortir l’ouvrage avant le décret de dissolution. Un petit comité de rédaction restreint contacte plusieurs personnes, issus du monde de la littérature (Alain Damasio, Virginie Despente), des scientifiques ou des personnes venant des luttes sociales, pour un rendu à l’éditeur le premier mai. Finalement, le livre sortira le 8 juin. “Le fait qu’aucun texte ne dépasse les 5 000 caractères espace compris a permis de saisir un truc magique, un instant”, précise encore la chercheuse au CNRS.

Le livre a déjà été vendu à 31 000 exemplaires via l’éditeur, et plus via les collectifs locaux des Soulèvements de la Terre. En tout, 45 000 euros de droit d’auteurs ont déjà été reversés pour servir aux procès des militants et militantes inculpées après des actions.

Une nouvelle culture politique ?

Pour Geneviève Azam, ” Les Soulèvements de la Terre incarnent une nouvelle culture politique née d’une urgence, d’une situation inédite où tout le vivant est en danger. Il est d’une inventivité désarmante, d’une radicalité joyeuse.” Mais pourtant, il puise également son répertoire d’action dans l’histoire des luttes, comme les ZAD, le Larzac, les militant-es zapatistes du Chiapas, ou des mouvements sociaux plus méconnus, comme la lutte des femmes anglaises dans les années 80 contre l’installation de missiles sur des terres dans un contexte de guerre froide.
Pour l’économiste, la nouveauté réside également dans la composition protéiforme du mouvement : Des syndicats agricoles, des anarchistes autonomes, des altermondialistes, des scientifiques, des riverain-es concerné-es par des projets près de chez elles et eux… Avec une perspective de “sortir de l’entre-soi, et notamment en tendant vers l’interspécisme. L’humain n’est plus au centre de tout, il y a une véritable alliance avec les animaux, les plantes… D’où le slogan “nous sommes la nature qui se défend”, cela déborde de la communauté politique des humains.”

Les scientifiques, comme le dénote Virginie Maris, occupent une place particulière dans le mouvement. “De tout temps la science s’est mobilisée et a été un acteur politique. Mais avec les soulèvements de la terre, l’action des scientifiques s’est radicalisée dans le sens ou avant, on avait une casquette de scientifique et une casquette de militant, et on jonglait entre elles. Mais on en a marre de ça !”

Une joie intrinsèque

Autre constat partagé par les trois animateurs et animatrices du débat : la notion de joie est intrinsèquement liée aux luttes des soulèvements de la Terre. “Il y a de l’ironie, du second degré, un retournement du stigmate, relate Geneviève Azam, le sourire aux lèvres. Mais surtout, on sent que la joie vient de la sensation de pouvoir reconquérir collectivement une autonomie matérielle et politique dont le capital nous a dépossédé.” Elle prend pour exemple toute la “base arrière”, chargé du travail de soin, de logistique et de nourriture du weekend d’action de Sainte-Soline. “Cela préfigure le monde qu’on veut avoir. C’est une alliance de la raison et de sensibilité.”

Violence et désarmement

Octave, lui, axe son intervention sur la question de la violence. “La première violence vient de l’État, du capitalisme, elle est institutionnelle. La deuxième répond à la première, c’est la contre-violence manifestante. la troisième, c’est la violence répressive, qui tape sur la deuxième pour légitimer la première.” Pour lui, le processus de légitimation de la contre-violence des manifestant-es dans les Soulèvements de la Terre passe par l’explication de la violence institutionnelle que les grands projets contre lesquels il lutte sont eux même violents, et que s’attaquer à des infrastructures n’est pas la même chose qu’une violence qui s’attaque au vivant. D’ailleurs, les intervenant-es notent que si la question de la violence a longtemps divisé les mouvements écolos et altermondialistes, une autre nouveauté apportée par les Soulèvements de la Terre réside dans la diversité des tactiques et l’acceptation mutuelle des différents modes d’actions.

De manière sémantique, les Soulèvements opèrent également un décalage. On ne dit plus “sabotage”, mais “désarmement”. L’idée n’est pas de casser pour casser, mais de désarmer la force destructrice d’un projet, d’une arme, qui s’en prend au vivant.

Les intervenants et intervenantes ont également rappelé les diverses luttes en cours et appelé l’auditoire à s’y joindre, et notamment la Déroute des routes, que ce soit sur l’ A 69 entre Toulouse et Castres actuellement, où à la mobilisation contre le LIEN (axe routier de contournement Montpellier-nord), le week-end du 14 et 15 octobre.

E. B.

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