Montpellier : “! Manifeste !” porte des propos de gilets jaunes sur une scène de théâtre

Elian Barascud Publié le 9 octobre 2024 à 18:28 (mis à jour le 10 octobre 2024 à 10:27)
La pièce de théâtre "!Manifeste !" met en scène des témoignages audio de gilets jaunes incarnés par des comédiens. (Crédit photo : Jean Constance/ Compagnie Primesautier théâtre, droits réservés)

Les 7 et 8 novembre prochains sera donnée à voir au théâtre Jean-Villar de Montpellier le fruit d’une collaboration entre une web-radio amateure née pendant le mouvement des gilets jaunes, Radio Gi.ne, et la compagnie Primesautier théâtre. L’objectif : faire incarner sur scène par des comédiens des témoignages de gens qui ont vécu ce mouvement social. Entretien avec des créateurs du spectacle

Jean Constance est sociologue. Début 2019, il rejoint Lorrie Le Gac et Wissem Saïdi dans l’aventure “Radio Gi.ne“, une web-radio amateure Montpelliéraine (qui sera plus tard aux côtés du Poing dans un défunt collectif de médias indépendants de Montpellier) née pour chroniquer de l’intérieur le mouvement des gilets jaunes avec des entretiens, interviews et reportages sur les ronds-points ainsi qu’en manifestation. Antoine Wellens est, avec Virgile Simon, co-metteur en scène de la compagnie Primesautier Théâtre.

De leur rencontre nait le projet “! Manifeste !”, un projet de théâtre qui retransmet en direct les témoignages de divers protagonistes des manifestations des gilets jaunes, via des casques audio portés par les interprètes. Il vise à comprendre les motivations des citoyens participant à ces mouvements, plutôt qu’à discuter leurs revendications. Après une série de quatre portraits présentés au théâtre Jean-Villar sous forme de seuls en scène, la collaboration prend une nouvelle tournure avec un spectacle d’une heure et demie réunissant plusieurs comédiens sur les planches. Il sera présenté les 7 et 8 novembre au théatre Jean-Villar de Montpellier. Le Poing a discuté avec deux de ses créateurs pour en savoir plus.

Le Poing : comment s’est noué le lien entre Radio Gi.ne et la compagnie Primesautier Théâtre ?

Jean Constance : Avec Antoine, on se connait depuis longtemps, on avait déjà collaboré ensemble. La compagnie Primesautier Théâtre fait ce qu’on appelle du “théâtre documentaire”. Moi, j’ai toujours été attiré par le spectacle vivant, et Antoine aime les sciences sociales. Avec Lorrie Le Gac et Wissem Saïdi, à Radio Gi.ne, on a collecté des heures de matière, via des entretiens, sur le mouvement des gilets jaunes, et quand le mouvement a pris fin, on ne voulait pas que ces archives restent uniquement sur notre site Internet, il fallait en faire quelque chose. Nous est venu l’idée de restituer cette parole autrement, de manière juste, pour que ces archives continuent de vivre.

Antoine Wellens : Le “théâtre documentaire”, même si on pourrait passer des heures à le définir, c’est l’idée que le théâtre puisse s’intéresser aux questions de réalités. On utilise les méthodes du documentaire pour faire du théâtre, en tout cas, c’est du théâtre documenté, puisqu’on présente un document sur scène. Cela fait un moment qu’avec Virgile, le co-créateur de la compagnie, on s’intéresse à ça, on avait déjà travaillé sur Simone Weil. Et là, on avait envie de travailler sur la parole manifestante, car nous-mêmes nous allons en manifestation. On voyait bien le traitement médiatique de ces manifs, et on avait envie de montrer qu’au delà de la violence dépeinte par les médias, il y avait énormément de vie et de sensibilités dans ces gens en lutte. Quand Jean a présenté ces enregistrements, on s’est dit qu’il fallait s’en saisir.

Le Poing : Au début, cette mise en scène d’entretiens s’est traduite par une série de quatre seuls en scènes sous formes de portraits. Comment est-on arrivé au spectacle final que vous présenterez en novembre ?

Antoine Wellens : On a commencé à travailler sur ce projet en plein Covid. On était confiné dans un théâtre, sans public, donc on s’est plongé dans les documents de Radio Gi.ne casque sur les oreilles, on a tout écouté, on s’est rendu compte que tous ces parcours personnels étaient intéressants, et on s’est demandé comment rendre compte de cette parole. On a donc commencé avec ces portraits, ça nous a permis de travailler ce support de l’entretien et de trier la matière. Finalement, on peut les voir comme la première mouture du spectacle, où là, l’idée, c’était de créer des points de dialogues entre ces récits, avec notamment, l’intégration d’interview faites cinq ans après le mouvement. C’est presque un podcast, une création sonore, réalisée par Tristan Castella et Martin Marques Dos Santos.

Jean Constance : Justement, le dispositif du comédien avec le casque sur les oreilles qui interprète l’entretien rappelle cet esprit radio. C’est aussi un moyen d’assurer la fidélité de la retranscription de l’entretien dans le propos autant que dans le ton.

Antoine Wellens : Cela permet aussi une mise à distance du propos, finalement les comédiens ne sont que les médiums des gilets jaunes, qui sont en fait sur scène.

Le Poing : Comment faire incarner ces témoignages sonores par des corps en mouvement sur scène ?

Antoine Wellens : A l’origine de ces documents, il y a la radio, donc on a fait un plateau radio sur scène. Les personnes interviewées se replongent dans l’action par la parole, et différentes situations s’enchaînent en variant les point de vue pour montrer des corps en manifestation, des corps sur les ronds-points…

Jean Constance : Cela a été au centre de beaucoup de nos échanges avec Antoine. Le corps permet de retransmettre quelque chose qui était central dans le travail de Radio Gi.Ne, et notamment de Lorrie Le Gac : la question des émotions en manifestations. Quand on connait toute l’intensité de ces manifestations, avec les violences, les gens ont beaucoup de choses à dire, les émotions ont eu un impact sur leurs idées, leurs comportements. Je repense notamment à quelqu’un qui nous avait dit, à propos des violences policières, “ça m’a donné la haine.”

Le Poing : Comment s’est passée la réception des portraits que vous avez déjà joué sur scène ?

Antoine Wellens : Il y avait une vraie curiosité de la part de gens, parfois absolument pas manifestants, voire même opposés aux gilets-jaunes, qui ont découvert que derrière un mouvement qu’on présente comme violent, il y avait des vies, des idées, ça en a même fait basculer certains.

Jean Constance : Des gens très réticents au mouvement ont quand même complimenté le travail de recueil de parole, et ils n’ont pas eu l’impression de voir un spectacle militant, mais plutôt le compte-rendu d’une réalité. Quelqu’un m’avait dit à la sortie de la pièce, “on n’a pas l’impression qu’on m’oblige à penser ça ou ça, on nous a invité à être témoins.”

Antoine Wellens : Le format de l’entretien permet de créer un dialogue intime entre le public et le témoignage, on peut être d’accord, pas d’accord, notamment sur la question de la violence, puis ça vient soulever des contradictions internes, parfois au sein-même du témoignage en lui-même.

Jean Constance : Quand on avait fait les portraits, ma grande peur, c’était que les témoignages soient trahis. On avait fait venir les gens qui ont témoigné à la représentation, ils ont pu rencontrer les comédiens qui les ont incarnés après la séance. Une gilet jaune montpelliéraine, qui avait pris un tir de flashball dans la tête et dont on avait récolté le témoignage pour l’incarner était venue nous voir très émue en disant que c’était la première fois qu’elle allait au théâtre et que c’était la meilleure production qu’elle avait pu voir sur les gilets jaunes tout support confondu, et pourtant, il y en a eu… C’était très touchant.

! Manifeste !, les 7 et 8 novembre au théâtre Jean-Villar de Montpellier. Vous pouvez prendre vos places en cliquant sur ce lien.

Le spectacle sera également diffusé au Théâtre le Périscope, à Nîmes, le 11 mars 2025 à 19 heures et le 13 mars 2025 à 20 h 30 au théâtre de Mende. Les portraits Manifestes seront diffusés le 25 janvier au théâtre la Vista de Montpellier, du 31 janvier au 11 février au scènes croisées de Lozère et le vendredi 7 mars à la Bulle Bleue à Montpellier. A noter que des séances conjointes avec le film sur les gilets jaunes de Montpellier “Des Gouts de luttes” sont également prévues.
Plus d’informations sur http://www.primesautiertheatre.org/

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