Montpellier : super pêche de rentrée en manif contre les lois liberticides

Le Poing Publié le 16 janvier 2021 à 17:54 (mis à jour le 16 janvier 2021 à 18:01)

La mobilisation a réussi à enjamber la longue trêve des confiseurs, et se ragaillardir en marchant depuis La Paillade jusqu’au centre ville, revigorée à l’énergie techno.

En arrivant sur la Comédie ce samedi vers 14h30, avec plus de six kilomètres de manif dans les pattes, et plus de deux années de mobilisation intense dans les mémoires, on pouvait éprouver de la fierté. Fierté à se dire que le gouvernement en place, malgré toute sa violence, malgré ses états d’exception permanente, malgré le covid, n’arrive toujours pas à ce que ce pays, et notamment cette ville, se tiennent sages. Fierté, quoi.

Il y avait beaucoup de choses à observer, beaucoup de questions qui se posaient, pour ce premier grand rendez-vous unitaire de l’année contre les lois liberticides. Après une interminable trêve des confiseurs, juste parsemée des rendez-vous obstinés des gilets jaunes de Prés d’Arènes, combien de manifestants allaient se rassembler ? Tout semble permis à ce pouvoir, comme encore de nouveaux décrets permettant le fichage des seules opinions, les jonglages entre loi de sécurité globale et loi de renforcement du caractère autoritaire des supposés principes républicains, serrage de vis sanitaire et convocation d’un Beauvau policier. Cinq cents personnes réunies à La Paillade à partir de 11 heures, et le triple à l’arrivée sur la Comédie, ne s’en sont pas laissé conter. Et ont pu se compter.

L’autre question était ce départ depuis La Paillade. Politiquement, c’était impeccable, sur le papier : rappeler que les quartiers populaires sont les premiers concernés par le contrôle des populations, par la désignation de certaines comme ennemies de l’intérieur, et par le quotidien des abus policiers. Il fallait le dire, il fallait y aller. Il ne fallait pas croire non plus qu’un claquement de doigt y suffirait. Devant les halles de La Paillade, on n’a pas vu des habitants se transformer soudain en manifestants intrépides.

Mais dans un quartier où la manifestation est un acte rare, dans un quartier meurtri par de graves violences de deal qui éveillent une forme d’attente de sécurité, on a vu beaucoup de regards et de gestes amicaux adressés au cortège, notamment aux fenêtres et depuis les balcons, tout le long du Grand mail. Après avoir distribué des tracts sur place deux fois par semaine depuis un mois, une militante aguerrie racontait : « j’ai ressenti de la curiosité, une envie de discuter, une réaction très concernée quand on parle de contrôle. Je n’ai vraiment pas perdu mon temps ».

Troisième attente ce samedi : la jonction avec le peuple juvénile des ravers, révulsé par l’incroyable niveau atteint par la répression judiciaire expéditive de la teuf de Lieuron en Bretagne au moment des fêtes. En complément bien différent de la batucada, ces jeunes ont débarqué avec leur sound system roulant de fin de cortège, et avec du son aussi dans le fourgon de tête. A deux ou trois cents, ils ont déménagé l’ambiance habituelle, en jetant leurs corps indisciplinés dans la bataille. De quoi rappeler que toute manif pourrait être une fête. On aura noté deux slogans griffonés : « Plus de joie – Moins de loi », et « We dance together – We fight together ». Bien dit !

Dès le matin, le préfet avait indiqué quel type d’ordre sinistre ont à mettre en place les forces du même nom : six cars de gardes mobiles avaient pris place aux abords du Bat du peuple, le squat militant et culturel du quartier des Beaux-Arts, qui avait osé annoncer publiquement un concert de soutien dans l’après-midi. La question des gestes barrrières, des couvre-feux, des restrictions, se fait franchement politique. Dans le cortège – assumons-le – une minorité palpable semble honorer les circonstances en se défaisant de la contrainte du port du masque. Difficile de n’y voir que des complotistes égarés par l’extrême-droite. Sur ce point délicat, accordons droit au débat.

Sur un parcours, dans des espaces, et avec une ardeur inaccoutumés, le cortège est toujous resté effervescent, nerveux, débordant, non sans rappeler quelque chose des déferlantes de gilets jaunes, d’ailleurs présents en nombre non négligeable. En chemin, quelques graphs rageurs (ACAB!), et plusieurs nettoyages par le vide, hyper efficaces, de l’agression publicitaire sur les arrêts de tram, garderont les traces de l’humeur ambiante. Très divers en âges comme en profils, les manifestants auraient pu adhérer au slogan d’un manifestant appelant en free-style au micro à ce que « le samedi soit décrété le jour de la politique », la politique « de tous ». Il est à qui, le samedi ? A qui ? A qui ? A qui ?

Le très long, presque épuisant parcours, a permis quelques haltes symboliques bien frappées. Sur le grand rond-point des chaises à la sortie de La Paillade, un premier discours des organisateurs a dressé l’accablante synthèse des violences policières, qui font « qu’on ne peut plus parler de bavures ou de dérapages isolés ». Cette violence « est systémique ». Cela parce que « les gouvernements ont besoin de protéger et de soutenir les forces policières » qui sont pour eux « un élément clé pour soutenir leurs politiques, pour contraindre la société à des changements qu’elle ne veut pas ».

Stop, « il n’est pas possible d’accepter cela ; pas possible de vivre dans un tel pays ». Puis arrivé en centre-ville, c’est devant la Sécu qu’on s’interrogeait sur la nature de ces politiques qui génèrent tant de violence d’État. Les atteintes aux solidarités, les solutions ultra-libérales, la précarisation, génèrent la précarité, le malaise, les déchirures de la société, d’où découlent les marginalisations, la misère, les délinquances, et finalement l’aspiration délétère à des solutions autoritaires. Il faudrait donc « plus de sécurité sociale » (au sens large), et moins de « lois sécuritaires » (au sens répressif de réduction des libertés).

Armés de ces convictions, les manifestants se répandaient enfin sur la Comédie, et jusque sur l’Esplanade, façon teuf pour les uns, et pause repos pour les autres. C’était une place un peu folle, façon forum en liberté, plutôt que centre commercial déguisé. Alors il fallait que la police montrât comment elle déteste tout le monde, chargeant et gazant une cinquantaine de personnes, passants compris, et enfants dans le lot, qui ne faisaient que tarder un peu à se disperser. Le collectif a aussitôt condamné « cette gestion volontairement tendue de fin de manif par la police ». Plusieurs personnes ont été interpellées, dont trois emmenés au commissariat. Les enceintes auraient été saisis.

On ne sait si les commerçants vont s’émouvoir des exactions des fauteurs de touble en uniformes, qui peut-être cherchaient à créer prétexte à une future interdiction de rassemblement ? Car en pleine période de soldes, les défenseurs des droits à manifester, ont déjà pris rendez-vous pour le 30 janvier.

Photo de Elea Voltairine

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