Montpellier : un rapport décrit comment Ryanair a perçu illégalement de l’argent public

Elian Barascud Publié le 12 mars 2024 à 11:09
La compagnie aérienne low cost Ryaniair a bénéficié de 9,2 millions d'euros d'argent public entre 2010 et 2019 selon la Chambre régionale des comptes. (Photo d'illustration libre de droit de l'aéroport de Montpellier)

Entre 2010 et 2019, au mépris des alertes, la Chambre de commerce et d’industrie de Montpellier et les collectivités ont subventionné illégalement la compagnie aérienne low cost via l’Association de promotion des flux touristiques, qui fait l’objet d’un rapport de la Chambre régionale des comptes

Alors que des militants écologistes et des riverains de l’aéroport de Montpellier ont prévu de se réunir ce mercredi 13 mars 2024 à 18 heures sur la Préfecture pour demander le plafonnement du trafic aérien, l’info pourrait provoquer quelques turbulences. Au cœur des perturbations, l’Association de promotion des flux touristiques.

Créée en 2010 par la chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Montpellier avec des collectivités territoriales et leurs groupements, auxquels se sont adjointes quelques entreprises, l’association de promotion des flux touristiques et économiques (APFTE) a pour objet « la promotion et le développement du tourisme, y compris d’affaires, sur le territoire par des marchés de promotion, l’achat de publicité sur Internet et de prestations marketing ou tout autre support publicitaire telle que la participation à des oires et salons, pour attirer une clientèle internationale ». En pratique, elle a pour seule activité le subventionnement de lignes aériennes sur l’aéroport de Montpellier.

9,2 millions d’euros

La Marseillaise l’évoquait dans ses colonnes la semaine dernière, et l’affaire avait déjà fait du bruit en 2015, quand le PoinT (à ne pas confondre avec le PoinG) révélait que l’Association de promotion des flux touristiques (APFTE), créée par la chambre de commerce et d’industrie de l’Hérault, avait reversé les subventions qu’elle percevait des collectivités (Ville, Métropole, Département, Région) à Ryanair, via sa filiale via sa filiale Airport Marketing Services, basée sur l’île de Man, un paradis fiscal. Laurent Dublet, juriste pour Anticor 34, expliquait à l’époque que “l’association n’a pas payé d’impôts commerciaux et ne publiait pas ses comptes jusqu’à l’année dernière” (soit 2014),et évoquait une “coquille vide pour contourner la législation européenne interdisant les aides d’État.”

Une analyse corroborée par un récent rapport de la Chambre régionale des comptes, qui indique : “La création d’une structure associative recevant les subventions des collectivités et les reversant ensuite à quelques compagnies aériennes devait permettre aux personnes publiques de continuer à subventionner certaines lignes aériennes de l’aéroport de Montpellier sans que ces flux financiers ne puissent être assimilés à des aides d’État.”

En tout, on parle de 9,2 millions d’euros distribués à Ryanair entre 2010 et 2019. La Chambre régionale des comptes précise : “La décision du Tribunal de l’Union européenne ayant confirmé le caractère illégal des subventions versées, l’APFTE doit organiser la restitution de cette somme à l’ensemble des financeurs.” A noter que la compagnie a également déposé en février 2021 un recours en annulation devant le Tribunal de l’Union européenne, et un recours en date du 21 août 2023 à l’encontre de l’arrêt du tribunal de l’UE (selon un courrier envoyé par Kléber Mesquida, président du département de l’Hérault, à la Chambre régionale des comptes le 21 novembre dernier). Le jugement définitif n’a donc pas été rendu.

Critiques acerbes

Mais le rapport ne s’arrête pas là : il pointe du doigt “Une association sans autre activité que l’achat de prestations marketing aux compagnies aériennes”, contrairement aux activités mentionnées dans ses statuts, qui mentionnent “la participation à des foires et salons, pour attirer une clientèle internationale”.

Le document évoque également “un respect imparfait des règles applicables en matière de marchés” (absence de concurrence réelle et de vérification de bonne exécution des marchés),“l’absence de corrélation entre les aides versées et le développement du trafic”, et surtout, la continuité de ces aides malgré les alertes.

En effet, “Dans son rapport d’observations définitives portant sur les comptes et la gestion de la communauté d’agglomération de Montpellier (au titre des exercices 2010 à 2014), la chambre régionale des comptes avait souligné les risques inhérents au dispositif d’aides que la collectivité octroyait à quelques compagnies aériennes par le truchement de l’APFTE, démonstration qu’elle avait déjà soutenu dans son rapport portant sur la région Languedoc-Roussillon. Les subventions versées étant susceptibles d’être assimilées à des aides d’État illégales, la chambre avait recommandé à la communauté d’agglomération de Montpellier de « notifier préalablement à la Commission européenne tout nouveau projet de versement d’une subvention à l’APFTE et convenir avec celle-ci, qui bénéficie d’une subvention annuelle d’environ 400 000 €,d’une évaluation documentée des retombées économiques de ses actions de promotion ». Cette recommandation n’avait pas été mise en œuvre.”

En 2015 et 2016, la Préfecture de l’Hérault avait également demandé l’arrêt des subventions à l’APFTE à la Métropole, qui a continué de verser de l’argent jusqu’en 2018. Le rapport note également que les dispositions relatives aux statuts de l’association (notamment les cotisations) n’ont pas été respectées et que les décisions de la structures manquaient de traçabilité (on ne retrouve par exemple pas de procès-verbal du Conseil d’administration pour certaines périodes).

Les collectivités répondent

Dans sa réponse à la Chambre régionale des comptes, datée du 4 décembre 2023, Carole Delga, présidente de la région Occitanie, rappelle que “Si Ryanair a bien reversé cette somme de 9,206 M€ à l’APFTE, la compagnie a également déposé en février 2021 un recours en annulation devant le Tribunal de l’Union européenne. Dans l’attente d’un jugement définitif, l’APFTE n’a pas remboursé cette somme aux différents financeurs, dont la Région Occitanie pour 3 791 635 €.”

Elle précise que “La Région Occitanie a fait le choix, pour ce qui la concerne, de ne pas encore demander ce reversement […] même si ce reversement est nécessaire et légitime”, et ajoute que la Région “privilégie donc à ce stade la solution d’un maintien de la somme contestée dans les comptes de l’APFTE, qui assume pleinement le risque juridique et comptable de remboursement à Ryanair […] de manière à sécuriser sous dorme de créance le reversement de cette somme par l’APFTE à la Région en cas de clôture favorable pour nos intérêts du contentieux avec Ryaniair.”

La Ville de Montpellier, quant à elle, a tenu, dans sa réponse, à “confirmer qu’elle s’est tenue aux règles de droit en vigueur en suivant les recommandations de la préfecture de l’Hérault, et de ce fait, a mis fins aux versements dès que cela lui a été demandé”, et explique que la Chambre à tord de dire que la Ville a continué à verser de l’argent à l’APFTE après les recommandations de la Préfecture. La Ville a également demandé le remboursement de la somme qui lui revenait (707 464,47 €). La Métropole a fait de même, en demandant le reversement de 2 777 572,94 €.

De son côté l’APFTE précise qu’elle a bien organisé un système de restitution des sommes via des conventions, et que celle-ci est dépendante de l’issue finale du contentieux mené par Rynair devant les instances européennes.

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