« Nous ne sommes pas de la chair à canon » | Tribune des personnels du centre hospitalier d’Alès-Cévennes

Le Poing Publié le 27 mars 2020 à 14:07 (mis à jour le 28 mars 2020 à 15:05)
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Lettre rédigée par des personnels du centre hospitalier d’Alès-Cévennes membres du collectif des trois hémisphères, et approuvée par une cinquantaine de personnels, essentiellement des infirmiers :

« Ce courrier est rédigé dans le respect du devoir de réserve qui incombe à tout fonctionnaire mais également dans le cadre de notre obligation de servir l’intérêt général. Nous, personnels du Centre Hospitalier d’Alés-Cévennes (CHAC) […], dénonçons par la présente la gabegie qui frappe les plus hautes instances de l’État.

Au mieux, la zizanie découle d’un cafouillage lié à l’inexpérience d’une équipe mal conseillée et mal préparée face à une crise sanitaire majeure. Nous laissons chacun juger de l’acceptabilité d’une telle incurie. Au pire, il s’agit d’une politique volontaire en vue de favoriser la contamination. Le but à demi-avoué de cette politique est l’immunisation de masse de la population qui rendrait de fait le virus inoffensif.

Nous tenons à remercier la population pour son soutien envers les soignants, néanmoins nous tenons à préciser que le meilleur des remerciements reste encore le respect des règles de confinement. Le confinement permet en effet de freiner la contamination, de repousser l’arrivée de la vague et d’échelonner les arrivées en réanimation. De même, en ces temps de pénurie de masques FFP2 (dits « canards »), nous demandons à la population de ne pas céder à la panique et laisser aux professionnels (sachant s’en servir) la priorité de ce matériel sous peine de voir rapidement l’ensemble des soignants et des hôpitaux en perdition. Contrairement à ce que prétend le gouvernement, l’utilisation de masques maison n’est pas dangereuse, il suffit des les changer toutes les quatre heures et de les laver au minimum à 60°C durant une heure puis de les mettre à sécher […].

Les soignants ne sont pas des surhommes (ou des super-héroïnes), certains d’entre nous sont âgés, d’autres ont des maladies, des comorbidités. Des facteurs de risque dont on ne sait pas s’ils seront pris en charge par l’administration hospitalière, toute puissante. Pour reprendre les éléments de langage de notre cher Président, l’hôpital gère son personnel comme de la chair à canon, fantassins remplaçables envoyés en première ligne. Déjà asphyxiés avant la pandémie, tous les soignants de France se demandent qui les remplacera quand ils seront malades. Au moment où nous écrivons ce texte, plusieurs médecins sont morts, certainement pas les derniers. Nous présentons nos condoléances à leurs familles.

[…] Nous comprenons la nécessité de ne pas tuer l’économie du pays mais des ordres tels que ‘‘ne sortez pas mais allez bosser’’ ne peut que créer un sentiment d’incompréhension dans la population, le but est-il de freiner la contagion ou de défendre une économie déjà moribonde ? Le secteur du bâtiment PACA a fait entendre par la voix du président de sa fédération que tous les chantiers s’arrêteraient faute de protections respiratoires efficaces…

La panique est partout, la gabegie dont nous parlions plus tôt touche tous les secteurs, elle s’écoule du sommet de l’État jusque dans l’ensemble de la société, les patients comme les soignants n’y font pas exception et les situations de stress et de violence vont aller en se multipliant au sein de la population. Cela commence déjà.

Nous craignons qu’au final ce soit toute la population qui soit infectée dans les délais les plus brefs. En effet, actuellement, le virus se propage de proche en proche très rapidement et le confinement souple décidé la semaine dernière par le gouvernement ne l’empêche pas du tout de circuler, cette circulation n’a rien à voir avec un prétendu caractère français, on veut trop souvent nous faire croire que le français est rétif à l’autorité. Nous pouvons nous demander si ce n’est pas l’autorité française qui serait rétive aux citoyens placés sous sa responsabilité.

Nous sommes tous conscients que le confinement souple mais contrôlé par l’État est une politique criminelle car elle va provoquer une flambée de la contamination et une recrudescence des cas graves avec saturation rapide des services d’urgences et de réanimation. On ne peut que craindre une évolution à l’italienne de la situation, c’est-à-dire que la politique actuelle va nous mener à une hécatombe.

Après les déclarations sur l’innocuité de la maladie ou l’impertinence des masques, la nécessité de se confiner mais le maintien des élections municipales, la mise sous cloche du discours des épidémiologistes et la promesse d’un vaccin dans les prochains mois, l’interdiction de voir ses amis ou ses proches opposée à l’obligation de se rendre à son travail en cas de télétravail impossible, comment accuser la population d’être rétive à l’autorité ? Les gens sont simplement réalistes, le discours officiel n’a ni queue, ni tête.

Aucun d’entre nous n’est épidémiologiste mais ceux-ci tentent par tous les moyens d’informer la population, par ailleurs les autorités chinoises ont mis en ligne l’ensemble de leurs données épidémiologistes, les chiffres sont donc accessibles à tous. Il y a aussi des conclusions qui découlent du bon sens, diminuer le taux de contamination paraît essentiel, afin de permettre aux hôpitaux d’absorber la déferlante de malades, baisser le nombre de soignants en exercice permettrait de constituer une réserve quand la première ligne sera décimée, redéployer les effectifs là où il y en a réellement besoin, mettre les soignants fragiles (âge, comorbidités) de côté, ils ne seront d’aucune aide une fois infectés ne rajoutant que du pathos à une situation qui est d’ores et déjà dramatique, confiner les équipes à proximité de leurs lieux d’exercice en dehors de chez eux pour éviter de détruire des familles. […]

Déjà dans certains hôpitaux les intérimaires ne sont pas renouvelés. Les économies de bouts de chandelle devraient-elles encore avoir cours en ces temps de pandémie ? Nous aimons notre travail et nous voulons l’exercer dans le respect des bonnes pratiques. Nous ne voulons pas nous soustraire à nos devoirs mais nous exigeons de les exercer dans les meilleures conditions, c’est-à-dire celles qui respectent également nos droits.

Nous ne sommes pas des données probabilistes […] Nous et nos patients, nous sommes des individus avec une histoire, une famille, des envies et des désirs, des projets. Pas des 1 ou des 0 dans un programme informatique, pas des cartes d’électeurs, pas de la chair à canon pouvant être sacrifiés sur les autels de la fierté de tel ou tel politicien aveuglé par son propre pouvoir.

Il n’y a pas de masque, pas de possibilité de réaliser des dépistages mais il faut freiner la propagation du virus s’il en est encore temps, tout le monde doit porter un masque fût-il en tissu, confectionné à la maison. Nous demandons dès à présent un confinement strict et total de l’ensemble de la population française. Nous espérons que ces […] mesures permettront de limiter le nombre de décès dans notre pays.

Nous exigeons également de notre Président et de son équipe, ainsi que de nos administrations une information juste et transparente. Nous demandons à être considérés, entendus et écoutés. »

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