« Policier outragé » : une instruction intégralement à charge démontée devant la cour d’appel de Montpellier

Le Poing Publié le 22 novembre 2019 à 18:08
Militant et journaliste au Poing, Jules Panetier contre-attaque face au harcèlement policier et judiciaire dont il est l’objet.

L’affaire est parfaitement sérieuse. Néanmoins, à la barre, Jules Panetier s’autorise un instant à dérider l’atmosphère : « Si tous les citoyens régulièrement menacés, insultés, frappés par la police venaient ici se plaindre et réclamer des dommages et intérêts, une bonne partie du problème de la pauvreté serait résolue dans ce pays » s’exclame-t-il. Retour à la case sérieuse : c’est qu’il est en train de dénoncer « le dédommagement business » que pratiquent les fonctionnaires de police intéressés à se voir octroyer des sommes quand ils engagent des actions en justice pour outrage.

Juste auparavant, ce vendredi 22 novembre devant la cour d’appel de Montpellier, l’avocate Florence Rosé avait décortiqué cet aspect particulier de l’affaire jugée ce jour. Très particulier à ses yeux, puisque l’indemnisation des avocats de ces fonctionnaires est par ailleurs automatiquement pris en charge par l’État. Ainsi ferait-on coup double, aux frais du contribuable, puis des condamnés.

En l’occurrence, Jules Panetier devrait verser 400 euros de dommages et intérêts, et 400 autres au titre des frais de justice, à un policier montpelliérain qui le poursuit pour outrage. Cela s’ajoutant à une peine de deux mois ferme (sans mandat de dépôt). Mais si tu ne te reconnais pas coupable de ce dont on t’accuse, alors fais appel de ton jugement. Jules Panetier applique ce précepte : « Je suis totalement innocent, et de surcroît j’ai déjà accompli une peine très sévère, puisque soumis pendant des mois à un contrôle judiciaire particulièrement astreignant » dénonce la victime de cette condamnation en première instance.

L’affaire remonte au contexte des manifestations contre la Loi Travail et du squat du Royal Occupé. Jules Panetier est un militant connu en ville. Il est également journaliste, à l’initiative de la publication du Poing (dont on est en train de lire ici la version internet). Ce nouveau média indépendant anticapitaliste, consacré aux luttes, connaît un réel succès d’audience. Quant au militantisme de Panetier, il est de la trempe qui anime tout un secteur de la jeunesse (et pas que) montpelliéraine, dont la ténacité se vérifie encore à ce jour dans le mouvement des gilets jaunes.

C’est ainsi qu’un jour de novembre 2016, Jules Panetier – régulièrement insulté, intimidé, menacé, ici et là par des policiers, y compris en-dehors d’actions militantes – est purement et simplement interpellé dans la rue. Cette forme traumatisante d’enlèvement a été préférée à ce qui aurait pu être une convocation régulière, alors que son adresse en ville est parfaitement connue. Ce point a de nouveau été soulevé en audience d’appel ce vendredi.

Ainsi placé en garde à vue, Jules Panetier apprend qu’il aurait à plusieurs reprises dans des rassemblements des mois antérieurs, précisément agressé verbalement un seul et même fonctionnaire, en le traitant de « pédophile, violeur d’enfants ». Son autre avocat, maître Alain Ottan souligne le caractère complètement absurde de tels propos et prise de risque, dans la bouche de son client « instruit et intelligent », émetteur d’opinions influent, au discours des plus construits concernant la police – et par tous ces aspects honni de cette dernière.

Le procès en appel pourrait se résumer, avant même son déroulé au sens strict, par le simple recours en nullité de la procédure d’instruction, préalablement déposé par la défense. « La victime, partie civile, est un policier. Les seuls témoins entendus dans le cadre de l’enquête sont des policiers. Cela au cours d’une garde à vue où le prévenu est entendu par des policiers du même service que la partie civile. Les mêmes qui ont procédé à l’interpellation. Tout cela se déroulant dans le commissariat auquel sont rattachés tous les policiers concernés, accusateur, témoins à charge et enquêteurs ».

Cela sans qu’il y ait eu confrontation, ni auditions de témoins éventuellement favorables au prévenu, celui-ci étant « pris dans une nasse procédurale ». Selon l’avocat, tous les éléments sont ici réunis pour dépeindre une procédure « profondément déséquilibrée, contraire aux arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme ». Précisément, Jules Panetier proteste : « Je ne sais même pas qui est le policier qui m’accuse. C’est d’autant plus scandaleux que je suis par ailleurs interdit d’entrer en contact avec lui ! Mais qu’on me dise avec qui ! ».

Maître Florence Rosé rappelle ce principe intangible selon lequel ce n’est pas à un prévenu de faire la preuve de son innocence, mais tout au contraire à l’accusation de faire la preuve de sa culpabilité. En l’absence de tout fait matériel, il ne reste que l’intime conviction pour inspirer un jugement, lequel renvoie à cet autre principe intangible que s’il y a doute – c’est pour le moins le cas lorsqu’on en est à parole contre parole – alors le bénéfice du doute verse au profit de l’accusé.

Face à quoi, la partie civile a adopté une ligne « légitimiste » selon laquelle, dans un État de droit, une procédure est une procédure, dont on ne saurait mettre en doute la validité. Faisons donc confiance absolue à cette enquête policière en boucle. Tout un pinaillage s’est ensuivi, à propos de la mauvaise qualité des photocopies de déclarations écrites de témoins versées au dossier par la défense. Grave. Et si on ne montre pas à Jules Panetier une photo lui permettant de reconnaître qui est son accusateur parmi les policiers qui ont coutume de le harceler, c’est parce que cette photo pourrait être à la base d’une filature sauvage, possiblement attentatoire à la sécurité du fonctionnaire jusque dans sa vie privée – un bon sujet de polar.

Enfin le dilemme moral du juge serait qu’en prononçant la relaxe il permettrait à Jules Panetier de triompher, et en confirmant sa condamnation il le renforcerait dans sa rhétorique de dénonciateur des abus policiers et judiciaires. Ce pervers. On pensait que le Ministère public, certes accusateur, représentait les intérêts supérieurs de la société. L’avocat général de ce vendredi n’aura pas pris autant de peine, puisque désignant d’un geste l’avocat de la partie civile, quelques secondes lui suffisent à estimer que « tout a été dit ». Quand le Ministère public se satisfait de ventriloquer l’une des parties – comme par hasard : la police – il pourrait y avoir matière à s’« étonner » (enfin, pour qui veut encore s’étonner…)

Jules Panetier aura eu une dernière contre-attaque carrée : « la police ment ! » Et cette mise en perspective : « en 2016 commençait à se répandre le fameux ‘‘Tout le monde déteste la police’’. J ‘y ai contribué. Depuis lors il a gagné des pans entiers de la société et tout le monde, à part Castaner, convient qu’il y a un très grave problème avec le maintien de l’ordre dans ce pays. Particulièrement avec les membres de la brigade anti-criminalité, et de la compagnie départementale d’intervention. Quand ils entendent ce slogan, ils le comprennent comme une insulte. Or ce n’est qu’une opinion, qu’ils ne peuvent poursuivre. Alors ils inventent d’autres insultes, de toute pièce ».

Jugement mis en délibéré au 10 janvier 2020.

Une cinquantaine de soutiens étaient présents, répartis entre la salle d’audience et l’entrée du palais de justice.
Une trentaine de policiers de la compagnie départementale d’intervention étaient mobilisés.

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