Pourquoi exiger l’abolition de l’Etat ?
L’abolition de l’Etat, du pouvoir capitaliste, et les vecteurs de cette abolition
L’abolition nécessaire du droit formel bourgeois qui fonde la propriété privée des moyens de production, renvoie à l’abolition nécessaire de l’Etat en tant que tel, puisque c’est bien l’Etat qui fait exister et maintient ce droit. Il n’y a pas d’abolition des catégories capitalistes sans abolition de l’Etat. En effet, l’Etat n’est jamais que la marchandise, la valeur, le travail, et l’argent, eux-mêmes, dès lors qu’ils prennent une forme « politique ». L’Etat ne fait que gérer ces catégories, leur mouvement, leur développement, et leur distribution. L’Etat ne fait que gérer, mécaniquement et bureaucratiquement, une extorsion de la plus-value, un vol institutionnalisé, qui devra être le plus « régulé » possible. Il organise méthodiquement et patiemment l’exploitation, la déshumanisation, et la réification(1) générale. Les individus exigeront dans un premier temps que l’Etat leur rende des « droits » qu’ils perdent toujours plus, mais à chaque fois, au fil de ces revendications, ils comprendront toujours plus la nécessité d’abolir les formes abstraites-réelles destructrices qu’il développe de façon morbide. La marchandise, l’argent, le travail, la valeur, sont la misère en soi. L’Etat n’est que la forme politique de ces catégories.
L’Etat sera la gestion politique de la misère, de la dislocation des sujets, de leur déprise et de leur dépossession, il sera le plus grand défenseur de la logique qui fait que les sujets ne peuvent plus du tout vivre tout ce que leur vie contient, à titre de totalité concrète et vivante, de multiples potentialités, virtualités, intentions, il sera le principe politique de ce qui vole nos vies.
L’Etat, que « nous » sommes donc aussi, soigne, éduque, instruit, étudie, gère, protège, sécurise, pacifie, surveille, punit, harmonise, régule, légifère, juge, enferme, cloisonne, transporte, déporte, transmet, communique, représente, administre, socialise, spécialise, rend « compétent », « efficace », humanise, féminise, virilise, occidentalise, orientalise, discrimine, distingue, intègre, désintègre, catégorise, juge, et ce toujours dans un seul même but : rendre possible l’extraction d’une valeur « réelle » toujours plus « illusoire », en provoquant la déréalisation toujours plus consentie du principe qui « réalise » les individus sociaux en tant qu’il les réifie, pour les atomiser et les décomposer complètement finalement.
Si nous avons fait du soin, de l’éducation, de l’écoute, de la sociabilité attentive, de la transmission, de la justice au sens strict, de la paix, de l’amour, les principes de notre vie, de notre activité quotidienne, les buts mêmes de notre existence, alors nous ne pouvons pas tolérer que de tels principes ne soient plus que des instruments « spécialisés » et disloquants, que des moyens inessentiels, que des outils idéologiques ou pratiques de conditionnement, d’encadrement, d’enfermement, de violence symbolique et réelle, d’oppression contre les femmes, contre les individus assignés à une « race », à un « genre » déqualifiant, à une « sexualité » clivante, à une « infirmité » quelconque, des instruments au service d’une exploitation et d’une déréalisation des individus qu’il s’agirait de « réguler ».
Si vraiment nous donnons du sens à notre activité quotidienne, mais si hélas nous ne sommes jamais que des « fonctionnaires » qui « fonctionnent », par exemple, et que pour nous la découverte et le partage des livres et des savoirs, le soin au sens global, la défense des plus vulnérables, la recherche, l’aide, la pratique solidaire, l’écoute, la transmission, sont pourtant beaucoup plus que de simples « fonctions mathématiques », quantitativement appréhendées, mesurées, que toutes ces activités sont avant tout pour nous des combats réels qui importent, des rencontres vraies entre subjectivités vibrantes mais souffrantes, que le formalisme abstrait et bureaucratique de l’abstraction étatique ne saurait recouvrir complètement, alors nous ne pouvons continuer à vouloir nous voir réduits de la sorte, et nous devons bien souhaiter sortir nous-même du cadre étatique-capitaliste (le comble du comble, soit dit en passant, c’est que ce discours pourra presque concerner certains « hauts » « représentants » de l’Etat « républicain » lui-même, tels qu’ils auront vécu peut-être un passé renvoyant à ce qui est dit là, quoiqu’ils ne s’en rendront jamais compte, hélas).
Auto-abolition au moins partielle de l’Etat, que « nous » « sommes », un idéal régulateur, à toujours différer quelque peu, de ce fait.
Critique d’une tendance actuelle à naturaliser la catégorie moderne de l’Etat
Mais entrons dans le vif du sujet, c’est-à-dire dans la polémique. Une proposition sincère et vécue, hélas, sera toujours parasitée par les « mouches de la place publique », pour paraphraser un philosophe qu’il serait malvenu de nommer ici. On n’entendra donc plus ce qui se dit là, on supposera qu’un nouveau désir vain de s’exhiber publicitairement se manifeste encore, car précisément, certains publicitaires officiels de la pensée « critique », qui n’incarnent plus leurs paroles, essentiellement phatiques(2), depuis longtemps, auront déjà monopolisé le débat en ce qui concerne ces sujets, pour remplir leur fonction d’idéologues à la botte des puissants : la fonction qui consiste à constamment constituer des écrans de fumée pour que l’essentiel, l’évidence, le scandale, ne soit surtout pas dit.
Prenons donc au hasard l’un de ces idéologues (sélectionné à partir d’un échantillon représentatif et rigoureusement randomisé), et considérons que les objections que nous lui ferons s’adresseront à tous ceux qu’il « représente », puisqu’il n’est jamais, en vertu d’une autoréification pernicieuse, que l’exemplaire parmi tant d’autres d’un « type » d’individus pseudocritiques particulièrement en vogue aujourd’hui.
Lorsque Frédéric Lordon nous parle d’ « Etat », il nous parle de quelque « Etat général », de quelque mode d’organisation traversant toutes les sociétés humaines dans l’histoire, qui se fonderait sur quelque verticalité vague, sur quelque « affect commun » spinoziste, sur quelque transcendance confuse et purement théorique du « social » – holistique ou « durkheimienne », par exemple (Cf. Lordon, Imperium, chapitres 1, 2, 3 et 4).
Ses deux références théoriques pour fonder une telle « généralité » transhistorique de « l’Etat », Spinoza et Durkheim, comme références très historiquement déterminées (Hollande libérale du XVIIe siècle, sociologie française bourgeoise), renverront bien sûr à une façon de projeter une vision du monde moderne, bourgeoise, idéaliste, et donc en rien « universelle » ou « transhistorique », sur une réalité prémoderne, de façon tout à fait anachronique et non rigoureuse. La “nature humaine” affective d’un Spinoza, ou la méthodologie « scientifique » de la sociologie durkheimienne, si elles prétendent décrire une “nature” de “l’homme” et des « sociétés », ne sont bien sûr que des auto-contradictions, puisqu’un tel naturalisme n’a lui-même rien de naturel ou d’éternel, mais demeure inscrit dans un projet productif moderne très situé. C’est sur la base d’une aberration épistémologique de principe que Lordon développe donc finalement des discours vides et dont la portée est exclusivement idéologique.
Cet « Etat général » lordonien, qui n’existe que dans la tête d’un économiste (petit-)bourgeois, par sa non-spécificité, renverra, au premier abord, au désir cyniquement masqué de faire passer notre Etat-nation moderne, gestionnaire de la dépossession, colonialiste, raciste et patriarcal, pour une forme en elle-même indépassable et immuable. Il apparaîtra d’abord comme un outil idéologique fondamentalement contre-révolutionnaire, de la même manière que les outils idéologiques des économistes bourgeois par lesquels ils naturalisent les catégories de la valeur, de la marchandise, du travail, et de l’argent, tendent à faire passer le système capitaliste pour un système naturel et éternel, qu’il serait donc vain de combattre.
Lordon nous dira, de façon très étrange, que « l’Etat général », cet élément de « transcendance » qui serait propre à toute organisation collective, régirait non seulement la politique moderne bourgeoise, mais aussi les communes libertaires fédéralement liées entre elles, puisque le principe de la fédération suppose des éléments de « verticalité ». Mais identifier toute « verticalité » au principe « étatique » repose en fait ici sur un glissement conceptuel purement rhétorique, non rigoureux, et absolument pas sérieux, qui n’apporte absolument rien en termes de description de la réalité effective et vivante, mais qui apporte certes beaucoup du point de vue d’une idéologie désireuse de masquer la concrétude des rapports sociaux. Rappelons simplement que la verticalité fédérale du communalisme libertaire, verticalité toute relative, et non nivelante, puisque partant radicalement de l’horizontalité de la base, et s’opposant à toute forme de centralité « politique », est par définition la négation du principe étatique en lui-même, principe étatique qui n’est rien d’autre que le principe « politique »-séparé moderne, bourgeois, par excellence, certes tributaire également, mais de façon relative, en Europe, du monarchisme absolutiste. L’Etat-nation en lui même, en effet, avec ses frontières relativement fixes et délimitées, sa juridiction formelle fondée sur un « droit » défendant la propriété privée, son appareil militaire et policier, est avant tout une nécessité du point de vue d’un libre-échange moderne qui tend à se mondialiser toujours plus, dans la mesure où les partenaires ou concurrents économiques devront avoir des contours bien dessinés, des systèmes de défense et des formes juridiques homogènes, pour entrer dans la guerre économique globale.
Mais un doute nous vient soudainement. Oui, peut-être au fond ne devrions-nous pas critiquer Lordon de la sorte, puisqu’il aura admis qu’il défend lui-même « l’Etat général » (il le doit bien, puisqu’il serait avec lui une nécessité éternelle), et qu’il admet que le communisme libertaire lui sera également soumis, si bien qu’il n’est pas exclu qu’il puisse un jour « défendre » ce communisme libertaire. Mieux, il affirme en fait lui-même, plus loin dans son ouvrage, que nous devrions tâcher de nous émanciper quelque peu dudit « Etat général » (chapitre 9, « Tendre vers l’universel »). Il se rapprochera donc « dangereusement » des libertaires, cela semble de plus en plus évident. Il pourrait bien substituer aux « affects communs » fondant les « communautés » en tant que passifs (auto-affection des supporters de foot nationalistes, par exemple), l’idée d’une « raison » agissante fondant des « affects actifs » (étant ici assez spinoziste, à nouveau). Il pourrait donc tout à fait lui-même devenir un défenseur du communisme libertaire, dans la mesure où celui-ci correspondrait bien à ses critères d’une structure politique non seulement « naturelle » (l’Etat général est maintenu dans cette collectivité fédérale selon lui), mais aussi plus « saine » (les individus sont plus émancipés à l’égard dudit « Etat général » dans cette forme d’auto-organisation, moins soumis aux affects passifs, et plus « intégrés » à l’universel). Peut-être donc avons-nous d’emblée mal interprété son geste, en supposant que son concept essentialiste était purement idéologique, et favorable à la bourgeoisie. Il se pourrait donc bien qu’il nous rejoigne finalement, et qu’il devienne un jour, lui aussi, libertaire (par politesse et pudeur, toutefois, nous ne lui dirons pas que ce qu’il appellera encore assez bêtement « Etat général » ne sera en fait qu’une forme d’auto-organisation fondée sur le partage et la sociabilité concrète et vivante, qui aura exclu depuis bien longtemps toute forme étatique-séparée transcendante et abstraite).
Seulement, les choses hélas ne s’arrêtent pas là. Car, au fond, Lordon voudra-t-il être vraiment un « critique du capitalisme » effectivement cohérent, en prônant l’abolition de l’Etat-nation moderne, au profit de formes d’organisations non marchandes et non formellement séparées des individus ? Certainement pas, et cela est très explicite si l’on considère l’ensemble de son « œuvre » et de son « engagement » (nationalisme flou et tendancieux dans Imperium, tendances régulationnistes pour « relancer la croissance et l’emploi », dans ses articles du Monde diplomatique, ou dans le « Manifeste des économistes atterrants », qu’il a co-signé, flirt avec les protectionnistes du Front de gauche ou du torchon Fakir, etc.). Il s’agit bien plutôt pour lui d’insinuer que, puisqu’après tout le communalisme libertaire serait aussi une forme d’étatisme, ce seront bien les libertaires qui devront se ranger dans le rang, et cesser de critiquer l’Etat moderne sous sa forme autoritaire, centralisée et bourgeoise. La finalité étant bien, avec Lordon, comme on le sait, une sorte de keynésianisme un peu radicalisé, mais qui ne change pas essentiellement les fondements de la structure marchande, de l’exploitation, et de la dépossession institutionnelle, avec en arrière-fond un sentiment national naturalisé (naturalisé en vertu d’une interprétation spinoziste des « affects communs », certes contrebalancés par des affects plus actifs, plus « raisonnables », mais de façon très relative, avec tous les écueils, déjà relevés, que cela suppose, sans parler de la dérive fascisante qui sera toujours liée à l’idée d’une naturalité du « sentiment national »).
Il n’y a pas d’« Etat général ». Il n’y a que des idéologues, se situant du côté des puissants, qui tendent à naturaliser, à projeter dans quelque généralité transhistorique confuse, des catégories purement modernes, et en tant que telles vectrices d’aliénation et d’oppression, pour rendre plus naturel le monde lamentable qu’ils défendent, et donc pour que nous ne voulions plus le combattre.
Il n’y a pas d’« Etat général », pas même d’un point de vue purement théorique ou épistémologique. Comme l’indique Hegel, c’est la déterminité d’un concept, sa différenciation, son ancrage historique, sa projection dans un devenir complexe et pluriel, réfléchie finalement en elle-même, qui fait sa consistance et sa teneur, sa densité et sa force. Le concept d’« Etat général » lordonien n’est qu’une pure extension qui n’a pas la force de se rassembler, et qui exhibe impudiquement, de façon lamentable, un pur souci d’édifier un lectorat hébété et sans orientation (certains électeurs du Front de gauche, ou certains lecteurs de Fakir, par exemple). Il est comparable aux concepts creux que les romantiques, qui ont tant agacé Hegel en son temps, proposaient pour en imposer à un public qui ne voulait plus penser, mais ressentir, être ému, soulevé, édifié (« intuition absolue », « Dieu », « Moi », « être », etc.).
Mais l’être purement indifférencié est identique, strictement, au néant, nous rappelle Hegel, il ne faudrait pas l’oublier (Phénoménologie de l’esprit, I, « La certitude sensible »). Et il ne faudrait pas oublier non plus que la philosophie romantique, édificatrice (et nationaliste), annonçait déjà les phénomènes de la société de masse, de la massification des consciences au sein, précisément, d’un affect commun (sublime, extase, crainte, horreur, etc.), et non plus d’un projet réflexif, critique, et actif, collectif-commun. Certains considéreront que cette massification à dimension affective ou esthétique sera la condition de possibilité du totalitarisme moderne (cf. Benjamin, Arendt, Nancy, Lacoue-Labarthe).
Par ailleurs, enfin, concernant cette question d’une « raison » fondant des « affects actifs » (Imperium, chapitre 9), qui pourrait venir contrecarrer de tels « affects passifs », sans pour autant abolir complètement leur prétendue « unité organique communautaire » qui fonde pourtant leur passivité de principe (« raison » donc qui pourra être spinozienne, kantienne, ou bourgeoise en général, mais purement formelle en dernière instance), nous rappellerons qu’elle n’est, dans la bouche d’un idéologue keynésien, que le devenir-pseudo-éthique d’une rationalité instrumentale unidimensionnelle purement fonctionnelle, dont la « régulation plus vertueuse » ou l’emploi « réajustant » ne fera que confirmer l’extension du désert et de la désolation (Cf. Adorno, Horkeimer, Benjamin, Marcuse, Arendt). Elle s’opposera donc également de fait audit projet réflexif, critique et actif, collectif-commun, révolutionnaire en soi, que nous défendons, qui n’est rien d’autre qu’un projet de lutte de tous les individus réifiés ou dominés, vers le post-capitalisme au sens strict (non-autoritaire, non-étatique, non-économique).
Tout ceci étant donc dit avec Hegel (qui critique simultanément la pensée romantique et le formalisme d’entendement), mais aussi contre lui (qui sombra finalement dans ces écueils qu’il dénonça, en sacralisant une forme étatique abstraite et édifiante, et qui sera « devenu » vraiment cohérent avec Marx, en tant que Marx prône finalement un post-capitalisme non- étatique). C’est-à-dire, finalement, pour Hegel (pour qu’il cesse de se contredire).
Mais ne nous éloignons pas trop, et répétons que, dans une perspective hégélienne, ou plutôt marxienne, historique et matérialiste au sens strict, « l’Etat général » lordonien n’a aucune consistance, ses déterminités étant absentes, et la force pour les rassembler également. « A ce dont se satisfait l’esprit, on peut mesurer l’ampleur de sa perte ! »(3).
« Ces rêves innocents et puérils forment le noyau de la philosophie actuelle des NéoKeynésiens, qui, en France, n’est pas seulement accueillie par le public avec un respect mêlé d’effroi, mais est présentée par les héros philosophiques eux-mêmes avec la conviction solennelle que ces idées d’une virulence criminelle constituent pour le monde un danger révolutionnaire. Il s’agira bien de démasquer ces moutons qui se prennent et qu’on prend pour des loups, de montrer que leurs bêlements ne font que répéter dans un langage théorique les représentations des bourgeois occidentaux, et que les fanfaronnades de ces commentateurs philosophiques ne font que refléter la dérisoire pauvreté de la réalité du capitalisme mondial. Il s’agira bien de ridiculiser ce combat philosophique contre l’ombre de la réalité, qui convient à la somnolence habitée de rêves où se complaisent les individus réifiés, et de lui ôter tout crédit.
Naguère un brave homme s’imaginait que, si les hommes se noyaient, c’est uniquement parce qu’ils étaient possédés par l’idée de la pesanteur. Qu’ils s’ôtent de la tête cette représentation, par exemple, en déclarant que c’était là une représentation religieuse, superstitieuse, et les voilà désormais à l’abri de tout risque de noyade. Sa vie durant il lutta contre cette illusion de la pesanteur dont toutes les statistiques lui montraient, par des preuves nombreuses et répétées, les conséquences pernicieuses. Ce brave homme, c’était le type même des philosophes révolutionnaire néo-keynésiens post-modernes. Aucune différence spécifique ne distingue l’idéalisme keynésien de l’idéologie de tous les autres peuples. Cette dernière considère, elle aussi, que le monde est dominé par des idées, que les idées et les concepts sont des principes déterminants, que des idées déterminées constituent le mystère du monde matériel accessible aux philosophes. »(4)
« Le désert croît. Malheur à qui protège le désert ! » (Anonyme)
Cette digression était nécessaire, car l’idéologie, même et surtout l’idéologie « réformiste » dite « extrême » (ou qui peut même se dire, de façon absolument aberrante, « révolutionnaire » : on ne parle pourtant que de mélenchonisme, de keynésianisme ici !), cette idéologie donc parasite toujours la compréhension claire des enjeux de la critique, de telle sorte qu’elle fera apparaître un discours radical cohérent comme un discours de forcené, ou d’adolescent naïf et inconséquent (tel est bien son rôle explicite). Pourtant la naïveté et l’inconséquence, l’idéalisme et l’utopisme seront plus du côté de ceux qui tiennent à simplement réaménager le capitalisme, en considérant donc implicitement qu’il est éternel, et qu’il se prolongera indéfiniment (bêtise folle, puisque nous voyons que le capitalisme s’autodétruit asymptotiquement, et que le sens de cette asymptote pouvait bien renvoyer à une disparition précoce de tout ce qui est humain, vivant, ou terrestre) ; là où la lucidité, le pragmatisme, le réalisme, et la conscience « adulte » et responsable seront plutôt du côté de ceux qui identifient l’absurdité consistant à vouloir édifier, à vouloir construire sur un sol qui se dérobe toujours plus, et l’urgence qu’il y a à anticiper le passage nécessaire à des formes radicalement autres d’auto-organisations collectives, au niveau le plus universel, au niveau cosmopolitique, dans la mesure où la désolation elle-même s’est globalisée.
Nous inverserons donc les rôles, pour que chacun reste à la place qui est la sienne, et ce en tant que libertaires radicalement critiques, et cohérents, défendant un post-capitalisme au sens strict, et nous traiterons donc Lordon, ce niais ivre de fétiches, avec la même condescendance qu’il a utilisée pour, pense-t-il, nous « dégriser » ou nous « déniaiser », dans son prêt-à-penser indigent (Imperium), et cette fois-ci de façon tout à fait légitime.
(1) Réification : Transformation effective d’un rapport social, d’une relation humaine en « chose », c’est-à-dire en système apparemment indépendant de ceux pour lesquels ce processus s’est effectué. (Le concept de réification est dû à Marx ; mais il a été surtout développé par Lukács.)
(2) En linguistique, la fonction phatique d’un énoncé est le rôle que joue cet énoncé dans l’interaction sociale entre le locuteur et le destinataire, par opposition à l’information effectivement contenue dans le message
(3) Hegel, Phénoménologie de l’esprit, Préface.
(4) Détournement de la Préface de l’Idéologie allemande
Extrait de La lutte contre la loi travail XX. Finalités révolutionnaires, stratégies possibles, internationalisme, Benoit Bony Bunel, septembre 2017, disponible en intégralité ici.
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Les photos qui accompagnent l’article ont été prises par Marie Ponsar lors de la manifestation nantaise contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes du 22 février 2014
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