Procès pour récupération de nourriture à Montpellier : « on réclame la relaxe pour faire jurisprudence »

Le Poing Publié le 3 octobre 2018 à 16:11 (mis à jour le 26 février 2019 à 23:33)
Rassemblement de soutien aux « voleurs » de nourriture convoqués par la cour d'appel de Montpellier, le 2 octobre 2018

Les trottoirs devant l’entrée de la cour d’appel de Montpellier ne sont pas habitués à tant de convivialité. Une vingtaine de personnes se sont rassemblées hier midi pour partager une cantine populaire issue d’aliments récupérés la veille dans les poubelles de supermarchés. En quantité gargantuesque et en libre accès, les vivres ont fait le bonheur des quelques passants curieux. L’objectif de cette mobilisation : soutenir trois personnes jugées hier en appel pour avoir « voler » de la nourriture dans des poubelles, et alerter la population sur le gaspillage industriel.

« On réclame la relaxe pour faire jurisprudence »

Entre deux délices, Le Poing a causé avec deux des accusés, A. et L., : « La récup’, ça désigne le fait d’aller prendre la nourriture qui est disponible dans les poubelles des supermarchés, des marchés, des commerçants, etc. Sil y a assez de nourriture, cela peut même inclure la redistribution. On a deux raisons de se lancer dans la récup’ : avoir de la nourriture gratuite quand on manque d’argent, et protester contre le gaspillage énorme dans les supermarchés. » Lors du premier procès en février 2015, les trois prévenus ont été déclarés coupables d’avoir volé des denrées périmées dans des supermarchés, avec trois circonstances aggravantes : en réunion, de nuit et avec escalade. « Mais nous avons été dispensés de peine » précise A., qui explique pourquoi L. et lui ont fait appel : « On a eu une belle couverture médiatique, avec un gros mouvement de solidarité, parce que le premier jugement tombait pile au moment où a été retranscrite dans la législation française une loi européenne stipulant que chaque grande surface de plus de 400 m² doit redonner ses invendus à une association d’intérêt public.(1) Aujourd’hui, on réclame la relaxe pour faire jurisprudence(2), pour que plus personne n’ait d’ennuis pour être allé faire de la récup’. »

Vers un marché de la récup’ ?

Pour A., « il y a des dérives dans la nouvelle législation. L’État a fait un gros battage sur la nouvelle loi en prétendant lutter contre le gaspillage, mais ce n’est pas du tout une initiative de l’État français, qui a même pris du retard pour appliquer les législations européennes. Ça n’a jamais été une priorité pour les pouvoirs publics. Aujourd’hui, une association qui souhaite redistribuer les invendus d’un supermarché doit suivre toutes les normes sanitaires – chaîne du froid, lieux de stockage – ce qui implique d’avoir du personnel, des locaux, des véhicules réfrigérés, etc. Pour financer ces dépenses, les associations sont obligées d’exiger une contrepartie financière, c’est-à-dire de revendre les poubelles des supermarchés. C’est un nouveau circuit marchand, le supermarché des plus pauvres. Et ça calme l’industrie qui a l’impression de faire une bonne action, alors que le problème persiste dans la surproduction : dans le monde, un tiers de la nourriture produite part à la benne !(3) » Pendant l’audience, le procureur a considéré que les circonstances aggravantes étaient proches de l’effraction, mais aussi que l’objet du vol – de la nourriture jetée – peut ne pas être considéré comme un objet de propriété. Il a plaidé pour un maintien de la condamnation avec dispense de peine, ce qui empêcherait une jurisprudence à la faveur des récupérateurs de nourriture. Délibéré le 4 décembre prochain.

Sources et définition :

(1) Article L541-15-5 du Code de l’environnement.
(2) Selon le Larousse, la jurisprudence désigne l’« ensemble des décisions judiciaires et administratives, qui constitue une source du droit. »
(3) « Mission parlementaire sur la lutte contre le gaspillage alimentaire », Ministère de l’agriculture et de l’alimentation

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