Quel sens donner aux actions d’Extinction Rébellion, qui a perturbé un congrès d’élus à Montpellier ?
Le Poing
Publié le 8 octobre 2019 à 20:23 (mis à jour le 8 octobre 2019 à 20:50)
Hier
matin, des membres d’Extinction Rébellion (XR), un mouvement
écologique non-violent créé en 2018 en Angleterre, et des
militant·e·s d’ANV Cop 21 et de Youth for Climate ont envahi la mairie de Montpellier, à l’occasion de l’ouverture du pacte de Milan.
Cette réunion, introduite par le maire Philippe Saurel, a rassemble
plus de deux cents élu·e·s du monde entier pour évoquer
l’agriculture de demain. Cette irruption s’inscrit dans une
semaine d’actions symboliques organisées par XR à travers le
monde, qui pose de nombreuses questions stratégiques.
« Arrêtez d’utiliser les agriculteurs pour servir vos ambitions politiques »
L’invasion de la mairie était bien préparée. Mathieu, maraîcher bio exploitant une parcelle mise à disposition par la métropole, était invité à s’exprimer devant les élus. Considérant qu’il servait à une grotesque opération de communication, il a profité de son temps de parole pour délivrer un discours incisif contre une agriculture « jetée en pâture aux banques et à la grande distribution » contraignant le paysan à être « un exploitant exploité ». Une vingtaine d’activistes écolos l’ont entouré pendant son discours. « Cet été, raconte Mathieu, j’ai souffert de voir les frênes et les chênes kermesses se dessécher sous 45 degrés, j’ai souffert de voir les abeilles s’épuiser à butiner des fleurs sans nectar, j’ai souffert d’entendre que la réponse à cette désolation était d’augmenter la clim’. Chaque jour, le trajet entre Clapiers où je cultive et Montaud où j’habite me brisait le cœur. Chaque jour, la nature semblait vouloir échapper aux rayons du soleil. Chaque jour, l’air devenait plus sec. Et la pluie n’est pas venue […] Vous avez déjà travaillé dehors sous 45 degrés ? Moi, je n’ai pas appris. Peut-être qu’au moins, le changement climatique nous ôtera de notre arrogance, et que nous demanderons aux agriculteurs marocains, algériens, tunisiens de nous apprendre à cultiver sous de telles températures […] Arrêtez d’utiliser les agriculteurs pour servir vos ambitions politiques. Arrêtez d’utiliser les circuits-court, l’agriculture biologique et les petits producteurs contre des faire-valoir. Nous ne sommes pas votre bonne conscience. »
L’impasse du débat sur la violence
XR compte organiser d’autres actions dans la semaine, à Montpellier comme ailleurs, posant concrètement des questions incontournables aux mouvements sociaux : la convergence des luttes et la diversité des tactiques et des stratégies, d’autant plus d’actualité dans un climat marqué par la révolte des gilets jaunes, des mobilisations à l’hôpital et à l’école, et la détermination d’Emmanuel Macron à imposer la réforme des retraites. Plusieurs gilets jaunes ont décidé de rejoindre XR, impressionnés par l’occupation réussie le weekend dernier du centre commercial Italie 2 à Paris, notamment menée avec des queers révolutionnaires, des médias indépendants et des membres du comité Adama, luttant depuis Beaumont-sur-Oise pour dénoncer les policiers assassins d’Adama Traoré. Cette action d’ampleur fédérant des groupes épars et s’attirant un fort soutien a été un franc succès. Mais XR a trouvé le moyen de se tirer tout seul dans les pattes en publiant un communiqué de « rappel » pour inciter celles et ceux qui veulent se joindre à leurs actions à observer une « non-violence stricte […] qui exclut toute destruction de biens », à agir « à visage découvert », à être « désolé·e·s » pour le dérangement causé. Dans un autre texte, XR déclare avoir « à cœur de respecter les forces de l’ordre ». Une question simple se pose : face à l’urgence climatique menaçant l’humanité, peut-on faire l’économie d’une lutte implacable contre le capitalisme et ses défenseurs concrets, à savoir les policiers ? Pourquoi faire de la non-violence un dogme alors que toute action menaçante pour l’État, pacifique ou non, est aussitôt réprimée ? Les militants d’XR vont-ils tolérer de se faire réprimer sans broncher, comme lorsqu’ils se sont fait gazer gratuitement en juillet dernier sur le pont Sully à Paris ? Comment analysent-ils les propos de Ségolène Royal appelant à « réprimer rapidement » XR ? Nelson Mandela considérait la non-violence « efficace tant que notre adversaire adhère aux mêmes règles que nous » et considérait qu’elle ne constituait « pas un principe moral, mais une stratégie. Il n’y a aucune bonté morale à utiliser une arme efficace ». Sa pensée pouvait se résumer par cette affirmation : « C’est toujours l’oppresseur, et non l’opprimé, qui détermine la forme de lutte ».
Faire
de la non-violence ou de la violence une idéologie n’a pas de
sens. L’objectif est de déterminer un objectif commun, et le seul
capable de faire consensus et d’être à la hauteur des enjeux
environnementaux, c’est la lutte contre le capitalisme. Quelles
stratégies déployer pour y arriver ? Les émeutes et les
blocages menées par les gilets jaunes ont fait trembler le pouvoir,
mais après dix mois de lutte, le schéma manifestation-prison s’est
imposé, sans perspective, et au détriment du nombre de
participants, certains ne voyant plus l’utilité d’aller se faire
gazer pour le plaisir. Les actions bien orchestrées des militants
d’XR peuvent donc amener du grain à moudre, et leur capacité à
se rendre sympathique auprès des masses est un atout évident. Pour
gagner, il faut frapper ensemble. Encore faut-il être clair sur
l’objectif – la révolution, ou rébellion, anticapitaliste –
et que les activistes écolos comme les « ultras jaunes »
et les « black blocs », pour reprendre les termes
médiatiques, ne s’enferment pas dans des débats stériles sur la
violence. L’issue révolutionnaire passera sans doute par la
reconnaissance fraternelle de nos intelligences respectives et la
découverte, enfin, de notre puissance mutuelle.
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