Stonewall 1969 : les origines émeutières de la Gay Pride

Le Poing Publié le 28 juin 2019 à 14:25
De nos jours, la Gay Pride est un classique du calendrier festif des métropoles nord-américaines et européennes. Mais cet événement n’a pas toujours été lié aux institutions, à la musique techno et aux afters. Il tient son origine des émeutes new-yorkaises de Stonewall, en juin 1969, et des marches de commémoration de cette révolte qui eurent lieu chaque année en juin, d’abord aux États-Unis, puis partout dans le monde, jusqu’à devenir la Gay Pride que l’on connaît aujourd’hui. Au départ, ces marches faisaient figure de coming out collectif et avaient pour but de lutter contre la domination cis-hétérosexuelle (le terme cisgenre décrit un type d’identité où le genre ressenti d’une personne correspond à son sexe de naissance.) Aujourd’hui, il ne reste plus grand-chose des revendications politiques initiales de la Gay Pride et la plupart de ses participants ignorent l’origine même de cette marche. Pour ne pas perdre la mémoire, le Poing donne la parole au collectif féministe et non-mixte de Montpellier La Collective 34, qui vous raconte l’histoire des émeutes de Stonewall, réelle moment d’éclosion du mouvement LGBT aux États-Unis et en Europe.

Un mouvement homophile né dans le contexte contestataire des années 1960

Dans les années 1960, il existe déjà un mouvement homophile énergique aux États-Unis, mais son but est davantage de créer des espaces de socialisation que de mener des luttes politiques. Ce militantisme s’inscrit surtout dans des tentatives assimilationnistes dans le sens où il œuvre pour une cohabitation entre homos et hétéros, sans remise en cause des systèmes d’oppression. La discrétion absolue était prônée : il faut être bien vêtu, avoir un comportement impeccable et les couples ne doivent pas être visibles. La Mattachine Society, fondée par Harry Hay an 1950, fut la première organisation politique pour le droit des gays aux États-Unis. Cinq ans plus tard, des lesbiennes se sont mobilisées et Del Martin et Phyllis Lyon fondent les Daughters of Bilitis. La Society of Individual Rights a été créée à San Francisco en 1964, et la North Americain Conference of Homophile Organizations voit le jour en 1966. Tous ces groupes ont permis d’amorcer un changement dans le discours public concernant l’homosexualité.

Cette effervescence doit être replacée dans le contexte des années 1960, qui sont marqués par l’opposition à la guerre du Vietnam, le mouvement de libération des femmes, l’activisme des Black Panther, des Young Lords, le mantra de la contre-culture « sexe, drogue & rock’n’roll », etc. En 1965, des associations homophiles s’inspirent de ces mouvements de droits civiques et organisent un rassemblement devant la Maison Blanche et plusieurs bâtiments fédéraux. Le mouvement de libération des LGBT ne s’est donc pas créé à partir de groupes à but lucratif collectant de l’argent et faisant du lobbying pour faire voter des lois. C’est un mouvement parti de la base, de personnes qui étaient parvenues à un point de rupture.

Le Stonewall Inn, l’un des rares lieux ouverts aux gays

Dans les années 1960, les bars où se retrouvent les lesbiennes, gay, bi·e·s et trans’ sont tous tenus par la mafia. Le Stonewall Inn, dans le quartier Greenwich de New York, ne fait pas exception. D’abord restaurant puis club, il est racheté en 1966 par trois membres de la mafia qui en font un bar gay. Pour y entrer, il faut soit être connu par le portier, qui scrute tout le monde depuis un œilleton interne, soit avoir une attitude dite homosexuelle. Le Stonewall Inn est le bar gay. Il est célèbre pour sa popularité auprès des client·e·s les plus marginalisé·e·s de la « communauté » gay : les trans’, les travesti·e·s, les femmes dites masculines, les hommes dits efféminés, les sans-abri, etc. Peu de lieux acceptaient ce type de clientèle, dans un climat qui, rappelons-le, est très répressif à l’égard des LGBT aux États-Unis.

À l’époque, la législation aux États-Unis interdit de servir des boissons alcoolisées aux homos, danser entre hommes était illégal et le travestissement prohibé. La Sodomy Laws, qui a été en vigueur dans certains États jusqu’en 2003, interdisant la sodomie, voire la fellation, pour les homos, et parfois même pour les hétéros. Et n’oublions pas que l’association américaine de psychiatrie a considérée l’homosexualité comme une maladie mentale jusqu’en 1973 ! Le Stonewall Inn faisait donc office de « refuge » pour ces populations réprimées. Le bar comporte deux salles, dont l’une est particulièrement sombre, mais qu’il s’allumait en cas de descente de police. Le public était blanc, noir et hispanique, et quasiment exclusivement masculin.

Une révolte spontanée contre le fichage policier

Il y avait régulièrement des descentes de police devant le Stonewall Inn, en général une par mois. L’objectif était à la fois de recevoir les « primes » de la mafia, de vérifier la légalité de l’alcool et surtout, de ficher les personnes qui se travestissaient. Les arrestations étaient monnaie courante, comme les intimidations et les tabassages, allant parfois jusqu’à la mort. Le mystère restera toujours entier sur les raisons précises de la descente qui a eu lieu dans la nuit du 28 au 29 juin 1969, d’autant qu’une descente avait déjà été organisée quelques jours plus tôt.

Quand, vers 1h20, dix policiers en tenue entrent dans le bar, ils sont loin de se douter que la soirée sera interminable et que les émeutes vont durer plusieurs jours, de trois à six selon les sources. Lors de cette descente, c’est la première fois que des LGBT refusent d’être contrôlées. Les premiers refus viennent des travestis, rapidement suivis par les autres personnes présentes. Les policiers décident alors d’embarquer tout le monde au poste. Mais les camions n’étaient pas prévus pour autant de personnes.

Une foule a commencé à se former dans la rue, devant le bar. Au fur et à mesure que le temps passait, la foule a pris confiance en elle. Les moqueries ont commencé à fuser, les blagues créaient une sorte de solidarité collective. Et quand les camions ont fini par arriver, la foule était déjà très massive. Un « Gay power » a été lancé. Quelqu’un·e s’est mis·e à chanter « We shall overcome » (« Nous triompherons »). Puis le bruit a couru que des personnes étaient battues dans le bar. Des pièces de monnaie et des bouteilles ont volté en direction des policiers. Il y avait alors dix policiers en tenue et quatre en civil face à une foule de plus de 500 personnes. Sans doute surprise de sa propre audace, une partie de la foule alla jusqu’à chercher des briques sur un chantier voisin. Face à un ras-le-bol d’être violenté·e·s qui prend la forme d’une révolte, les policiers décident de se barricader à l’intérieur du Stonewall Inn. La foule prend alors conscience de sa force et lance tout ce qu’elle trouve dans le bar pendant 45 minutes, jusqu’à l’arrivée des pompiers. La rue ne sera vraiment dégagée qu’avec l’arrivée des forces tactiques policières. Il est alors 4h du matin. Il ne reste plus rien à l’intérieur du bar.

Une des clefs du retentissement de cette révolte fut sans doute l’implication de Craig Rodwell, propriétaire de la librairie Oscar Wilde, voisine du bar. Il a averti les rédactions du New York Times, du New York Post et du New York Daily News, qui en firent leurs unes. Le dimanche, les rumeurs les plus folles parcoururent Greenwich Village et des dizaines de graffitis ont recouvert le bar : « Drag power », « They invaded our rights » (« Ils piétinent nos droits »), « Support gay power », « Legalize gay bars ». Le dimanche soir, une foule se rassemble spontanément devant le Stonewall Inn, notamment les jeunes du quartier et des travestis. La rue Christopher Street, celle du bar du Stonewall Inn, est alors bloquée plusieurs heures. Les bus qui s’y aventurent sont pris à partie par la foule. Si les lundi et mardi restèrent calmes, probablement à cause de la pluie, un rassemblement eut lieu le mercredi suivant. Un article publiée dans The Village Voice relative les événements, en qualifiant de manière négative les homos. De 500 à 1000 personnes se retrouvent alors pour protester devant les locaux du journal.

De l’émeute à l’organisation collective

Rapidement, les résident·e·s du quartier dit gay de Greenwich Village s’organisent en groupes d’activistes afin de défendre les droits des personnes LGBT. Ils réussissent à faire évoluer cette révolte spontanée en une cause politique avec la création du Gay Activist Alliance et surtout, du Gay Liberation Front. Ce dernier groupe s’inscrit dans une série de luttes d’émancipation. Il vient du Woman’s Liberation Front, qui fait référence au Front de Libération Nationale vietnamien. Ce dernier se réclamait de l’esprit et du nom du Front de Libération Nationale algérien qui avait combattu la domination française en Afrique du Nord. Tout comme le slogan « gay is good », dérivé de « black is beautiful, le « gay power » a émergé du « black power ». Le Gay Liberation Front se considèrent comme un mouvement radical généraliste. Il était concerné par la fin des guerres à l’étranger, le combat contre le racisme et l’obtention de la liberté du contrôle de naissance pour les femmes, de la même façon qu’il combattait l’homophobie. Les membres du Gay Liberation Front comprirent aussi qu’il était important, d’un point de vue philosophie, mais aussi pragmatique, de travailler en coalition avec d’autres mouvements.

L’autre point fort du mouvement politique qui s’est créé après les émeutes de Stonewall, c’est qu’il est parvenu à se pérenniser. Craig Rodwell batailla farouchement pour que soient commémorés chaque année les émeutes de Stonewall. Le 28 juin 1970 a lieu à New York la première « Journée de la Libération de Christopher Street », réunissant 2000 à 3000 personnes qui scandent des slogans tels que « Come out ! » ou « Gay et fier ». Cette journée a une résonance internationale, en particulier dans la monde occidental. En France, en 1971, des féministes lesbiennes et des activistes gay créent le FHAR, le Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire, qui participait chaque année au défilé du 1er mai. Il y eu aussi les Gouines Rouges, qui ont travaillé avec le Mouvement de Libération des Femmes. Et en 1972, les premières Gay Prides, en commémoration des émeutes de Stonewall, font leur apparition en dehors des États-Unis, à commence par Londres. En France, la première Gay Pride date de 1981.

Quel héritage des émeutes de Stonewall ?

Les homos, bi·e·s et trans’ sont comme le reste de la population : des individus divers, avec des objectifs divers, des cultures diverses et des appartenances politiques diverses. Ce qui peut les réunir, ce sont les oppressions, les discriminations et les violences dont ces personnes font l’objet du fait de leur genre, sexe ou sexualité. Les slogans de la première « Journée de la Libération de Christopher Street » résonnent encore aujourd’hui dans le fait de rejeter la honte et de se rendre collectivement et publiquement visible. Il s’agit de renverser le stigmate qu’Erwing Goffman qualifie d’invisible ; un stigmate visible étant, par exemple, la couleur de la peau. En 2001, la Gay Pride a été rebaptisée marche des fiertés. Le terme fierté – comme le terme anglais pride – est un retournement de stigmate. Il s’agit de refuser par la force du groupe le statut dans lequel al société maintient et enferme les lesbiennes, les gays, les bi·e·s, les trans’, les queers, les personnes intersexué·e·s, et de détruire les étiquettes qui leur sont accolées. Cette sortie du placard collective est une mise en cause de la domination cis-hétérosexuelle.

Mais la plupart des participant·e·s aux marches des fiertés ne connaissent pas l’origine même de la marche. Et puis, peu à peu, les marches des fiertés se sont institutionnalisées et le discours politique porté s’est modifié. Aujourd’hui, quelques revendications sont visibles pour une égalité de droits mais elles ont tendance à être noyées dans une fête vendue comme une marchandise urbaine compromise dans des partenariats commerciaux. Certain·e·s s’en contentent. D’autres se réfèrent à l’esprit de lutte des émeutes de Stonewall et des première Gay Prides, en portant un discours politique incluant la lutte contre tous les systèmes d’oppression et de domination. Celles et ceux là ne participent pas à l’organisation de la marche des fiertés, mais elles et ils sont présent·e·s dans la marche et s’organisent en Pink Bloc. Le système marchand s’adapte à tout, à tel point qu’on parle désormais de capitalisme rose pour désigner l’incorporation de l’économie de marché. Et le problème, dans le capitalisme rose, ce n’est pas la couleur… Vive les émeute de Stonewall !

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