Suppressions de postes, harcèlement, burn-out et risques psycho-sociaux : ça craque à Dell Montpellier
Une centaine de départs sont prévus chez Dell Montpellier dans la cadre d’une rupture conventionnelle collective censée être basée sur le volontariat. Force Ouvrière dénonce des licenciements cachés, alors que les salarié.es témoignent de l’ambiance délétère qui règne au sein de l’entreprise.
Départs volontaires ou licenciement collectif masqué ?
Tout commence début 2023. Dell met en avant un recul de 12% de son chiffre d’affaire sur plusieurs trimestres, et annonce des réductions de sa masse salariale.
Dans un premier temps Dell France refuse, ce qui amène à un changement de direction. La chose prendra la forme d’une Rupture Conventionnelle Collective, suite à un accord signé par la CFE-CGC le 1er décembre 2023.
“On a essayé à trois syndicats, avec la CFDT et la CFTC, de négocier des aménagements, mais la CGC n’avait pas besoin de nous pour signer et que l’accord soit appliqué. », nous explique Aurélie Tavernier, déléguée syndicale centrale FO Dell, elle-même sur le site de Montpellier.
Le nombre de départs prévus, concernant cadres et agents de maîtrise, est ensuite passé de 323 à un peu plus de 270, dont une centaine sur le site de Montpellier, un gros employeur privé avec ses 900 salarié.es.
L’accord prévoit des indemnités minimales de 45 000 euros brut. « Quand ils nous l’ont annoncé, ils ont appelé ça un plan de départ volontaire », se rappelle Marc*, salarié chez Dell Montpellier.
Aurélie Tavernier et FO dénoncent des licenciements masqués : « Dans les faits certain.es salarié.es se sentent poussé.es à la sortie parce que leurs postes sont parmi les cibles du dégraissage prévu, et parfois pour d’autres raisons, tandis que d’autres voient leur demande de RCC refusée. »
Une première vague de candidatures à la RCC se base officiellement sur l’ancienneté des postulant.es. La direction annonce que toutes les demandes seront validés s’il n’y a pas autant de volontaires que visé sur les postes ciblés.
Mais pour Marc*, le compte n’y est pas : « Le nombre de postulants au niveau 1 n’a pas été atteint sur la globalité. Je n’ai pas obtenu de départ. J’étais pourtant plus ancien, avec un dossier plus complet que d’autres qui l’ont obtenu. Des postes non visés ont pourtant également obtenus leurs départs. Je ne suis pas gênant pour l’entreprise, je ne coûte pas cher, je réalise mes objectifs, on ne me laisse donc pas partir. »
Toujours sur le site de Montpellier, Maurice*, commercial, est en arrêt maladie depuis plus d’une semaine. « Je suis arrivé assez récemment dans l’entreprise. Je n’ai pas été étonné de voir mon dossier refusé lors de la première vague. Le critère pour la seconde vague était la présence ou l’absence d’un projet professionnel alternatif. En théorie. J’ai un projet d’entreprise. Dans mon équipe deux autres personnes ont postulé et ont été validée pour la RCC. La première est en arrêt maladie depuis longtemps. La seconde est syndiquée, et n’a pas de projet professionnel alternatif pour le moment. J’ai fait aussi des demandes de ruptures conventionnelles classiques, aucune n’a été acceptée. L’entreprise veut me garder parce que je fait de bonnes performances au travail. Et on a l’impression que la direction pousse des gens à partir.»
Force Ouvrière dénonce de plus des indemnités trop faibles, alors que la plupart des volontaires sont loin de la retraite, et une absence d’accompagnement pour faciliter la reconversion, notamment pour les nombreux.ses salarié.es non-francophones du site. « Sur les 277 salariés qui ont été validés dans leur demande de RCC, 60 vont aller pointer à France Travail, alors même que le gouvernement multiplie les attaques sur l’assurance chômage. », commente Aurélie Tavernier.
Pascal Dumarcel, délégué FO du site de Montpellier, met en avant les prévisions optimistes des analystes quant à l’avenir de Dell. « Il y a de l’argent dans l’entreprise. Elle a remboursé sa dette plus vite que prévu. S’il y a un recul du chiffre d’affaire, c’est qu’entre 2019 et 2021, pendant les années COVID, Dell a fait d’énormes bénéfices. On était totalement équipés deux semaines avant les annonces de confinement. Seulement comme ce n’est pas un Plan de Sauvegarde de l’Emploi ( NDLR : le nom des licenciements économiques ), Dell n’est tenu à aucune justification. »
Force Ouvrière ne demande pas l’annulation de l’accord, ce qui obligerait les salarié.es déjà parti.es à revenir et à rembourser les indemnités. Mais des embauches, gelées depuis le deuxième trimestre 2022, des concertations sur la situation de celles et ceux qui restent, et un assainissement des relations de travail.
C’est que cette polémique autour de la RCC arrive dans un contexte déjà tendu au sein de l’entreprise. « Postuler à ce plan de départ volontaire était pour beaucoup une porte de sortie afin d’éviter une rupture psychologique. Nous sommes à un stade où cette rupture a été atteinte. », analyse Marc*.
Harcèlement, burn-out, arrêts maladie et risques psycho-sociaux
Lucille*, entrée chez Dell Montpellier car séduite par les valeurs et le côté « Smart entreprise » mis en avant, déchante rapidement. « Les commerciaux pour la plupart ont des objectifs inatteignables, je dirais que plus de la moitié sur Montpellier ne les atteigne pas. Et la Direction leur rejette la faute, avec des menaces de Plan d’Accompagnement de la Performance, qu’on nomme en coulisse Prêt à Partir ».
D’autres équipes, comme celle de Maurice*, sont confrontées au problème inverse. « On est censés recevoir des primes au prorata des sommes négociées dans les dossiers pour lesquels un accord commercial a été conclu, quand on atteint ou dépasse les objectifs fixés, ce qui est le cas dans mon groupe. Mais dans mon cas plusieurs milliers d’euros de primes supplémentaires auraient dû me revenir, si Dell ne s’autorisait pas un droit de regard au cas par cas quand on dépasse de plus de 50% les objectifs. Un collègue a atteint 1000 % des objectifs, on lui a juste dit qu’il n’aurait pas de prime là-dessus. », explique ce dernier.
Maurice* est rentré chez Dell dans une équipe de cinq personnes, toutes fraîchement débarquées. « J’ai été victime de harcèlement moral de la part d’un manager qui n’a pas été sanctionné par la direction. Tous.tes les membres de l’équipe se sont plaint de harcèlement moral. Quand notre manager a su qu’on l’avait signalé, il a coupé toute communication pendant deux mois, alors qu’il était habitué à nous envoyer des mails en police 40. Malgré les demandes, la direction n’a jamais accepté de mettre la question du harcèlement chez Dell à l’ordre du jour d’une quelconque réunion. J’ai reçu beaucoup de pressions après les signalements. Le manager en question s’est mis en arrêt maladie, puis la direction à clôturé les tickets RH qui permettent les signalements peu après. Au final, cette personne a simplement été rétrogradée en simple commercial, sans plus de sanctions. »
Ce qui est loin d’être un cas isolé aux yeux de Lucille*, qui évoque « plusieurs managers qui pratiquent ou ont pratiqué le harcèlement. » Et une entreprise aux salarié.es déboussolé.es « En plus de celles et ceux qui n’ont plus de postes et qu’on laisse au placard, sans aide de reclassement, les commerciaux sont en perte de sens dans leur mission avec le transfert de certaines compétences auprès des partenaires. »
Avec les départs liés à la RCC et le gel des embauches, la charge de travail explose dans les équipes, d’autant que certaines d’entre elles ont presque la moitié de leurs effectifs en maladie. Les dossiers normalement pris en charge par les absent.es sont répartis entre leurs collègues.
Pour Pascal Dumarcel, « tous les ingrédients sont réunis pour des risques psychosociaux importants. »
Marc* définit aujourd’hui Dell comme « un rouleau-compresseur. Je suis en situation d’arrêt de travail, avec une grosse instabilité psychologique. Ce n’est pas ma nature, mais je n’en peux plus. »
Une enquête est d’ailleurs en cours au sein de l’entreprise, et porte sur les risques psychosociaux, sur demande de la Carsat et de l’Inspection du Travail, après un suicide et une tentative de suicide.
« On ne laissera pas les pressions nous faire taire »
Pour le moment, l’heure n’est pas à la discussion pour la direction de Dell. « Dans ce contexte post RCC, règne une omerta, on est tenu de faire comme si de rien. », témoigne Lucille*. « Il faudrait forcer le sourire et se la jouer fun alors que le cœur n’y est plus. Dell a même proposé de faire un Trivial Pursuit géant pour répondre au mal être des salariés. Je vous laisse imaginer comment cela a été accueilli… »
Même son de cloche du côté de Marc*. « Le PDG de dell France n’a pas répondu à mes nombreux mails envoyés depuis le 20 mars sur la RCC et le harcèlement. Si aucune demande de rupture conventionnelle n’est acceptée, j’irais devant les prud’hommes. »
« Il n’y a pas de dialogue avec la direction du site de Montpellier », observe Pascal Dumarcel. « Les quelques personnes avec qui on était en lien aux ressources humaines et au service juridique font partie de la RCC et ont été remplacées, mais par des gens qui n’ont ni la même expérience ni les même compétences. On va continuer à informer le plus largement possible sur la situation à Dell. Il y a un bon dialogue intersyndical sur Montpellier, contrairement au site de Bezons en région parisienne où il n’y a que la CGC. On ne laissera pas les pressions nous faire taire. »
*Prénoms modifiés
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