Archives - Littérature 12 janvier 2015

Trip Report : Une journée au barrage de Sivens

ecologie

Plus d’un mois après la mort du jeune Rémi, les négociations engagées entre les opposants au projet et le gouvernement n’ont toujours pas abouti. De leur côté, les Zadistes s’organisent sur place et s’apprêtent à passer l’hiver. Le Poing s’est rendu sur place pour en savoir plus.

Pour se rendre au barrage de Sivens, à 50 kilomètres de Toulouse, mieux vaut demander son chemin et être attentif. Passé Gaillac, la ville la plus proche, un seul panneau nous confirme la direction. Comme si rien ne se passait dans la région. Taguées sur un panneau de signalisation, les trois lettres ZAD, pour Zone À Défendre, nous rassurent. On y est presque.
Ce samedi, rien de prévu dans ce lieu devenu tristement célèbre. Pas d’assemblée générale, ni d’activités particulières.

Une zone humide déboisée

A l’arrivée, Camille est le premier à nous recevoir. Ou plutôt le premier des Camille. Tous les Zadistes répondent par ce prénom. Par peur de représailles mais aussi par souci d’égalité. « Il n’y a pas de porte-parole désigné » explique le jeune homme, « ici on a un fonctionnement horizontal, tout le monde peut prendre la parole ». Avant de préciser que les photos d’individus sont interdites tout comme les plans larges susceptibles d’identifier des voitures ou des personnes. Si les forces de l’ordre ne sont plus revenues depuis la mort de Rémi, on craint toujours une riposte.

Tout s’est enchaîné depuis que les engins ont déboisé la vallée. Sur plus d’un kilomètre de long et 250 mètres de large, la zone humide du Testet peut se résumer en un grand terrain vague. Si l’endroit est certainement devenu idéal pour un organisateur de free party, les quelques Zadistes arrivés l’an passé décrivent un endroit jadis magnifique. Il en reste beaucoup de sciures et des tranchées dignes de Verdun. Au milieu du terrain, on a replanté un arbre, symbole de ce passé proche.

Camille habite au premier camp, la Métairie, depuis presque un an. Cette ancienne ferme fait office de quartier général. C’est le seul bâtiment de la zone et on s’en sert autant de dortoirs que de pharmacie ou de cuisine collective. Les occupants ont retapé un vieux four à pain du XVIIème et s’en servent régulièrement. Tout autour, des camions, des abris de fortune et des tentes Quechua qui n’ont jamais si bien porté leur nom. « La tente deux secondes c’est le meilleur moyen d’échapper à une grenade » ironise Camille arrivé il y a tout juste trois semaines. La mort du jeune homme de 21 ans est dans tous les esprits, renforçant la détermination des occupants. Au total, entre 100 et 200 personnes habitent sur la zone du Testet en permanence.

« Faire de cet endroit, un terrain d’expérimentation »

A quelques mètres de là, on s’active avec pelles et pioches. Depuis dix jours, on a commencé à planter. « L’idée c’est de créer un jardin autogéré » explique un maraîcher bio venu d’Auvergne. L’homme en est à son troisième aller-retour et compte bien rester ici tant que cela sera possible. « On a planté des pommiers le jour de la mort de Rémi puis on a planté des groseilliers. On essaye de prévoir sur le long terme. On n’a pas encore de matériel mais cela devrait arriver. » Si la construction du barrage est annulée, certains Zadistes envisagent la création d’un lieu indépendant et alternatif où il serait possible d’expérimenter de nouvelles techniques d’agriculture, de production d’énergies ou de construction. Mais pas question de se faire récupérer par le ministère de l’Ecologie. « Le lieu doit être réinvesti par les gens présents sur place, pas par une déclaration de Mme Royal » ajoute l’agriculteur.

A côté de lui, une infirmière enceinte est venue donner un coup de main. Habitante de Gaillac, la jeune femme est choquée par le climat violent qui règne autour du projet. « Pour moi, il y a la ZAD d’un côté et les habitants de Gaillac de l’autre. On est vite stigmatisé quand on vient ici mais les gens gagneraient à voir ce qui se passe plutôt que de regarder la télévision. » Si le jardin en est à ses prémices, les Zadistes espèrent encore reçevoir de nombreux dons venus de l’extérieur.

Des allures de Bd d’Astérix

En remontant en amont du ruisseau, on croise différents camps aux noms exotiques comme l’Île Maurice ou les Zoulous. Le fort, c’est la base avancée des occupants. C’est par ici que les autorités reviendront en premier. Alors on s’organise pour résister. Le lieu est digne d’une bd d’Astérix.

Les engins de construction avaient coulé une dalle de béton de quelques dizaines de mètres carrés, entourés d’une immense tranchée. Les machines étaient en sécurité la nuit et la boue épargnait au moins une partie du chantier. Après le départ des engins, deux jours avant la mort de Rémi, les Zadistes ont investi l’endroit. Tout autour, des palettes font office de barricades. La nuit tombe et quelques hommes s’activent autour de la deuxième cabane du fort. Les murs ont été montés à l’aide de torchis et de tous types de matériaux de récupération. Il faut encore mettre la bâche sur le toit si l’on veut éviter la pluie. Sur le côté, des tours de garde avec des slogans « Ni oubli ni pardon ». L’entrée se fait par un système de « pont-levis ».

Regroupée autour de l’unique feu de bois du camp, Camille, arrivée là il y a trois semaines, nous parlent des violences policières.  Pour la jeune fille. c’est l’attitude des autorités qui crée la violence. « À chaque assem-blée, il y a des débats entre pacifistes et cagoulés sur nos moyens d’action. Mais il y a aussi des hippies qui finissent par devenir violents quand ils voient les moyens des forces de l’ordre. » Accepter les différentes formes de luttes, c’est ce que recommande Camille. D’autres se méfient des dérapages violents, tou-jours utilisés par le gouvernement pour décrédibiliser le mouvement.

La nuit est maintenant tombée depuis plus d’une heure et on s’active autour du souper. Une unique guirlande éclaire la vingtaine de personnes vivant au fort. La température frôle le zéro et il faudra attendre un petit moment avant que le feu de bois cuise l’énorme bouillon de légumes posé dessus. On part de la ZAD avec de nombreuses interrogations. Si les Zadistes insistent sur l’abondance de dons venus de l’extérieur, c’est le manque de moyens qui frappe le visiteur. Une chose est sûre : on cherche toujours les « djihadistes verts » dénoncés depuis des semaines par les représentants de la FNSEA, le lobby des grands exploitants agricoles.

 Valentin Prelat

Nos articles sont gratuits car nous pensons que la presse indépendante doit être accessible à toutes et tous. Pourtant, produire une information engagée et de qualité nécessite du temps et de l’argent, surtout quand on refuse d’être aux ordres de Bolloré et de ses amis… Pourvu que ça dure ! Ça tombe bien, ça ne tient qu’à vous :


ARTICLE SUIVANT :

L'État ne fera rien