Un an de Nupes : où va la gauche parlementaire ?

Le Poing Publié le 24 juin 2023 à 17:03 (mis à jour le 24 juin 2023 à 17:13)
Casserolade contre le discours d'Emmanuel Macron, à Montpellier le 17 avril 2023 (photo de Samuel Clauzier)

Depuis les élections présidentielles et législatives de 2022, la recomposition de la vie politique française est entrée dans une nouvelle étape. Hier vilain petit canard populiste parmi les gauches françaises, La France Insoumise (LFI) a définitivement pris l’ascendant sur les socialistes, écologistes et communistes. Mais ce qui change par rapport à 2017, c’est que la force représentée par Jean-Luc Mélenchon a pris la tête d’une alliance au Parlement, construisant un troisième pôle face au bloc central de la Macronie et à l’extrême-droite. C’est, du moins, ainsi que les partisans de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) présentent les choses. Il faut bien admettre que bon gré mal gré, cette alliance a tenu et va fêter son premier anniversaire. Alors, nouvelle voie à gauche, ou énième résurrection de la social-démocratie perfide…? Un bilan d’étape s’impose.

Tous derrière Jean-Luc ?

Après six ans de règne de l’hyperprésident Macron, les partis de gauche divisés et affaiblis ne sont pas les seuls à s’être ralliés à la bannière de Mélenchon. La quasi-entièreté de l’extrême gauche hexagonale a prêté allégeance : des collectifs écologistes aux scissions trotskistes, en passant par les groupes antifascistes, féministes ou décoloniaux, et jusqu’à certains libertaires, toutes et tous sont venus.

Très bien. Mais nous ne sommes pas dans Game of Thrones, ni dans Avengers. Si la force va à la force, cette soudaine unité derrière les Insoumis est avant tout le symptôme d’une défaite en rase campagne de la plupart des forces d’extrême gauche, incapables de proposer une stratégie innovante, voire même simplement d’exister de façon autonomes. Avec un zeste de mauvaise foi, certains projettent sur la FI leurs propres attentes, considérant que celle-ci aurait finalement évolué dans leur sens. Elle serait devenue plus radicale, plus intersectionnelle, plus proche des luttes… Elle a quelque peu évolué dans son discours, soit. Seulement, la  diversité des positions, des soutiens, douche quelque peu ces fantasmes. Il faut se rendre à l’évidence : c’est un signe de faiblesse que de revenir faute de mieux à la voie parlementaire.

Le mouvement contre la réforme des retraites

Pour se faire élire, LFI – et plus largement la Nupes – se présente comme un relai à l’Assemblée de la voix du mouvement social. Justement, le déclenchement au début de l’année 2023 d’un vaste mouvement contre la réforme des retraites la met directement dans le bain : ces parlementaires ont-ils un rôle à jouer, et sera-t-il positif ou négatif ?

La stratégie de la Nupes durant cette séquence aura été l’obstruction parlementaire en soutien au mouvement social : tenter, en séance comme en commission, de ralentir le processus, de forcer le gouvernement au vote, voire de le faire tomber. Le résultat est sans appel : cette stratégie aura été un échec. Le gouvernement est toujours là, sans même un remaniement, et la réforme est passée. Les alliés de LFI lui ont reproché son agitation parlementaire, les syndicats ont été irrités par le report du vote, et le Rassemblement National (RN) a progressé dans les sondages, en apparaissant comme l’opposition respectable (comme quoi, dans le parlementarisme, la lâcheté paie toujours).

Pire encore : du point de vue des participants au mouvement social, le calendrier choisi par les syndicats et les partis a étiré la mobilisation sans perspective de victoire : les journées d’action éloignées dans le temps, avec leurs manifestations visant à « mettre la pression » sur l’Assemblée ou le Conseil constitutionnel n’ont eu guère d’effets. Le pic de la mobilisation a été atteint après le recours du gouvernement au 49.3, prouvant que la stratégie du pouvoir avait plus d’impact sur le mouvement que celle de ses organisateurs…

Faute de sortir du carcan légal et législatif, par excès de confiance dans le « cadre démocratique », syndicats et partis se sont embourbés dans des illusions mensongères – les premiers faisant au moins le travail pour amener des troupes en manifestation, avec les effets que l’on sait. Faute d’organisation ouvrière à la base capable de peser dans la balance, avec des syndicats et des élus accrochés au calendrier législatif, et une extrême-gauche se mettant à leur remorque, les possibilités de dépassement, de débordement politique réel, tenaient de la chance accidentelle.

Cependant, l’aspect massif et combattif du mouvement dans les grandes villes aura au moins permis de prouver que la séquence post-covid de l’apathie généralisée était terminée. Reste à voir ce que le futur nous réserve.

La Nupes au tournant

Revenons à nos moutons parlementaires. Non seulement leur activité s’est heurtée à l’intransigeance du gouvernement, qui a durement rappelé la loi d’airain de la bourgeoisie : la loi n’existe que pour servir ses intérêts, et sera tordue autant qu’il le faudra pour cela. Mais elle a encore laissé un boulevard au RN et s’est divisée. La perspective des élections européennes, l’an prochain, pourrait mettre un dernier clou dans le cercueil de la Nupes : ces élections traditionnellement favorables aux écologistes les poussent à faire cavaliers seuls, alors que le Parti Communiste Français (PCF) a déjà annoncé présenter son candidat. Le Parti Socialiste (PS) devrait suivre…

De plus, le recentrage à gauche opéré depuis 2018 a certes permis à LFI de prendre le leadership sur l’électorat urbain (des universités comme des quartiers, pour parler en termes caricaturaux), mais il l’a aussi fait reculer ailleurs, dans cette France des zones pavillonnaires qui n’est décidément plus très intéressée par le rebranding de la social-démocratie. Et les dernières affaires, en particulier les violences commises par Adrien Quatennens suivies de son retour en grâce, ont agi comme une douche froide sur une partie de son nouveau public : les militants finalement convaincus par une LFI « différente » se rendent compte progressivement qu’il s’agit d’un énième parti de gauche, avec tout ce que cela implique.

Pire que la Nupes : la nouvelle gauche anti-Nupes

Vous avez aimé la gauche radicale option « agitation au palais Bourbon » proposée par la Nupes ? Vous adorerez leurs adversaires du jour. Car les divisions de l’alliance ont nourri les ambitions. Et particulièrement au PS, ce groupuscule inepte vivant de sa rente passée. Olivier Faure, le patron du PS, serait trop à gauche, trop proche de LFI : certains barons locaux s’opposent donc à sa ligne pour rebâtir une force de centre-gauche pas complètement macroniste, mais presque.

L’Occitanie a l’insigne honneur d’abriter plusieurs de ces êtres désespérants qui aimeraient rejouer à l’infini le quinquennat Hollande (période Valls). Parmi eux, Carole Delga, la présidente de la Région Occitanie, et Michaël Delafosse, le maire de Montpellier, sceptiques quant à l’avenir de la Nupes, manigancent dans ce sens. Cette énième tentative n’est peut être pas stérile pour tout le monde : il reste en France des mandats grassement payés à se disputer… Ce rapide bilan brosse un portrait plutôt pessimiste de cette machine à perdre qu’est « l’union de la gauche ». En effet, l’avenir de la Nupes semble sérieusement compromis, et pourrait voler en éclat à l’occasion d’un prochain scrutin. La recherche d’une figure providentielle pour le lointain horizon de 2027 (« Ruffin ira-t-il… ? ») en témoigne déjà. Plus largement, au-delà des embrouilles partisanes byzantines qui continuent malheureusement d’affecter nos mouvements et nos vies, rappelons-nous toujours d’étudier le passé du parlementarisme pour nous vacciner contre toute illusion malvenue. Qu’ils soient sincères ou cyniques, députés, sénateurs et maires « de gauche » sont condamnés à participer à faire vivre un système bourgeois à bout de souffle, bienheureux de pouvoir compter sur une si coopérative opposition.

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