Une association refuse de signer la Charte de laïcité imposée par le maire de Montpellier

Le Poing Publié le 11 janvier 2021 à 19:07
Extrait d'une affiche de l'association Saudade

Les membres de Saudade cultivent la diversité culturelle. Imposer la laïcité, projet sur lequel Michaël Delafosse rejoint le gouvernement, leur semble un dévoiement de son principe même, d’esprit discriminatoire. D’autres associations, très laïques, pourraient suivre.

Réunie en assemblée générale, l’association montpelliéraine Saudade avait rédigé une déclaration de principe, en date du 17 décembre 2020, refusant le « Contrat d’engagement républicain » qui est au cœur de la loi contre le séparatisme (rebaptisée loi de renforcement des principes républicains). Puis, dans le cadre de ses démarches de demandes de subventions, elle choisissait la date symbolique du 24 décembre (veille de Noël, fête très chrétienne, gratifiée de l’unique exemption au couvre-feu sanitaire), pour adresser un courrier à Michaël Delafosse, maire PS de Montpellier).

Dans le même esprit, cette lettre annonce et argumente le refus de l’association Saudade de souscrire à la Charte de laïcité, mise en place à l’échelon local par la municipalité. Cette Charte soumet l’accès à des subventions municipales à un critère de respect de certaines règles et usages censés découler des principes de la laïcité (tels le respect de l’égalité hommes-femmes, le maintien des activités religieuses à l’écart des activités associatives, etc).

Dès septembre 2020, un appel était lancé à Montpellier par la Libre-Pensée, des membres du PCF (pourtant membre de la majorité municipale), des syndicalistes, qui dénonçaient cette charte comme un dévoiement de l’esprit même du principe de laïcité. Celle-ci ne saurait constituer une opinion à laquelle adhérer – encore moins de force – mais est un cadre universel qui fonde le socle républicain, imposant à l’État de se tenir à l’écart de toute approche religieuse. Ses opposants de gauche voient donc un contre-sens du tout au tout, et une intention discriminatoire en fait, une désignation de certaines populations « suspectes », de confession musulmane pour ne pas les nommer, derrière cette nouvelle imposition. On créerait ainsi des divisions en prétendant renforcer l’unité.  

Une fois passées les déclarations de principe, l’acte pionnier de l’association Saudade retentit comme un passage aux travaux pratiques. Son refus d’adhésion à la fameuse charte revêt une forte portée symbolique. Cela d’autant plus que cette association, œuvrant depuis quinze ans, pratique une laïcité active et intransigeante dans tous ses engagements. A travers des activités de soutien scolaire, des ateliers artistiques – dont un fameux atelier de danse animé par une personne trisomique – ou encore des créations de spectacles, elle poursuit l’objectif de valoriser la diversité des cultures, encourager leurs croisements, sans exclusive, avec un accent tout particulier mis sur le statut des femmes et celui des migrants.

Sa présidente, Marthe-Hélène Choukroune, également bien connue parmi les Gilets jaunes ou dans le mouvement contre la loi de Sécurité globale, relate le contenu de ses explications avec les agents municipaux qui s’étonnaient de la mention manquante concernant la Charte de laïcité dans le dossier déposé. En ces termes : « Je leur ai demandé de me prouver que toutes les associations d’inspiration catholique ou protestante, étaient clairement engagées dans le respect des droits des femmes, à commencer par l’avortement ou la contraception ». Cette personnalité associative est en effet, par ailleurs, une figure du féminisme de gauche, depuis le Mouvement de libération de l’avortement et de la contraception (MLAC, des années 70).

Selon elle, d’autres associations montpelliéraines, de sensibilités comparables, seraient en train d’envisager une attitude analogue, et une conférence de presse pourrait avoir lieu à ce sujet. Aujourd’hui choyé par la presse de droite, le maire PS de Montpellier risque de devoir s’expliquer sur sa gauche, et à la base. Voici le texte de la lettre qu’il a donc reçue, de la part de l’association Saudade :

Lettre du 24 décembre :

Comme vous le rappelez, l’article 1 de notre Constitution établit que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. »
Notre association a été fondée il y plus de quinze ans, et il va de soi qu’elle a toujours respecté la Constitution de notre République. Plus encore, elle s’est donnée pour mission première de faire vivre les différences dans le respect de celles-ci, comme en attestent à la fois notre acte fondateur et les nombreuses activités qu’elle a organisé chaque année de son existence. En effet, nous n’avons eu de cesse de favoriser les échanges entre des personnes aux différences les plus marquées et lutter contre toutes les formes de discrimination.
L’initiative conjointe prise par vous, Ville de Montpellier, et le gouvernement français, de conditionner la moindre subvention à la signature d’une “charte” qui, selon le sens de votre courrier, est redondante avec la Constitution ne peut que nous interroger. Pourquoi, en effet, serait-il nécessaire de « réaffirmer ces valeurs constitutives » que nous avons sans cesse affirmé ?
Cette redondance n’est pas anodine et elle intervient dans un contexte qui nous fait craindre que le sens que vous donnez au mot « laïcité » soit exactement contraire à celui auquel nous sommes attaché à la fois par la loi, l’histoire et notre sentiment commun. En effet, nous ne pouvons ignorer qu’avant même que cette charte ne soit « proposée », sous le chantage de subventions qui sont vitales à nombre de nos activités, le ministère de l’Intérieur a dissous une association, le CCIF (Collectif Contre l’Islamophobie en France). Or, cette dissolution est « un acte très grave de la part du gouvernement français », avec « un effet dissuasif sur toutes les personnes et toutes les organisations qui sont engagées dans la lutte contre le racisme et la discrimination en France », selon les mots de Nils Muižnieks, directeur d’Amnesty International pour l’Europe.
Nous avons l’immense regret de vous informer que nous avons bien plus confiance en cette ONG qu’en notre gouvernement pour définir de ce qu’est un acte discriminatoire, ne serait-ce que parce que ce gouvernement a été plusieurs fois rappelé à l’ordre par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, sans même parler des trop nombreuses violations des droits élémentaires à manifester et exprimer ses opinions dont la plupart de nos membres ont été témoins ces dernières années.
Nous ajoutons que nous écrivons cette réponse ce soir du 24 décembre 2020, fête chrétienne et seul jour dans la séquence présente qui a été épargné par le couvre-feu. Pour nos membres qui sont juifs, musulmans et athées, ce simple fait dit bien ce que notre gouvernement entend par « laïcité ». Pour elles et eux, c’est-à-dire nous qui célébrerons le passage à la nouvelle année comme une fête plus universelle sous la rigueur du couvre-feu, cette « laïcité » est un acte discriminatoire.
Nous estimons que le sens du texte de votre charte se comprend uniquement dans le contexte actuel, sa redondance avec notre Constitution indique que vous dévoyez la laïcité que nous avons reçue en héritage des luttes passées qui nous obligent envers notre avenir commun. C’est pourquoi nous refusons de signer ce texte, alors même qu’une grande partie des activités de notre association, qui promeuvent sans cesse le respect des différences, dépend de subventions publiques.

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