“Une journée particulière à Buenos Aires” par Jérémy Rubenstein

Le Poing Publié le 9 mars 2024 à 15:21 (mis à jour le 9 mars 2024 à 15:26)
Le 10 décembre 2023, Javier Milei était investi comme président de la République argentine. (Photo : Anita Pouchard Serra

Jérémy Rubenstein, docteur en histoire contemporaine de l’université Panthéon-Sorbonne, est un spécialiste de l’Argentine et de la violence politique. Il sera à Montpellier, au Barricade (5 rue Bonnie), ce samedi 9 mars pour évoquer les premiers mois de la présidence Milei, sur lesquels il revient dans ce texte

Le 10 décembre 2023, Javier Milei était investi comme président de la République argentine.
En seulement trois mois de gouvernement, nous assistons à une explosion de la pauvreté, de l’extrême pauvreté et de l’indigence. Des pans entiers des services publics, qu’ils soient de gestion privée ou publique (transports, hospitaliers, scolaires, universitaires, culturels…) ne sont plus financés, avec des effets déjà palpables (depuis des transports en sous effectifs jusqu’à des morts par manque de médicaments).

Parallèlement à cette catastrophe sociale et sanitaire sciemment provoquée par le plan économique du gouvernement libertarien, le mensonge et la « vérité alternative » s’installent dans une offensive propagandiste qui recouvre la réalité d’un halo d’incertitude sur le moindre fait. Emblématique de cette politique d’effacement des faits, le gouvernement a décrété la fermeture de l’agence de presse nationale, Télam, l’une des plus ancienne et robuste d’Amérique latine, avec effet immédiat. C’est-à-dire que les travailleurs de Télam ont trouvé porte close protégée par des clôtures et des policiers. Plusieurs porte-paroles gouvernementaux ont justifié cette fermeture car « aujourd’hui il y a Twitter ». Savoir si de telles déclarations doivent à la bêtise (éventualité à ne pas écarter) de ces ministres ou à l’objectif de défaire le moindre repère d’informations vérifiées n’a pas grand intérêt, dans la mesure où le résultat est le même. Cela donne la mesure du rapport à la vérité que peuvent avoir les « ultra-libéraux » (« libertariens », « anarcho-capitalistes » ou comment ils voudront s’appeler, sachant qu’ils changent sans cesse d’étiquette, créant ici aussi une vaste confusion).

L’effacement des vérités factuelles ne s’accompagne pas que de mensonges. L’insulte et l’humiliation publique occupent désormais une bonne part de la parole officielle. Telle semaine, Milei, depuis son pupitre de président, insulte et harcelle une chanteuse populaire, telle autre des gouverneurs de provinces, telle autre une nouvelle cible. Et la meute des « journalistes » à la botte du président suivent les directives de leur guide, recouvrant de boue la cible de la semaine ; pour ne rien dire des dizaines de milliers de miléïstes des réseaux « sociaux ».

Tout cela ne constitue qu’une petite partie de la réalité qui s’impose à une vitesse vertigineuse avec un gouvernement « ultra-libéral ». Cette dernière étiquette est celle qui a été adopté par la plupart de médias français (à commencer par l’AFP). Ce n’est pas faux mais encore faudrait-il préciser, et comprendre, que l’ultra-libéralisme a toute sa place à l’intérieur de l’extrême-droite. L’ultra-libéralisme est à la fois le prolongement du néolibéralisme et le courant d’extrême-droite le plus puissant actuellement à travers le monde.

Aussi, la catastrophe argentine en cours est un avertissement pour le reste du monde qui serait tenté de différencier néolibéralisme, ultralibéralisme et extrême-droite. Le parti néolibéral argentin (le Pro) a directement appelé à voter Milei, ce qui illustre parfaitement la connivence et le prolongement entre ces deux courants qui prônent tous deux la dictature de l’argent. Or, l’ultralibéralisme est totalement inséré dans l’extrême-droite dont les différents courants convergent vers le plus fort.

Combattre l’extrême-droite passe donc aujourd’hui nécessairement par la lutte contre toutes les idéologies qui placent le « succès économique » capitaliste au cœur de leur doctrine. Que ce soit avec les insultes de Milei ou les circonvolutions d’un Macron (son équivalent en Argentine s’appelle Macri), ce « succès économique » implique la destruction de la planète, l’instauration d’un régime politique irrespirable et une société dévastée. En Argentine et partout ailleurs, il n’est d’autre choix que combattre.

Jérémy Rubenstein

Nos articles sont gratuits car nous pensons que la presse indépendante doit être accessible à toutes et tous. Pourtant, produire une information engagée et de qualité nécessite du temps et de l’argent, surtout quand on refuse d’être aux ordres de Bolloré et de ses amis… Pourvu que ça dure ! Ça tombe bien, ça ne tient qu’à vous :


ARTICLE SUIVANT :

Montpellier : un 8 mars internationaliste et intersectionnel