Une justice à deux vitesses – Edito

Le Poing Publié le 11 juillet 2020 à 19:29

« Selon que vous serez puissant ou misérable
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ».
Écrites en 1678, ces lignes de La Fontaine sont usées jusqu’à la corde. Malheureusement, l’actualité nous rappelle sans cesse leur douloureuse pertinence. Quelques exemples récents jettent une lumière crue sur une justice française décidément bien malade.

Côté rue…

Si vous n’avez aucun réseau, que vous êtes une personne lambda, l’épreuve de la justice risque d’être désagréable pour vous. Les facteurs aggravants sont connus : être pauvre, sans domicile fixe, avoir une situation familiale compliquée, des problèmes d’addiction ou le malheur d’être étranger… Les comparutions immédiates correspondent ainsi à une justice d’abattage, l’enquête et les droits de la défense étant réduits à leur plus simple expression dans l’optique de « faire du chiffre ».Le Poing a recensé un certain nombre d’affaires exemplaires de ce scandale judiciaire permanent. Qu’on songe aux six mois de prison ferme pour un vol de part de pizza, et autres condamnations délirantes remplissant des prisons déjà surpeuplées, sans rien régler à une situation sociale dramatique.Les révoltes sont également durement punies, et particulièrement quand elles menacent le pouvoir. Rien d’étonnant à cela : les magistrats appartiennent au même monde favorisé que les politiciens, patrons et notables locaux. Ils se sentent donc naturellement solidaires des leurs, et haïssent ceux qui menacent leur position. Les Gilets Jaunes en ont rapidement fait les frais, et Montpellier n’a pas été en reste, avec une série de jugements d’une extrême violence.

…Et côté cour

Si par contre votre position sociale est confortable, si vous avez du réseau et de l’argent, la justice saura se montrer beaucoup plus conciliante. Les casiers judicaires de nombre de politiciens suffiraient à envoyer n’importe quel prolétaire en prison à perpétuité. Pourtant, Jacques Chirac a-t-il été une seule fois derrière les barreaux ? Les gardes à vues, employées pour ou oui ou pour un non au quotidien, deviennent extraordinaires dès que l’on monté dans la hiérarchie sociale. Rappelons-nous des articles scandalisés évoquant le calvaire du pauvre Nicolas Sarkozy, beignant pourtant dans une série d’affaires particulièrement sordides, et dont le rôle dans la déstabilisation de la Libye est de plus en plus trouble. Sa proximité avec le pouvoir actuel (il a l’oreille d’Emmanuel Macron, et son avocat vient d’être nommé ministre de la justice…) n’y est sans doute pour rien, bien sûr.

Un exemple touchant au comique nous a encore été donné par Patrick Balkany. Il était incroyable qu’un bourgeois de cette carrure soit effectivement condamné à de la prison. La justice a donc vite rattrapé son erreur et l’a libéré, pour « problèmes de santé », suite à de nombreux articles et communiqués larmoyants. Une santé fragile qui ne l’empêchait pas de danser devant les caméras quelques jours plus tard et de commettre des attouchements sur une femme, lors de la fête de la musique.

D’autres histoires sont plus sordides : ainsi Gerald Darmanin, visé par des enquêtes pour viol, abus de faiblesse et autres crapuleries, est nommé ministre de l’intérieur sous les applaudissements d’une Marlène Schiappa qui décidément utilise la cause des femmes comme un paillasson. La « présomption d’innocence » a bon dos.

La liste est encore bien longue, et il y a fort à parier que ces cas de corruption, d’agressions, de détournements de fonds ou même de liens troubles avec des dictatures et des criminels ne soient que la partie émergée de l’iceberg. Comment croire un instant que des personnes sans empathie pour le peuple, intouchables judiciairement, et bénéficiant de pouvoirs immenses, n’en profitent pas ? Comment être assez naïfs pour imaginer que des carrières bâties sur le vice produisent par miracle un personnel politique vertueux ?

Deux salles, deux ambiances

Ainsi, que vous serez puissant ou misérable, la justice républicaine fera de vous un criminel enfermé pour de longues années dans des tôles surpeuplées, ou une pauvre victime d’accusations malveillantes, vite relaxé par les tribunaux grâce aux meilleurs avocats du pays – et, si les affaires sont décidément trop graves, elles traîneront en longueur jusqu’à ce que la vieillisse vienne vous soulager de vos démons.

Evoquons enfin les forces de l’ordre, dont le pouvoir a tant besoin qu’il leur passe tout. Malgré des dizaines de morts, des centaines de blessés, des dérives mafieuses et racistes avérées, une culture odieuse de l’impunité et du retournement accusatoire (« oui monsieur le juge, nous l’avons défoncé, mais il nous avait outragé et se rebellait ; la preuve, on a dû le défoncer ! »)…, combien d’agents des forces de l’ordre dorment aujourd’hui en prison ?

Alors que la justice envoie au cachot des personnes soupçonnées d’avoir vaguement jeté une cannette en direction de policiers surarmés et surprotégés, sur la foi du simple témoignage des mêmes policiers, la même justice classe sans suite des enquêtes solides prouvant la culpabilité des agents dans des mutilations ou des morts. L’IGPN et le pouvoir judicaire se relaient pour blanchir et protéger leurs troupes.

Ce qui est légal dans cet Etat n’est pas ce qui est légitime. Et ce qui est illégal n’est plus nécessairement illégitime. La justice sociale ne pourra être obtenue par les institutions, en se fiant à un éventuel retournement d’un système qui détruit des vies et secourt les criminels en col blanc. Quand l’injustice devient la loi, la révolte devient un devoir.

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