Montpellier : les procès de gilets jaunes tournent au vaudeville

Le Poing Publié le 5 décembre 2019 à 09:15 (mis à jour le 6 décembre 2019 à 15:59)
Image d'illustration. "Le Poing"
Trois gilets jaunes, une interpellée en octobre et les deux autres le 9 novembre dernier, comparaissaient ce mercredi 4 décembre 2019 au tribunal de grande instance de Montpellier, entre diverses affaires plus ou moins sordides et plusieurs moments surréalistes où le grotesque se disputait au tragique.

Florilège

Un prévenu, dont on égrenait le parcours scolaire, a quitté le lycée après la seconde, une classe qu’il a achevée. Question de la présidente, lisant le PV tapé par la police durant son audition : « Que signifie le sigle H.E.V. ? » Perplexité dans la salle, bientôt suivie par quelques rires nerveux. Il ne s’agissait évidemment pas de l’intitulé d’une filière ou d’un cursus de type H.E.C, mais bien du mot “achevée” en une graphie un peu rustique. Pas sûr que le policier qui ait tapé ce PV ait, lui, achevé sa seconde. Autre détail surréaliste : tandis qu’un prévenu se disait victime d’une erreur judiciaire et d’un acharnement de la part de l’institution, avec des juges et des procureurs se couvrant mutuellement sur fond de complot maçonnique, quelle ne fut pas notre surprise de découvrir, affiché à l’entrée de la salle, le nom de famille de la greffière des audiences du jour : Mme Illuminati. De quoi semer le doute dans le plus cartésien des esprits. Mais revenons aux gilets jaunes.

40h de TIG pour un feu de déchets

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S., 39 ans, mère célibataire de deux enfants qui a récemment perdu son travail, interpellée violemment devant le Monoprix de la Comédie le 9 novembre, comparaissait pour des faits de dégradation matérielle et de participation à un groupement en vue de commettre des dégradations. Bien vite, ce deuxième chef fut évacué par le procureur lui-même, puisque l’on ne peut condamner à la fois une personne pour des faits de dégradation et de participation à un groupement EN VUE DE commettre ces mêmes dégradations. Restait la tentative d’allumage de déchets sur le sol, sans que le container ne s’enflamme, et la présence d’allume-feux dans le sac de la prévenue.

Si le procureur n’a pas été extrêmement sévère dans ses réquisitions, il n’a pas pu s’empêcher de dérouler l’antienne gouvernementale et médiatique qui prétend que les gilets jaunes seraient « infiltrés » par de dangereux casseurs uniquement guidés par leur soif de violence. « D’ailleurs, S. est-elle bien une gilet jaune ? », a interrogé M. Tixier de manière rhétorique. Or, la réponse lui avait été apportée de manière fortuite au cours de l’interrogatoire précédent.

Alors que son avocate interrogeait S. sur sa situation professionnelle passée, pour souligner que cette dernière faisait durant un temps 87km aller ET retour chaque jour pour travailler, une petite incompréhension très révélatrice s’est jouée devant nous, peut-être seulement audible aux oreilles les plus sensibles. « Pouvez-vous nous parler de votre dernier emploi ? », interroge la défense. Croyant avoir entendu « de votre dernier rond-point », S. se met à parler de ses jeudis soirs au rond-point de Port Marianne – et cette réponse à côté, en définitive, dit tout. Les gilets jaunes, pour S. comme pour de nombreuses personnes, c’est un chamboulement total, un mode de vie. Et si elle se baladait avec des allume-feux, c’était justement, explique-t-elle, pour se réchauffer durant les longues nuits passées sur les ronds-points à palabrer et réinventer le monde. S. écopera finalement de 40 heures de travaux d’intérêt général, sans l’interdiction de manifester réclamée par le parquet.

Une relaxe après une audience houleuse

Après un tunnel d’audiences diverses, la journée s’est achevée sur les dossiers des deux autres gilets jaunes restants. A ce moment-là, le climat plutôt feutré de la cour – en-dehors d’une présidente rendue furieuse par la moindre sonnerie de téléphone, même provenant de l’extérieur de la salle ou du téléphone de service d’un agent pénitentiaire – est soudainement devenu plus électrique, donnant lieu à deux exclusions de salle, une prise en train de pianoter sur son téléphone et l’autre à cause d’un sourire trop narquois qui a irrité la présidente Bresdin.

G., 65 ans, un ingénieur engagé au casier judiciaire vierge, comparaissait pour des faits de participation à un groupement, comme à l’accoutumée, et de violence sur personne dépositaire de l’autorité publique – même si aucune partie civile ne s’est signalée dans ce dossier. Militant depuis 40 ans, syndicaliste, la situation confortable de G. n’empêche en rien son engagement : « Je serai toujours du côté des opprimés », a-t-il expliqué.

Arrêté le 9 novembre sur la place de la comédie après avoir été projeté au sol et blessé par la charge policière, G. était accusé de violences par ceux-là mêmes qui l’ont violenté, en une classique inversion de la charge de l’agression. Or, non seulement aucune victime policière n’a pu être identifiée, mais aucun élément matériel n’atteste des faits reprochés à G. – à savoir, un jet de projectile. Un débat lunaire a alors occupé la cour : pourquoi G. manifestait-il, ce 9 novembre 2019, alors que la manifestation était interdite ?

En réalité, la manifestation n’était pas interdite, mais non-déclarée (comme quasiment toutes les manifestations des gilets jaunes), une subtilité qui échappe semble-t-il à celle qui était chargée, en cette enceinte, de garantir les libertés publiques, comme l’a souligné l’avocat de la défense avant de signaler que la présidente se comportait en réalité plutôt comme « une annexe de la préfecture ». Le procureur lui-même, sans doute agacé de voir son accusation affaiblie par un angle d’attaque complètement dépouillé de base juridique, a finalement dû intervenir pour rappeler que G. n’était pas accusé de participation à une manifestation interdite, mais de violences. Se disant lui aussi du côté des opprimés, et rendant un hommage appuyé aux forces de l’ordre, M. Tixier a réclamé une amende de 600€ sans peine de prison avec sursis, qu’il aurait demandée en d’autres circonstances mais qui ne collaient pas avec le profil du prévenu.

Me Otan, avocat de la défense, s’est interrogé sur le rôle joué par les tribunaux correctionnels depuis le début du mouvement des gilets jaunes : sont-ils devenus le « service après-vente de la gestion » d’un mouvement social ingérable ? Après être revenu sur la nuance entre manifestation interdite et non-déclarée, l’avocat a rappelé le contexte de violences policières en France, dont son client est une des innombrables victimes, et évoqué les condamnations d’institutions internationales, provoquant la fureur de la juge, qui s’est mise à recouvrir son propos de toute sa hargne : « Restez dans le dossier ! Le cas de votre client est une exception ! Je ne peux pas vous laisser dire que les violences policières sont courantes ! »

Après ces échanges particulièrement vifs, Me Otan a eu toute latitude pour démontrer à quel point le dossier était vide. Il aura été entendu par la cour, qui n’a eu d’autre choix que de relaxer G. des faits qui lui étaient reprochés. Si l’on ne peut que se réjouir de cette décision, les réquisitions du procureur nous rappellent à quel point la justice varie selon la situation sociale du prévenu.

Un mois de sursis pour avoir participé à un groupement

S., 39 ans, actuellement sans emploi à cause de sérieux problèmes de santé, comparaissait enfin pour des faits de participation à un groupement, encore et toujours, en date du 5 octobre 2019. Repérée à la vidéosurveillance en train de se « dissimuler le visage », d’après la police, c’est-à-dire, d’après l’intéressée, en train de se couvrir le nez d’un bandana pour échapper aux gaz lacrymogènes (notamment en raison de son état de santé), S. a été interpellée en possession d’œufs avariés qu’elle transportait dans un sac plastique.

D’après la police, l’odeur pestilentielle se dégageant des œufs ne pouvait signifier qu’une chose : ils avaient été remplis d’urine et d’excréments, afin d’humilier les forces de l’ordre qui les auraient reçus de plein fouet. Une opération légèrement improbable, vu que les œufs étaient encore pleins de leur contenu originel, certes pourri. Œuf pourri, pisse, merde ? Nous ne connaîtrons jamais le fin mot de l’affaire, puisqu’aucun test n’a été effectué sur les armes du crime potentiel.

La cour s’est longuement appesantie sur un tract que possédait S. au moment de son interpellation, rempli de sages conseils en cas d’interpellation ou de déferrement au tribunal. La présidente en a entrepris la lecture intégrale ponctuée de regards entendus. A priori, l’auto-défense collective dont font preuve tant de manifestants est foncièrement suspecte. N’avons-nous donc pas confiance en nos institutions ?

Finalement, la cour suivra le procureur en condamnant la prévenue à un mois de prison avec sursis, tout en rejetant la demande d’interdiction de manifester.

Après plus de sept heures passées dans ce cirque infernal, on rentre chez soi un peu sonné et désorienté. L’inanité de certaines questions, les flottements d’un dossier à l’autre, la clochardisation évidente de l’institution judiciaire – la salle 7 du TGI voit ses ampoules sauter les unes après les autres… Tout cela nous force à nous interroger. Et si les Illuminati prenaient enfin le pouvoir, feraient-ils vraiment pire que ça ?

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