100 000 heures de travail ont fait pschitt sur les ordinateurs du CHU de Montpellier

Le Poing Publié le 21 janvier 2021 à 20:46

Une première journée de grève, à l’appel de la CGT, pour les hospitaliers après le Ségur de la santé

Une cinquantaine d’employés du Centre hospitalier universitaire de Montpellier ont passé le temps du déjeuner, ce jeudi midi, sous les fenêtres du Centre Benech, à l’hôpital Lapeyronie. Lequel abrite l’administration qui gère les onze mille agents travaillant au service du plus gros employeur de la ville. La CGT avait appelé à une journée de débrayage des “héros essentiels de l’année 2020” (selon ses propres termes, teintés d’humour noir).

On est à présent en janvier 2021. Le COVID est toujours là, pour écraser certains services. Mais il faut aussi compter avec Chronos, pour pourrir l’ambiance de ce début d’année. Chronos est un logiciel, dont la direction hospitalière vanta les qualités de toute confiance qu’il allait permettre d’installer dans la gestion des temps de travail des personnels, et leur rémunération correspondante, au moment de sa mise en service. Sauf que patatras : pour la deuxième année consécutive, un bug fait que 104 000 heures de travail sont réclamées à 2500 agents environ, qui seraient un trop-perçu !

Soit environ une semaine entière de temps de travail supplémentaire, que ces personnels devraient effectuer cette année, pour réparer la soit disant erreur informatique, d’un système qui leur reste en grande partie opaque. En matière de confiance, comme de reconnaissance des efforts exceptionnels consentis par temps de COVID, on imagine meilleure façon d’attaquer l’année. Cette bavure technologique a été l’occasion de rappeler un chapelet d’insatisfactions et d’irrégularités touchant au temps de travail.

Il en va des soldes positifs finaux, qui ne sont pas reconvertis en heures supplémentaires rémunérées, mais en repos compensateurs (« on va troquer un jour de Noël travaillé loin des enfants contre un mardi anonyme en pleine semaine de février » citait en exemple Rémy Ruiz, l’un des responsables syndicaux). Il en va des temps de déshabillage-rhabillage non comptés, qui finissent par totaliser plusieurs journées. Et encore les temps de dépassement pour les nécessités de service, qui font pschitt en-dessous de quinze minutes. Particulièrement lourd : un dimanche sur deux est travaillé, quand la loi n’en prévoit qu’un sur trois. Etc.

Chaque exemple peut paraître en lui-même mineur. Au total des mises bout à bout, la portée symbolique est considérable, pour des métiers de l’attention et du sacrifice sans compter, sur lesquels on a voulu broder toute une phraséologie de l’héroïsme. Le même Rémy Ruiz récuse fermement ce terme, manipulateur et galvaudé. Dans un développement très nourri, à teneur quasi philosophique, il a défendu au contraire la notion de « mission » mais alors en lui conférant un sens extrêment fort : « Ne plus rien ressentir face à la détresse et la mort, c’est cesser d’être humain. C’est dans la lutte quotidienne pour rester humain [auprès des patients] que réside la pénibilité du service hospitalier ».

C’est celle-ci qui mérite d’être honorée. On parle d’honneur ? C’est donc l’occasion d’examiner la liste des récipiendaires de la dernière promotion de la Légion d’honneur au CHU du Montpellier : « Sur 11 000 agents, aucun salarié du rang [parmi les récipiendaires de la décoration]. Exclusivement des chefs de service et des directeurs. Exclusivement des hommes, quand 80 % des effectifs sont des femmes ». De quel honneur faut-il donc parler, si on considère que les 800 000 heures de travail en excès effectivement décomptés par le fameux Chronos, « représenteraient les 450 postes supplémentaires à créer, dont les services ont besoin ».

A défaut de Légion d’honneur, il se sera donc distribué des primes COVID inégalitaires, des revalorisations Ségur « qui n’ont fait que compenser partiellement les baisses de rémunération  accumulées à travers le gel des salaires pendant des années antérieures ». Dans cet univers de médailles en chocolat, il faut encore remarquer « qu’en percevant la revalorisation du Ségur, les plus pauvres des agents y ont perdu leur prime d’activité, et se retrouvent encore plus pauvres ».

Il n’y a pas de héros, mais des travailleurs accomplissant leur mission. Cette mission doit être honorée. « Mais l’honneur, ça ne rapporte rien. Nous ce qu’on veut, ça n’est pas de l’honneur. C’est de la justice » a conclu l’orateur. Et de se diriger vers une stèle de carton appelant à la “mort de Chronos”. Au pied de celle-ci, il a déposé le premier stétoscope de son début de carrière, alors chargé de beaucoup d’espoir, d’honneur et de dignité. Il y a rajouté sa blouse d’infirmier. Y a mis le feu. Brasier des vanités.

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