8 mars – 8 voix, épisode 2 : Max
A l’occasion du 8 mars, nous avons voulu rendre plus visibles les voix des féminismes d’aujourd’hui. Le Poing est allé, et continue d’aller, à la rencontre de 8 féministes impliquées d’une façon ou d’une autre dans ces luttes d’hier et aujourd’hui à Montpellier ou ailleurs. Certain·es font partie d’associations, organisations politiques ou mouvements mais c’est en leur nom propre et non en tant que porte-parole qu’elles et iels s’expriment ici. Après Adeline, c’est vers Max que notre oreille s’est portée. Bonne lecture !
Peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Max, j’ai 20 ans et je suis non-binaire. Je suis militante à mi-temps, et le reste du temps je suis étudiant en en sciences humaines. Je vis chez mon chat et mes plantes et cohabite avec de l’anxiété. Je suis le résultat d’une multitude d’expériences, dont quelques-unes de traumatisantes, je sais à quoi ressemble la violence, je pense c’est ce qui me permet de continuer de lutter et qui a en partie formé ma pensée.
Lors d’une rencontre avec Victoire Tuaillon autour de son livre Les Couilles Sur La Table, elle disait à propos de la binarité “au fond, quel besoin a-t-on de marquer un genre sur nos papiers d’identités ? A-t-on vraiment besoin d’une étiquette de genre pour s’identifier / être identifié ?”. Que t’inspire cette phrase ?
Je ne comprends pas le besoin irrépressible pour le groupe à donner une étiquette à un individu (évidemment cela résulte de notre éducation et du patriarcat). C’est pour moi l’individu qui peut se donner une étiquette s’iel en ressent le besoin, cependant je sais aussi que l’humain a un besoin irrépressible de catégoriser les individus (c’est la catégorisation sociale en psychologie sociale), je comprends donc le besoin d’étiqueter. On n’a clairement pas besoin d’un M ou d’un F sur nos cartes d’identités, parce qu’ils sont tellement faux, réducteurs, sources de dysphorie et de beaucoup de travail pour en changer pour certaines personnes.
Je ne sais pas vraiment dans quel mode de pensée s’ancre mon identité de genre, mais si je pouvais effacer le marqueur de sexe sur ma carte d’identité et de devoir cocher des cases dans les formulaires administratifs cela m’arrangerait. Vers mes 17 ans je me suis beaucoup questionné sur mon identité, j’ai beaucoup lu et je ne me sentais mal à l’aise quand on me désignait en tant que fille/femme, je n’étais pas dans un rejet de la féminité mais dans une exploration. Tout ça pour me rendre compte au fil du temps que je n’étais pas « que ça » et que je ne voulais plus de cette étiquette. J’ai mis beaucoup de temps à l’exprimer et le revendiquer, n’ayant pas de modèle autour de moi. Puis j’ai rencontré des personnes que je porte dans mon cœur qui m’ont parlé de leur non-binarité, et qui m’ont permis de l’explorer sans que j’aie besoin d’en parler. Cela fait seulement quelques mois que j’en discute ouvertement avec mes ami·es, je suis dans l’expérimentation du genre, dans le rejet de ses normes et j’essaie d’apprivoiser et d’aimer cette identité. Cela montre l’importance de la représentation, sans cela je pense que je n’aurais jamais pu évoluer.
Quand as-tu commencé à militer ?
Je pense que cela dépend du sens du terme militer, si c’est être présent associativement c’est à partir de mes 11 ans j’ai fait partie d’une association d’aide à un enfant malade à laquelle j’ai contribué à mon échelle, à la même époque j’ai essayé de commencer à sensibiliser mes camarades au handicap, au sens des insultes qu’iels utilisaient. Durant ma scolarité j’ai évolué, je suis devenue végétarienne, j’ai découvert mon orientation sexuelle, et mon identité de genre et cela m’a donné envie de me battre. Ma terminale a été forte c’est durant cette année que je me suis engagée à Amnesty International, et j’ai lutté contre la réforme des lycées et parcoursup avec mes camarades, ce qui m’a fait découvrir le syndicalisme. Au fil de mes expériences j’ai appris, j’ai lu ce que je pouvais trouver qui concernait le féminisme, les luttes LGBTQIA+, l’antispécisme, l’écologie, le décolonialisme, …
Maintenant je lutte avec mes camarades de CQFAD+ et je suis toujours aussi en colère que quand j’avais 11 ans.
Lorsque tu colles avec le collectif CQFAD+, que ressens-tu ? Quel sens donnes-tu à ces collages ?
Cela dépend, il y a d’abord l’excitation, et un peu d’angoisse avant de coller parce que je sais que je prends un risque, mais je sais aussi que je vais faire un acte que je pense utile avec des personnes que j’estime. Il arrive parfois qu’on croise la police, la BAC ou des riverain·es récalcitrant·es, dans ces moments-là je prends sur moi, je me contiens pour faire preuve d’un maximum de pédagogie et j’essaie de ne pas avoir peur. Il y a – pendant qu’on colle – des moments de désinhibition, des moments où je me sens si bien, en confiance où on se sent invincibles, dans ces moments-là je me sens plus que jamais vivant.
Ces collages sont une dénonciation sur la place publique des dysfonctionnements, des systèmes discriminatoires, le but est que les personnes qui les voient se posent des questions. Que ces collages ne soient pas juste comme une autre forme d’art de rue ni que cela fasse juste partie du paysage. C’est de la souffrance sur les murs, de manière littérale. La multiplication des collages dans le monde, ainsi que l’intensité avec laquelle les militant·es donnent de leur temps pour dénoncer devrait questionner le pouvoir.
Le féminisme est un ensemble de mouvements et d’idées, loin d’être uniforme, il n’existe donc pas un féminisme mais des féminismes. Comment définis-tu ton féminisme ?
Le féminisme pour moi s’inscrit dans la convergence des luttes, le féminisme doit prendre en compte la pluralité des identités. Les différentes oppressions subies par une personne doivent être prises en compte, le féminisme de la convergence des luttes ne peut accepter l’islamophobie, la transphobie ou toute autre forme de discrimination.
À tes yeux, où en est le féminisme en France aujourd’hui ?
Je n’arrive pas à savoir, je ne sais pas si je peux dire qu’on a de la chance, que la France fait partie des « moins-pires » (je ne suis même pas convaincue). Mais dans la mesure où le ministre de l’intérieur est accusé de viol, je ne peux que me dire que le système est dysfonctionnel, et que les institutions sont bonnes à être démolies même si la population tend à évoluer. De plus nous ne sommes – pour la majorité – pas dans une lutte pour la survie en tant que telle, mais dans une lutte pour conserver nos droits et en acquérir. D’autre part le milieu féministe est très institutionnel et souvent dépendant de fonds, avec un modèle associatif qui pour moi est à bout de souffle et par son ancrage institutionnel, ces associations sont seulement la pierre qui empêche le tout de s’effondrer, et qui par ailleurs fait le travail que l’Etat devrait faire.
Et j’ai peur pour le féminisme ainsi que pour bien d’autres luttes. Car le gouvernement s’attaque directement aux universitaires, aux chercheur·euses qui fournissent les documents lus par les militant·es, qui nous permettent de développer des concepts, d’apprendre de nouveaux chiffres et qui sont une base pour pouvoir lutter. J’ai peur que nous soyons contraint·es à une régression.
Au fond pour moi que c’est un féminisme de façade, c’est un féminisme pour « faire bien » de temps en temps, pour faire du profit, mais que majoritairement au niveau étatique, au niveau des différentes institutions ainsi qu’au niveau des entreprises il n’y a pas de fond et parfois pas de forme, ni aucune prise en compte et compréhension des messages véhiculés.
Tu dis – à juste titre – que les assos colmatent aujourd’hui les brèches ouvertes par l’incurie de l’Etat. Que devraient-elles faire selon toi ? On pense notamment à des assos comme Médecins du Monde, le Planning Familial, l’asso derrière le numéro d’aide 3919.
Je n’ai pas de réponse claire à donner à ces questions, les associations ne peuvent pas arrêter de fonctionner du jour au lendemain il y aurait trop à perdre pour les personnes qui bénéficient de l’aide d’associations. D’autre part les militants ont pour vocation première d’alerter, et c’est à l’Etat de prendre des mesures, de trouver des solutions, de combler ses brèches, les militant·es n’ont pas le devoir de trouver des solutions.
À quoi une utopie féministe peut ressembler ?
Un monde sans discrimination ni rapports de force ?
Mon utopie c’est un petit village autogéré, un lieu de lutte, mais aussi un lieu qui permet de prendre soin de soi, qui permet de créer et de vivre, non pas de survivre.
Un vœu pour le 8 mars ?
Que les femmes et minorités de genre, et surtout les femmes trans puissent vivre en paix, sans que chaque jour soit une lutte.
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