Montpellier. Gilets jaunes, acte 46 : 2 détentions, et des interdictions de manifester en France jusqu’à 2 ans

Le Poing Publié le 1 octobre 2019 à 14:05 (mis à jour le 1 octobre 2019 à 14:11)
À chaque samedi son lundi : parmi les neuf interpellés de l’acte 46 des gilets jaunes, quatre sont passés en comparution immédiate hier au tribunal de grande instance de Montpellier. Le Poing est habitué aux audiences abracadabrantesques, mais celles d’hier étaient particulièrement capillotractées : répression grossière d’un opposant politique, débat sur le sens pénal de l’expression « pute à Macron », un touriste néerlandais et une situation médicale dramatique. Verdict : deux prisonniers de plus.

Un militant contre les violences d’État interdit de manifester

Après avoir arrêté des journalistes indépendants et une observatrice de la Ligue des droits de l’Homme lors de l’acte 45, les policiers de Montpellier ont attaqué pendant l’acte 46 un militant du collectif « Désarmons-les », surnommé Ian. Le jeune homme, spécialiste des armes répressives, devait donner une conférence sur le maintien de l’ordre le soir même au Barricade. Tout un symbole. Interpellé vers 16h30 aux abords du Polygone par la compagnie départementale d’intervention, il est accusé des sempiternelles « participation à un attroupement en vue de commettre des violences », « violence sur personne dépositaire de l’autorité publique », « outrage » et « refus de prélèvement biologique ». Ian nous raconte les dessous de ce-dernier chef d’inculpation : « un policier s’est présenté à la porte de ma cellule pour la signalétique[photos et prise d’empreintes digitales], j’ai dit ‘‘non’’, et ça s’est transformé en ‘‘refus de prélèvement biologique’’ [ADN]… » Son avocat dispose déjà d’une clé USB avec une vidéo favorable à son client. De son côté, le juge annonce l’exploitation des caméras de vidéosurveillance. Ian est libéré en attendant son procès prévu pour le 28 octobre, mais son contrôle judiciaire est strict : interdiction de manifester sur tout le territoire national et de paraître dans l’Hérault. Impossible de ne pas mettre en relation cette pré-condamnation avec le travail minutieux du collectif « Désarmons-les » sur la dangerosité des armes de la police. En France, en 2019, critiquer l’État est un exercice dangereux.

Le VIH jugé compatible avec la détention

Le second prévenu est aussi accusé du chef d’inculpation fourre-tout de « participation à un attroupement en vue de commettre des violences et des dégradations », plus violence sur policiers et dégradation. Son cas ne fait pas sourire : déjà porteur d’un bracelet électronique pour une autre affaire, il déclare être séropositif et sujet aux problèmes cardiaques. Il affirme n’avoir pas pu prendre son traitement pendant la garde à vue. Il réclame un délai, et est placé en détention provisoire en attendant son procès prévu également pour le 28 octobre, le juge considérant qu’être atteint du VIH n’est pas incompatible avec l’emprisonnement. Pourtant, un rapport de l’Arcat, intitulé « VIH en prison : les soins aux oubliettes ? », relate des cas dramatiques, comme celui d’un détenu qui « a bataillé pendant deux ans pour obtenir sa libération alors qu’il n’avait plus accès aux soins nécessaires en prison. Soigné pour le VIH, son hépatite s’est transformée en cirrhose en détention faute de soins appropriés ». Puisqu’on vous dit que la justice vous protège…

« La première injustice c’est le désordre ! »

Le troisième prévenu, accusé de violences sur policiers et de feux de poubelles, avoue tout. La plaidoirie de l’avocat des policiers est décapante : « le fait de participer à un énième acte prouve qu’on n’est pas un manifestant, mais un voyou ». Manifester, c’est autorisé, mais un peu, pas trop. « La première injustice, c’est le désordre ! » Et on est prié de croire que les manœuvres policières n’ont qu’un seul but : faire en sorte que rien ne dégénère. L’avocate du prévenu remet en cause le bien-fondé juridique de l’accusation d’outrage, l’insulte putophobe « pute à Macron » n’étant pas explicitement visée par le Code pénal. Selon elle, les policiers transforment les insultes en violences, « parce que ça rapporte plus ». Verdict : six mois de prison ferme avec mandat de dépôt, interdiction de manifester en France pendant deux ans et 800€ d’amende au total, notamment au bénéfice de la métropole, dirigé par un certain Philippe Saurel.

« La France n’est pas un bon pays »

L’histoire du quatrième prévenu pourrait prêter à sourire si elle ne traduisait pas une évolution autoritaire de l’État. Un jeune touriste néerlandais, de halte à Montpellier avant un pèlerinage vers Saint-Jacques-de-Compostelle, se retrouve à la barre, sans savoir parler un mot de français. Son interprète explique qu’il ne connaît rien aux gilets jaunes et qu’il s’est retrouvé nassé par hasard. Il avoue avoir lancé un projectile : « j’ai eu peur de la police, la France n’est pas un bon pays ». Son avocate relate les pressions exercées en garde à vue du fait de la barrière de la langue. Mais la procureure insiste sur un autre point : « Normalement, ce pèlerinage se fait du nord vers le sud, pourquoi vous êtes passé par Montpellier alors que vous venez de Perpignan si c’est pour retourner en Espagne après ? » La question n’a qu’un seul but : faire passer ce touriste pour un gilet jaune. « Si c’était le cas, la sentence ne serait pas la même ? » s’inquiète l’avocate. Pas de réponse. Six mois de sursis et interdiction d’être en France pendant deux ans. Lang leve Frankrijk !

Où va-t-on ?

Les interdictions de manifester s’étendent dans le temps et dans l’espace. Les policiers arrêtent n’importe qui sans fournir de motif. Les condamnations judiciaires sont quasi quotidiennes à Montpellier. Quiconque manifeste prend un risque. Les juges exécutent la fin des libertés publiques en fanfaronnant. Mais malgré tout, la solidarité subsiste. Ils étaient plusieurs dizaines de soutiens hier au tribunal. Signe que la répression n’a pas sapée tous les liens de solidarités noués lors de ces dix longs mois de luttes.

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