À Montpellier, Freak-Tion ouvre des perspectives pour l’émancipation du mouvement queer
Le Poing
Publié le 29 octobre 2019 à 18:30 (mis à jour le 29 octobre 2019 à 18:47)
Samedi
dernier, à quelques jours
d’Halloween, le
centre d’actions
sociales autogéré (CASA) de Montpellier a
accueilli la soirée
« Creature
of the night », organisée
par le groupe «
Freaks-Tion scène ouverte queer ». Les performances, intenses,
se sont librement enchainées sur des thématiques diverses, du
féminicide au harcèlement en passant par le suicide. Les messages
politiques délivrés sont plus ou moins explicitement formulés,
mais toujours dans un esprit queer, festif et revendicatif.
Freaks-Tion renoue avec une certaine histoire du mouvement LGBTI,
résolument tourné vers l’émancipation.
De la rue au ministère
À
l’origine,
le terme queer est une insulte utilisée à l’encontre des personnes
LGBTI (lesbiennes, gays,
bi, trans, intersex) signifiant bizarre et déviant.
Aux États-Unis, dans les années 1990,
des militant·e·s
commencent
à revendiquer ce terme. On retrouve des slogans tels que « we’re
here, we’re queer, get used to it
» (« on est là, on est
queer, habituez vous-y »).
Cette réappropriation est non seulement un moyen de rétorquer la
fierté face aux stigmatisations, mais aussi de formuler une nouvelle
identité, en réaction aux évolutions du « mouvement gay ».
Propulsé aux Etats-Unis
par les
émeutes de Stonewall, aux origines des premières Pride en
Europe, ce mouvement est d’abord porté par des militant·e·s
révolté·e·s, dont celleux du Front Homosexuel d’Action
Révolutionnaire.
Mais
dans les années 1980, on se met progressivement à parler de «
droits » plutôt que de « libération » et de « révolution »,
le mouvement perd en subversion, pas essentiellement par trahison,
mais aussi pour faire preuve de pragmatisme face à l’épidémie du
SIDA. À la fin du XXe siècle, dans un contexte marqué
par la fin des idéologies révolutionnaires et l’hégémonie du
libéralisme, ce mouvement, longtemps vital pour la communauté,
tend à la normalisation du mouvement au sein d’institutions
structurellement hétéro-patriarcales. Celleux qui se définissent
comme queer dans les années 1990 dénoncent une reproduction des
rapports de pouvoir teintée de patriarcat au sein même du la
communauté LGBTI. Iels vont s‘y opposer en remettant sur le devant
de la scène les femmes, les folles, les lesbiennes, les personnes
transgenres, en bref celleux qui dérogent le plus brutalement aux
normes hétéro-patriarcales. Le queer se préoccupe des questions
raciales, de lutte des classes, d’intersectionnalité mais aussi
d’identité et de plaisir : une approche qui se reconnecte à la
radicalité des années 1970 et à ce que le FHAR désignait comme
une « conception homosexuelle du monde ».
Du ressenti individuel à la lutte collective
Aujourd’hui,
le mouvement queer est encore en proie à la récupération libérale,
mais à Montpellier, Freaks-Tion est là pour s‘y opposer. Après
deux soirées dans des bars de l’Écusson, le changement de lieu
vers le CASA n’est pas anodin. Non seulement parce qu’investir un
lieu aussi grand traduit un succès grandissant, mais aussi parce que
cela signifie s’ancrer dans une dynamique anticapitaliste, le CASA
étant un lieu né des luttes sociales, au cœur du mouvement des
gilets jaunes, et proche des militant·e·s anarchistes.
Le
rapport entre les milieux anticapitalistes et queer est un enjeu
central et une question épineuse. La tendance queer actuelle
est très liée au monde
universitaire, on parle de « queer theory » comme d’un
courant sociologique et philosophique dont Judith Butler est
l’auteure la plus célèbre. Ces
théories exploitent le
postulat exprimé par Simone de Beauvoir –
« on ne naît pas
femme on le devient »
–
pour s’attaquer à la racine du patriarcat en dénaturalisant la binarité du
genre, mais elles promeuvent surtout un engagement individuel et une
expression de son ressenti, en s’épargnant trop souvent une
critique du système économique, politique et social qui produit les
dominations de genre, au grand regret des féministes matérialistes.
Ces débats sont loin d’être figés, tout reste à construire, et
les scènes ouvertes bienveillantes et créatives proposées par
Freaks-Tion ouvrent des perspectives prometteuses pour
l’émancipation du mouvement queer, et créent un lien vital pour
la communauté LGBTI, toujours en proie aux violences gratuites (+15%
entre 2017 et 2018). En dépit des tentatives de récupération du
capitalisme rose, le caractère subversif des soirées queer subsiste
: longue vie à Freaks-Tion !
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