Le 8 mars n’est pas une fête !

Le Poing Publié le 9 mars 2020 à 17:36 (mis à jour le 9 mars 2020 à 19:34)

     Ce dimanche 8 mars 2020, environ 3000 personnes ont manifesté pour la journée internationale des droits des femmes à Montpellier. Réuni à partir de midi sur la Place de l’Europe, le cortège a ensuite défilé dans les rues de Montpellier dans une ambiance déterminée et revendicative.

La manifestation a été ponctuée de plusieurs actions symboliques fortes : Plusieurs hommages ont été rendus aux victimes de féminicides et d’autres violences patriarcales, en haut du boulevard du Jeu de Paume, une minute de silence a été observée par le cortège puis le collectif des colleuses de Montpellier a organisé un happening devant la Préfecture. Depuis le début de l’année 2020, 17 femmes ont été assassinées par leur compagnon ou par leur ex-compagnon.

Collage organisé par l’UCL (union communiste libertaire) le long du trajet de la manifestation


Plusieurs chorégraphies ont aussi été réalisées sur le trajet du cortège : la première, “A cause de Macron”, est une parodie créée dans le cadre de la mobilisation contre la réforme des retraites, dénonçant une loi qui porte particulièrement atteinte aux femmes.


La seconde, “Un violador en tu camino” nous provient du Chili où le collectif Las Tesis a réalisé cette chorégraphie pour la première fois le 20 novembre 2019. Depuis ce jour cette chorégraphie est reproduite à l’international, comme cela a déjà été le cas à Montpellier .

La manifestation se terminera sur la place de la Comédie par des prises de paroles suivies  d’une “boom géante” animée par les Mixeuses Solidaires et Support Your Local Girl Gang.
Le taux de participation explose les scores des années précédentes : ce 8 mars s’encre dans une période de renouveau mondial du mouvement féministe qui n’a pas épargné la France. Cette date reprend des airs combatifs, faisant hommage à ses origines politique et militante, dénonçant par la même occasion le glissement sémantique qui a fait du 8 Mars une simple “fête”.


D’une journée de lutte à une date symbolique

On retient généralement la Conférence Internationale des Femmes Socialistes de 1910 à Copenhague comme la première tentative d’instaurer une journée internationale des droits des femmes, à l’initiative de Clara Zetkin, figure féministe, communiste et révolutionnaire. La date du 8 mars va être choisie suite à la grève des ouvrières du textiles de 1917 à Petrograd, épisode clef du début de la Révolution Russe. 
L’histoire de cette journée est donc intimement liée à celle des grèves ouvrières, du socialisme et de l’internationalisme. Ce n’est qu’en 1977 que l’ONU va reconnaître cette date, l’officialiser et inviter tous les pays à la célébrer alors qu’elle était jusqu’alors surtout présente dans les pays du bloc de l’Est.              

Dans les années 1980, le féminisme va connaître un processus d’institutionnalisation et le féminisme libéral va prendre de plus en plus d’ampleur. Les mots d’ordres de lutte pour l’émancipation vont être remplacés par les slogans consensuels d’égalité homme-femme et l’action militante laisse la place à une action associative dépendante du bon vouloir de l’État.              
Le 8 mars est par ailleurs devenu un objet marketing. En la rebaptisant “journée de la femme”, de nombreuses entreprises ont fait de cette date une “fête” commerciale, mettant en exergue les stéréotypes sexistes toujours exploités aujourd’hui par la société de consommation.

Une date récemment réappropriée

Depuis 2017, le mot d’ordre de la grève des femmes s’est diffusé dans de nombreux pays célébrant le 8 mars. En Argentine, en Suisse, en Espagne, en Belgique et ailleurs ont eu lieu des grèves historiques.        
Si un tel mode d’action n’a pas encore été massivement mis en œuvre en France, on ressent l’écho de ces appels. L’idée de grève féministe est particulièrement intéressante puisqu’il s’agit non seulement de cesser le travail salarié mais aussi les autres types de travail, ni reconnus ni rémunérés qui pèsent sur les femmes, et d’autant plus sur les plus précaires et marginalisées d’entre elles.Nous assistons ces dernières années à une réelle repolitisation du 8 mars qui va de pair avec l’effervescence féministe visible aux quatre coins du monde qui constitue ce que certains qualifient de 4ème vague.

A Montpellier comme partout en France : une mobilisation d’ampleur

A Montpellier aussi, ce 8 mars paraissait plus politique, plus déterminé, plus enjoué. Dans le cortège, on retrouve les organisations politiques de gauche et les syndicats qui répondent désormais toujours présentes à ce genre de mobilisation. Il y avait aussi les traditionnelles associations féministes (le Planning Familial, Osez le Féminisme, le CIDFF…) ; le camion de Women’s March sur lequel les DJettes féministes des Mixeuses Solidaires mixaient ; un cortège “Tpbgqiap+ & racisé-e.s” ; un “bloc latinas” ; ou encore le collectif des colleuses. Enfin et surtout, il y avait une majorité de femmes : des étudiantes, des lycéennes, des mères accompagnées de leurs enfants en poussette, des retraitées… Ces femmes sans drapeaux ou étiquettes venues spontanément manifestaient pour exprimer leur colère et défendre leurs droits. Cette diversification de la composition des cortèges se retrouve de plus en plus dans ce type de manifestation depuis quelques années.

crédit photo : Gwenael Douillard

On notera, par ailleurs, la présence de plusieurs candidats aux élections municipales en campagne. Si ce comportement électoraliste est récurrent, la présence particulièrement visible de #NousSommes a pu surprendre. Alors que certains candidats étaient seulement présents à titre individuel, la “liste populaire” avait sorti le grand jeu entre les pancartes aux couleurs de sa campagne et surtout la banderole géante accrochée à un balcon sur le parcours, où un slogan détournant la célèbre tribune de Virginie Despentes était visible : “On se lève, on se casse, et on va prendre la mairie !”

Cette récupération politique peut laisser dubitatif lorsque l’on sait que ce mouvement se veut “différent”, sans “magouille politicienne”, alors que visiblement n’importe quelle occasion est bonne pour communiquer et se mettre en scène. Mais employer la journée internationale des droits des femmes comme panneau publicitaire géant dans une visée électoraliste est définitivement une stratégie de communication de mauvais goût.

Cette journée porteuse de contradictions et en constante évolution a, cette année, résulté en un moment enthousiasmant pour le mouvement féministe. La forte hausse de participation est significative en France, elle l’est encore plus dans d’autres pays comme au Chili où plus d’un million de personne ont manifesté ce dimanche, ces chiffres illustrant une situation internationale d’éveil féministe. 

Crédits photos : Staein et Gwenael Douillard

crédit photo : Gwenael Douillard
Crédit : Gwenael Douillard
Crédit : Gwenael Douillard

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