« Le statut d’intermittent du spectacle est en péril »
Le Poing a récemment reçu une tribune d’intermittents du spectacle évoquant les conséquences de la pandémie de COVID-19 sur leur travail et leurs conditions de vie. Nous relayons donc ici cet article sous forme d’entretien.
Entretien avec Max, musicien. Et en fin d’article petit mot de Muriel, technicienne du spectacle.
1°/ Pouvez-vous nous présenter votre métier et expliquer ce qu’est le statut d’intermittent du spectacle ?
Mon métier est musicien, je suis chanteur / compositeur dans plusieurs groupes de musique. Le statut d’intermittent est un régime de cotisation au chômage, qui dépend des annexes 8 et 10, c’est une indemnisation sur un an, renouvelable. Cela participe à la solidarité interprofessionnelle. Pour pouvoir faire partie des annexes 8 et 10 et pour pouvoir renouveler son statut, un artiste doit faire 507h de cachets (à coups de CDD de 12h en général) en un an (de sa date anniversaire à la suivante). Pour les techniciens il y a de légères différences, mais le principe est le même. Les cachets se font lors des concerts, et si une structure en a les moyens, lors des répétitions et de la création. Mais bien souvent un musicien ne peut se déclarer que lors de ses concerts, le travail de création, de répétitions et d’administration peut se faire grâce aux indemnisations pôle emploi mais n’est pas considéré comme du travail. C’est un emploi précaire pour la majeure partie des intermittents, et qui assure une sécurité sur un an seulement, et ce pour toute la vie d’artiste. De plus, beaucoup de boite (production TV, cinéma, radios) emploient des intermittents du spectacle alors qu’ils devraient être embauchés en temps qu’employés à temps plein.
2°/ Qu’a modifié l’apparition de l’épidémie en France dans le domaine culturel ?
Depuis début mars, l’Etat a interdit les rassemblements, d’abord de plus de 1000 personnes, puis de plus de 100 personnes, et enfin il y a eu le confinement. Cela paraît logique au vu de l’épidémie en cours. Mais du coup, tous les événements culturels sont à l’arrêt, ainsi que les tournages, et les lieux culturels. Aucun intermittent ne peut travailler depuis quasiment début mars. Pourtant en période de confinement, on voit que l’accès à la culture dématérialisée est primordial, nous regardons tous des séries, la télévision, écoutons la radio, de la musique, nous lisons, etc. Beaucoup d’artistes ont proposés du contenu, des lives, libre d’accès et bénévolement pendant cette période.
3°/ Le gouvernement a t’il pris des mesures par rapport au statut d’intermittent ?
Nous avons découvert l’existence d’un ministre de la culture Franck Riester, car il a contracté le covid-19, sinon c’est un homme bien « discret » et à des lustres des préoccupations des intermittents et de la culture. Logique pour quelqu’un qui sort d’études de commerce prestigieuses (ISG et ESSEC). Bien loin de continuer dans un domaine artistique, Franck commence sa carrière dans un grand groupe d’audit (Arthur Andersen) et dirige aujourd’hui plusieurs concessions automobiles Peugeot en parallèle de ses mandats de maire, président de d’intercommunalité et ministre. Son parcours politique est ancré à droite, toujours loin des préoccupations des intermittents et autres précaires (RPR, UMP, LR, LREM, Agir). Fait interessant que les médias nationaux relaient en 2014, la culture contribue 7 fois plus au PIB français que l’industrie automobile. Seule liaison qui sera faite entre les deux domaines.
Dans les mesures prises par le gouvernement, les intermittents peuvent prétendre au report et échelonnement des dettes fiscales et sociales, des factures d’eau et d’électricité, et des loyers, à condition de bien s’accrocher et de bien vouloir passer des heures dans les papiers.
Un chômage partiel peut être demandé par certains intermittents. Ceux qui devaient renouveler leur statut en mars, avril ou mai, ont deux mois et demi de plus pour le faire. L’Etat ne tient pas compte du fait que les intermittents ne peuvent faire aucun cachet depuis le mois de mars, et que la plupart des événements ont du être annulés jusqu’en septembre, nous ne pouvons pas faire de cachets et donc cotiser pour les 507h obligatoires pour renouveler ou commencer un statut. Cela va de pair avec la chute des revenus mensuels qui sont pour les plus précaires déjà faibles en temps normal. Le ministre de la culture a simplement disparu depuis le mois de mars, et les syndicats n’obtiennent pas de réponse satisfaisante ou de réponse tout court non plus. Le statut d’intermittent est en péril car toute une saison est annulée, dans tous les domaines culturels.
4°/ Pendant le confinement qui est mobilisé pour lutter pour le statut d’intermittents et comment ?
Tous les intermittents sont préoccupés par la situation, voire sont dans une situation critique. Les syndicats sont mobilisés pour demander une année blanche, c’est à dire qu’à partir du mois de mars et sur un an, tous les statuts sont renouvelés et ceux qui faisaient leur première demande sont acceptés. Il y a aussi les CIP, coordinations des intermittents et précaires, qui sont mobilisées et qui ont des revendications :
– Pour le Régime Général, neutralisation du décompte du capital de
droits acquis et maintien des droits sur la période de confinement et
jusqu’à la reprise totale de tous les secteurs d’activités
interdépendants.
– Pour les Annexes 8 et 10, renouvellement automatique, a minima à
hauteur de l’indemnisation journalière précédente, dès maintenant et
jusqu’à un an après la reprise totale de tous les secteurs d’activités
interdépendants.
– Abrogation du décret du 1er novembre 2019 sur le durcissement des
critères d’accès au régime général de l’assurance chômage.
– Abrogation du décret du 1er septembre 2020 qui diminuera
tragiquement les allocations chômage des salarié.e.s à l’emploi
discontinu.
– Ouverture inconditionnelle de droits pour les chômeu.se.r.s
actuellement non indemnisé.e.s.
5°/ Comment peut-on aider pour sauver la culture, et soutenir les intermittents ?
Les droits ne s’obtiennent qu’en créant un rapport de force, il ne faut pas se laisser faire par un Etat qui se croit au-dessus de tout le monde, tel une royauté. Il faut continuer à faire vivre la culture (pour l’instant dématérialisée), participer activement aux futures luttes, il y a aussi des pétitions qui circulent, à signer et partager :
https://www.change.org/p/renouvellement-des-droits-des-intermittents-du-spectacle
Pour finir, un petit mot, un coup de gueule, de Muriel, qui est intermittente. Elle est technicienne lumière dans le spectacle, et elle fait partie de la convention citoyenne pour le climat.
« Le statut d’intermittent à été mis en place avec une possibilité de chômage il y a fort longtemps. Pourquoi un chômage ? Car dans beaucoup de cas l’intermittent est créateur et autonome avant tout. Il passe de nombreuses heures dans du bénévolat ou des essais de création qui n’aboutissent pas toujours. C’est un statut risqué, l’artiste est payé au cachet ainsi que toutes les équipes qui l’entourent. Le problème du cachet, c’est qu’il n’y a pas de limite d’heure et nous sommes rarement payé à l’heure mais à la date.
Je me souviens d’avoir fait le calcul à l’époque des francs et je me retrouvé avec un salaire de 5fr de l’heure au prorata du nombre d’heure effectué. Un technicien du spectacle peut travailler pendant 30 heures d’affilées. Si par malheur un intermittent ne fais pas le nombres de cachets exigés, il perd son chômage et si cela arrive dans une période sans contrat il n’a plus qu’à aller demander un RSA (car il n’y a pas de chômage possible derrière un statut d’intermittent qui est un statut de chômeur, ndlr)….
Je précise car nombreux sont les gens qui pense que l’art et tout le travail autour se fait en un claquement de doigt, c’est normal le spectacle…. C’est magique !!!!!
Nous sommes bien évidement beaucoup moins rémunérés lorsque nous sommes au chômage et le chômage n’est éternel pour personne.
Je pense que nombreux sont les intermittents passionnés car sans ça….. comment tenir dans une telle incertitude du lendemain ? Les contrats de 3 ou 6 mois n’existent pas. Le mieux qu’on puisse trouver c’est 1 mois qui parfois est renouvelé comme dans les opéras par exemple….
D’après une conseillère du pôle emploi, pour le moment ne sont pris en compte que les demandes de renouvellement de chômage qui se terminent en mars ou avril. Les autres ayant perdu 2 mois et voir plus car les grèves de transports on mis certains en difficulté, cela fait un total si je ne me trompe pas de 3 mois et demi de perdus. Des négociations sont en court via les syndicats de travailleurs. Les lieux et les festivals étant fermés jusqu’au moins le mois de septembre cela va donc faire une période sans travail de 6 mois et demi. Nous avons tous des roulements de travail différents suivant les corps de métier et certains sont un peu comme les saisonniers, ils travaillent comme des acharnés avec des journées épuisantes en plein soleil et ne comptent pas leur nombre d’heures effectuées durant l’été.
Que va t’il advenir de ceux là ?
Pour ma part je travail plutôt dans des salles ou chez des prestataires ceci dit, je suis bien embêtée car j’ai travaillé d’arrache pied pour le climat et je sortais de formation, je ne pourrais donc pas arriver à faire le nombre d’heures d’ici le 15 juin.
Comment aider la culture ?
En allant aux spectacles…..
Nous sommes nombreux a être en difficultés et pas que les intermittents.
Des personnes sont décédés, la nature elle reprend ses droits……
Pour moi le système économique est voué à l’effondrement tôt ou tard cela arrivera, il nous faut changer de système de société et de modèle humain ! Il est grand temps de cesser ce système basé sur la compétition et la course au fric. Notre réalité humaine, notre vie ne se situe pas à ce niveau !
Changeons ! C’est urgent, le système de consommation n’existe que parce que nous l’alimentons !
Le changement peut s’effectuer par la modération de nos envies et donc la maîtrise de nous même ! »
VIVE LE SPECTACLE VIVANT
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