A l’arrache, les chercheurs sauvent l’honneur et reprennent rendez-vous
Même adoptée à l’Assemblée, la Loi-programme sur la Recherche suscite toujours plus d’opposition. Après un nouveau rassemblement ce mercredi, une assemblée générale aura lieu vendredi
Il est ici des jours de novembre, où le soleil resplendissant crie la joie d’être en Méditerranée. Or une ambiance pathétique régnait sur le campus Triolet de l’Université des Sciences de Montpellier ce mercredi midi. Confinement oblige, toutes les allées, tous les atriums, tous les couloirs et tous les halls y étaient désespérément déserts. Vides de vie. Tous ? Non, le parvis de la Bibliothèque universitaire continuait de faire de la résistance.
Une quarantaine de travailleur.ses de la recherche (étudiant.es, enseignant.es, agents techniques), souvent syndicalistes aux bannières déployées, y tenaient rassemblement. Cela au lendemain de l’adoption par l’assemblée de la loi Vidal de programmation de la recherche. Le coup est rude. Mais attendu. Une dernière navette vers le Sénat laisse encore des opportunités de mobilisation possible. Cela n’est pas négligeable, alors que sur le fond, et sur le terrain, l’opposition à ce projet n’a jamais connu un tel assentiment.
La mobilisation de ce mercredi n’a été décidée que la veille au soir, au vu du comportement des parlementaires. Il fallait faire quelque chose ; même à l’arrache, dans le contexte hostile du Covid. Les diverses interventions ont repris l’argumentaire déjà connu quant à l’objet de cette loi. Il y a son piège attrape-nigaud, annonçant des financements miroboliques, qui ne font que compenser les trous creusés jusqu’alors, tout en repoussant les versements à de lointaines dates futures, où il n’y aura peut-être plus un.e politicien.ne de la REM en place, pour se souvenir de ces promesses qui n’engagent que ceux.lles qui les croient. Une expérimentation de l’argent magique ?
Puis se pose le problème de la systématisation des mises à concours des projets de recherche, instaurant un esprit de concurrence libérale à tous les niveaux, et indexant les objets de recherche sur leur rentabilisation à court terme dans le cadre de l’économie de marché. Cela passe encore par l’invention d’un nouveau monstre, les CDI de projet, soit la négation même de ce qu’est un CDI. A travers cet oxymore, c’est concrètement une pérennisation de la précarité sans fin, contrat après contrat, qui s’offre en perspective aux plus jeunes chercheurs. La dernière carotte tendue aux syndicats collaborateurs est un système de primes, toujours moulé dans cette idéologie, puisqu’il sera réservé aux seuls titulaires d’une part, et accentuera les jeux de compétition et de récompense discrétionnaire accordée selon des critères d’excellence arbitraires.
On en était là sur le fond, lorsque, tout à l’ivresse de leur dérive autoritaire, et surenchère idéologique, les élus LREM ont jeté dans cette soupe le poil à gratter de leurs amendements. Au risque de faire bouillonner la colère. Trois points sont à relever : la remise en cause du rôle du Conseil national des universités dans l’évaluation des attributions de postes. Cette procédure garantissait la supervision et l’arbitrage par une entité neutre. Il s’agirait désormais de s’en passer, en déglinguant ce cadre unifié général, alors dégradé dans un maquis d’arrangements locaux, au cas par cas, livré à tous les jeux de pouvoir et d’intérêts.
Deuxième point, dans le contexte d’hystérisation idéologique liée aux attentats, voici que la recherche – notamment en sciences humaines – verrait ses projets validés à la condition qu’ils soient conformes aux supposées “valeurs de la République” ! Bonjour la démocrature intellectuelle, la chasse aux islamo-gauchistes, le refus de chercher des explications puisque c’est commencer à excuser, etc. Une étudiante, militante de Solidaires, est venue expliquer au micro : « je viens des quartiers et mon objet de recherche devrait porter sur les questions du genre telles que celui-ci est produit dans les institutions de l’éducation spécialisée, les foyers, etc. Si j’ai bien compris, il y a des risques que les problèmes soulevés par une telle recherche n’entrent pas dans le clous des valeurs imposées de la République ».
Troisième point, dont rêvaient des dirigeants hongrois ou chinois, et que la LREM française vient juste de faire : la condamnation jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 4 500 euros d’amende dont seraient passibles les actions militantes d’intrusion dans des locaux ou autres blocages, qui sont coutumières de l’histoire universitaire, au point que les campus sont longtemps restés sanctuarisés à l’abri des intrusions policières. Là aussi l’exemple abonde à Montpellier. Un enseignant rappelait, pour cette seule université des sciences « l’accueil réservé au Préfet, par une bonne centaine de manifestants, gilets jaunes inclus, lors de l’inauguration du Village des sciences » ou bien encore le chahut nécessaire accompagnant François Hollande venu présenter la quintessence livresque de sa pensée social-néolibérale.
L’heure n’est donc pas à la défaite. Les militants présents ont été invités à guetter leurs boîtes mails et autres boucles, groupes et fils en réseaux, pour se tenir informés des modalités d’une assemblée générale qui se tiendra – probablement en présentiel autant qu’en distanciel – ce vendredi qui vient.
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