Début de mobilisation contre la nouvelle loi liberticide à Montpellier

Le Poing Publié le 16 novembre 2020 à 16:59
Conférence de presse contre la loi sécurité globale à Montpellier le 16 novembre 2020

En débat parlementaire à partir de mardi, la Loi de Sécurité globale vise notamment à interdire les images de police en action – et donc d’abus et de violences policières

De la Ligue des Droits de l’Homme au syndicat Solidaires 34, du Syndicat des avocats de France à l’ANV COP 21, de Droit au Logement à la ZAD du Lien, de la Carmagnole à la CNT, des Gilets jaunes Prés d’Arènes à l’appel Stop Armes mutilantes, etc, etc : ce lundi à 11 heures devant les grilles de la Préfecture à Montpellier, on a vu se reconstituer tout un arc militant actif, qui a fait ses preuves dans les époques d’avant-pandémie, dans une visée assez déterminée à “changer le système”.

Toutes ces entités – et on en a passé, dans la liste ci-dessus – donnaient une conférence de presse, après s’être regroupées dans un nouveau collectif baptisé “Danger Loi Sécurité globale – Moins de drones, plus d’humain”. L’enjeu est donc cette nouvelle loi qui entre dès ce mardi en discussion à l’Assemblée nationale. Elle recèle plusieurs points dont la logique liberticide fait très gravement problème.

Pour planter le décor, on retiendra l’étonnement formulé par la représentante du Syndicat des Avocats de France à ce qu’on vienne rajouter « de manière précipitée », de la supposée « urgence sécuritaire » dans un moment déjà submergé « d’urgence sanitaire ». Dans ce contexte de COVID, en jouant d’amalgame, « on peut tout faire passer, au nom de la peur, en catimini ».

On y trouve un sens tout à fait politique, qu’a exprimé de son côté la représentante de l’Union communiste libertaire, en ces termes : « les gouvernements de droite et de gauche détruisent depuis 30 ans toutes les solidarités et les conquêtes sociales du XXe siècle ; cela provoque des effets de mal-être, de misère, etc. Au fur et à mesure que les gouvernements creusent les inégalités et renoncent à s’attaquer à elles, ils empilent les lois sécuritaires pour mettre un couvercle répressif et gérer les effets de ces inégalités ». En quoi il faut donc « lier la nécessaire lutte pour l’égalité et la lutte contre le sécuritaire ».

La question étant « la tentation que le gouvernement peut avoir de basculer complètement vers un régime autoritaire » alors qu’il se montre « dépassé par la crise sanitaire, incapable de gérer une crise économique, écologique et sociale, discrédité dans de larges pans de la population ». La nouvelle loi qui se présente attaque une fois de plus très directement le droit de manifester. « Cinq mains coupées, vingt-cinq manifestants éborgnés, trois cents blessés de la boîte crânienne, des milliers d’autres types de blessures, des centaines de prisonniers politiques » a rappelé le représentant des Gilets jaunes de Prés d’Arènes. On a déjà pris toute la mesure de la détermination ultra-répressive de ce pouvoir, au cours des deux années écoulées.

Toutefois, on a aussi remarqué ce talon d’Achille que constituent, pour le Pouvoir, les nombreuses prises de vue des abus et violences policières, circulant sur les réseaux sociaux, saisies par les observateurs des pratiques policières déployés par la Ligue des Droits de l’Homme, restituées par les medias authentiquement indépendants. Kaïna, manifestante grièvement blessée le 29 décembre à la gare de Montpellier est venue rappeler que « les abus policiers existaient déjà de longue date dans les quartiers populaires, mais qu’on les remarquait peu, parce qu’on les voyait peu ». D’où l’enjeu de la bataille des images, qu’engage désormais la majorité LREM, en répondant directement aux attentes des syndicats de policiers, toujours demandeurs de plus de garanties d’impunité.

Avant d’en venir à l’article 24 de la loi, susceptible d’empêcher de fait les prises de vue et, de droit, la diffusion des images, il faut relever deux autres articles du projet liberticide. Le numéro 21 touche à l’autorisation déjà faite aux forces de l’ordre de filmer leurs interventions à l’aide de caméras mobiles. Mais cela n’autorisait pas l’agent auteur de ces images d’y avoir lui-même accès, cela ne devant se produire qu’a posteriori si un événement particulier survenait.  L’article aujourd’hui proposé fait sauter ces petits verrous : le policier filmeur pourra provoquer l’utilisation en temps réel de ces images, comme outil direct et immédiat de son action répressive.

L’article suivant autorise le déploiement de drones pour surveiller les manifestations – à quoi s’opposait jusqu’alors le Conseil d’État. Comme la précédente, cette disposition touche directement au contrôle, à la reconnaissance faciale (nous sommes huit millions dont le portrait figure dans tel ou tel fichier policier). A ce propos, le représentant de la Cimade à Montpellier relève « qu’il suffit qu’un migrant sans papier soit reconnu sur des images de manifestation pour qu’il soit désigné comme une menace pour l’ordre publique et voit rejetée toute demande de régularisation ». Mais le recours aux drones revêt, de surcroît, une dimension de pure stratégie d’affrontement, en nourrisant les postes de commandement en temps réel, pour inspirer leurs manœuvres de nasses, d’attaques par gaz et par grenades, etc.

Enfin, la disposition la plus commentée est celle de l’article 24, qui entend interdire de diffuser « l’image du visage ou tout autre élément d’identification » d’un policier ou d’un gendarme « lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police », et lorsque cette diffusion est faite dans l’intention « qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique ». Voilà qui cède à l’obsession policière déjà avérée, qui consiste, en toute illégalité jsuqu’à ce jour, à intimider quiconque prend des images en manifestation, et tout particulièrement des journalistes quand ceux-ci sont repérés comme peu enclins à relayer les versions de l’autorité.

Inutile de préciser en quoi la notion d’ « atteinte à l’intégrité psychique » ouvre un boulevard interprétatif à la sensibilité fragile des membres des forces de l’ordre, à qui sera laissée cette appréciation sur le terrain. Car une tenaille s’ouvre entre la constatation de la matérialité des faits (donc dès la prise de vue, laissée au libre exercice d’un policier en exercice, de fait juge et partie), et la détermination de la supposée intention de porter atteinte par la diffusion, qui relève d’une toute autre temporalité, elle judiciaire, après coup. L’un des effets majeurs du dispositif étant de permettre d’ouvrir moultes procédures devant les tribunaux. Ce que celles-ci représentent de charge financière, cumulée à la pression procédurière et à la partialité réactionnaire d’un grand nombre de juges, constitue, déjà en soi, un formidable outil répressif.

Ce lundi, la conférence de presse a consisté à égrener tous ces aspects, sans que cela prenne vraiment la forme d’une action militante percutante. On le remarquait, alors que dès ce mardi, des manifestations sont annoncées dans certaines villes de France. Pas Montpellier, dont la combattivité de rue n’a pourtant pas démérité. « C’est qu’il faut construire un rapport de forces, et cela passe d’abord par l’information » s’insurge Sophie Mazas, de la Ligue des Droits de l’Homme, si on s’inquiète de cette apparente timidité. Elle nous rassure, en faisant remarquer que même instruite en urgence, la navette parlementaire laisse augurer d’au moins plusieurs semaines de débats et autant d’opportunités de mobilisation contre ce projet de loi.

Sur le Web, on a remarqué un appel pour une manifestation le samedi 21 sur la Comédie, couplé avec le deuxième anniversaire du mouvement des Gilets jaunes. Voilà un mode d’action sans doute plus radical, mais qui devra s’entourer de bien des dispositions tactiques s’il s’agit d’autre chose que se faire massacrer, ou à tout le moins verbaliser, avant même d’avoir pu avancer. Plus soft, la même Sophie Mazas en appelle, elle, à user de tous nos droits possibles, dont, notamment, l’interpellation nominative des parlementaires (liste et coordonnées sur le site de la LDH).

Plus généralement, l’UCL appelle « toutes les victimes des politiques sécuritaires et liberticides du gouvernement à se mobiliser ensemble : salarié.es, chômeuses et chômeurs, habitant.es des quartiers populaires, victimes du racisme, des violences policières, des violences patriarcales, militant.es et activistes écologistes, ensemble résistons ». Applaudissements dans l’assistance, avec une vraie pointe de combattivité..

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