Dialectik Football : un regard différent sur le sport roi
C’est l’été, moment de pause dans le football professionnel. Le Poing en a profité pour rencontrer Dialectik Football, site existant depuis bientôt deux ans, et proposant des analyses critiques sur l’actualité comme sur l’histoire du sport le plus populaire, avec un point de vue de classe assumé.
Le Poing : Salut Dialectik Football, est-ce que tu (ou vous, si tu préfères répondre au pluriel) pourrais nous présenter un peu l’origine de ton site ?
Dialectik Football : En fait le site a été créé en décembre 2019 avec l’ambition d’apporter un point de vue critique et documenté sur le football et son actualité, et d’être un média qui assume une ligne éditoriale clairement anticapitaliste sans renier la passion qui nous anime pour ce sport. Dialectik Football est né dans la continuité de l’expérience du blog Les Cahiers d’Oncle Fredo, dont le sous-titre “Ce n’est pas parce que le prolétariat s’amuse dans les stades qu’il n’abolira pas le spectacle” reste valable. Même s’il existe d’autres médias foot de grande qualité, ce blog a permis de se rendre compte qu’il y avait une demande de traitement du sport en général, et du foot en particulier, avec un regard social. Alors l’idée de départ de Dialectik Football c’était de se reconcentrer sur le football, et de ne plus être un blog individuel mais de devenir un projet collectif. C’est encore en construction.
LP : De ses origines populaires à sa professionnalisation actuelle, avec les milliards qu’elle génère, le football a bien évolué. Comment analyses-tu ces transformations ?
DF : Dès lors qu’il a été professionnel, le football a toujours été aux mains des capitalistes. Paradoxalement, l’accès au professionnalisme a œuvré à “démocratiser” le football en permettant aux ouvriers de pouvoir se libérer pour jouer. Pour aller très vite, le football s’est progressivement transformé en une industrie du spectacle lucrative. Il a après globalement épousé les évolutions du capitalisme, passant des modèles paternalistes issus de l’industrialisation, au modèle globalisé que nous connaissons aujourd’hui. Les années 90 incarnent cette bascule libérale et le triomphe du thatchérisme. La création de la Premier League anglaise en 92 et l’arrêt Bosman en 95 sont deux des dates clé de cette transformation menant à ce que les supporters les plus engagés combattent comme ce qu’ils appellent le “football moderne”. C’est un football ultra dépendant financièrement des droits télés, et d’où les classes populaires sont progressivement exclues des stades, à grands coups de mesures sécuritaires et d’augmentation du prix des places.
LP : Reste-t-il un espace pour un football populaire, dans la forme des clubs ou dans le supporterisme ?
DF : On peut dire que le football populaire est la contradiction du modèle dominant qu’est le football libéral. Dans les tribunes, certains groupes de supporters incarnent cet esprit populaire, un peu comme les gardiens d’une histoire révolue. Ils ont le mérite d’être souvent la seule force de contestation face aux dirigeants capitalistes qui piétinent l’histoire et les restes d’identité populaire des clubs. On l’a vu la saison passée avec les ultras bordelais par exemple. Sinon ce qu’on appelle le football populaire a surtout tendance à se développer à travers la création de clubs où les supporters et les membres sont les seuls décideurs. Ces clubs se veulent être autant une antithèse qu’une alternative au football moderne. Si ces clubs sont très marginaux en France, ce n’est pas le cas en Italie, en Angleterre ou en Espagne où ils ont une existence réelle.
LP : A ce sujet, les supporters (et particulièrement les ultras) commencent à faire l’objet d’un traitement journalistique un peu moins caricatural qu’avant, voire carrément positif. Que penses-tu de ces évolutions ?
DF : L’hyper présence de certains groupes sur les réseaux sociaux, ainsi que l’expertise de certains spécialistes devenus incontournables quand il s’agit de parler des ultras, laissent moins de place aux journalistes pour caricaturer le monde des tribunes où dire de la merde. Mais pour autant, les critiques envers les supporters restent en vogue dans certains médias mainstream dès que les ultras adoptent une position trop revendicative à leur goût. Par exemple quand une quarantaine de groupes s’étaient opposés à la reprise de la L1 et de L2 à huis clos après le premier confinement les principaux médias sportifs nationaux n’avaient pas manqué de crier à leur irresponsabilité.
LP : Dans la gestion des clubs, le modèle alternatif des “socios” est souvent mis en avant comme un exemple de démocratie. Est-ce que tu partages cet avis ?
DF : Ce modèle de gestion démocratique des clubs commence à prendre de l’ampleur en Espagne. Certains frappent même à la porte des divisions professionnelles comme la SD Logrones et l’Unionistas de Salamanca. Le fonctionnement sur le mode “un socio, une voix” est aux antipodes des clubs bâtis en entreprises privées où les prises de décisions sont confisquées par les dirigeants et les actionnaires majoritaires. Mis à part l’aspect démocratique, ça remet aussi de la transparence dans la gestion des clubs. C’est ce que réclament de nombreux supporters espagnols qui ont vu leur club disparaître au cours de ces vingt-cinq dernières années. Plusieurs clubs emblématiques de ce modèle populaire ont d’ailleurs été créés pour donner suite à la faillite du club historique de leur ville. Le fonctionnement démocratique “un socio, une voix” est alors défendu autant comme une garantie de durabilité que comme une protection contre les gestions à l’emporte-pièce reposant sur l’appât du gain, et qui finissent par couler les clubs. Même si c’est sous le pavillon d’un nouveau club, on peut aussi y voir autant un mouvement de réappropriation collective. Quand les propriétaires privés ne sont généralement que de passage à la tête des clubs, les supporters sont là toute leur vie. Ce sont les propriétaires d’usage des clubs, en quelques sortes. Alors le meilleur moyen de ne pas en être dépossédé par un capitaliste de passage, c’est peut-être effectivement d’en créer un. C’est un acte de résistance, mais ça ne règle qu’une partie du problème. A terme ça ne peut pas suffire à transformer en profondeur le football. Pour en finir avec le football moderne, il n’y a pas d’autres solutions que de s’attaquer au système économique qui le produit.
LP : On voit aujourd’hui se monter en France des petits clubs locaux, avec des formes et des ambitions très diverses, parfois inspirés de ce qui se passe à l’étranger. Y a-t-il un espace pour de telles structures, en marge des grands clubs ?
DF : C’est vrai que le football populaire reste sous-développé ici. Tout est encore à construire. Est-ce qu’il y a un espace ? En tous cas, il faut se le créer. Mais construire des clubs comme ça avec trois bouts de ficelle, sans moyens ni infrastructures, il faut reconnaître que ça demande une énergie folle. Et les instances n’ont aucun intérêt à faire de cadeaux à des clubs qui défendent un modèle alternatif, voire qui portent un discours critique. Raison de plus pour insister !
LP : Pour terminer, quels seraient les projets futurs pour Dialectik Football ?
DF : Le vrai projet c’est de pérenniser le site autour d’un collectif éditorial. Ça permettrait de diversifier les contenus et les supports. C’est la principale difficulté quand on est un média exclusivement bénévole dont l’animation repose sur l’énergie de prolos qui prennent sur leur temps libre. Mais tout ça devient un motif de fierté quand on y arrive.
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