Une maraude avec du jaune

Le Poing Publié le 2 août 2021 à 11:58
Une maraude de "Projet citoyen 34" aux Arceaux, à Montpellier (crédit photo : Michel Fontaine)

À l’origine, la petite équipe de Projet citoyen 34 s’est rencontrée sur les ronds-points. Il en reste de belles traces dans sa façon bien à elle de porter aide aux démunis.

Article publié dans le numéro 34 du Poing, imprimé en avril 2021

Pierre a posé sa guitare sur la grosse vieille poutre de bois qui sert, vaille que vaille, de buttoir et de banc au bord du terrain de pétanque en bas des Arceaux. Il déguste de délicieuses cuisses de poulet en sauce aux olives. Présent chaque samedi soir, il ne rate jamais la tenue hebdomadaire de la maraude de Projet citoyen 34. Parfois il l’égaye de ses chansons, à côté du petit feu de bois qu’entretient le vieux Nasser. « La question n’est pas de savoir si tu vas crever de faim ou pas. La question, c’est qu’ici, tu te sens bien, tu es reconnu. Tu m’appelles par mon prénom. Réciproquement ». Et on trouve le temps de parler.

À son côté s’est aussi assise Éléonore, l’une des figures de proue, et créatrice de cette maraude. Comme les autres bénévoles, elle prend le temps d’échanger. En arrivant, on fait le tour des présents, certains la boule de pétanque encore en main. « Au début de la maraude, il y a un an et demi, ces gens, habitués des lieux, nous ont fait une place, il nous ont accueillis, ne l’oublions pas » relève Éléonore. Bonsoir. Quelques mots. Parfois la vraie conversation. Tuyaux à échanger, débrouille à coordonner, nouvelles à prendre.
Ce sera pareil avant de se disperser. Souvent, les plats distribués sont amenés par les bénévoles jusqu’à chacun, chacune, là où il se trouve, tous éparpillés sur le terrain. Pas question que se forme une queue : « c’est une image de relégation que je ne supporte pas » tranche Éléonore, qui explique : « beaucoup des gens ici passent leur journée à faire la queue, de service en service, parfois sans rien obtenir, avec des dossiers bloqués pendant des mois ».

Une fois le coup de feu passé, côté distribution des plats, c’est au tour de quelques-uns des bénévoles de partager entre eux : « Nous mangeons le même plat que les gens que nous aidons. C’est un principe ». Parfois accompagné d’un dessert, toujours d’un jus de fruit, un gâteau pour le lendemain matin, le plat unique « est chaud, de qualité, familial, fait maison, simple, tout à notre image ». Jusqu’à présent les dons, les collectes, les cagnottes, la bonne volonté de chacun, permettent de fournir le nécessaire, même si c’est ricrac.

L’installation est précaire : juste une table de camping, dépliée sur place, des compartiments de plastique, pour s’en tenir à toutes les consignes d’hygiène. Ces moyens de fortune rappellent l’idée d’origine, quand la distribution se faisait à coffre de voiture. « Nous ne visons pas à servir le plus possible de gens. Nous restons à notre échelle, modeste. L’essentiel est surtout de montrer que tout le monde peut se prendre en charge, commencer à résoudre un bout du problème, s’il y a une vraie implication ».

Parmi les bénévoles, il semble bien que certains, tout aussi bien, pourraient être des bénéficiaires. La frontière est brouillée. Délibérément. À la maraude des Arceaux, sans que jamais ne s’y produise le moindre début d’embrouille, si cabossés soient certains, il règne par moments l’ambiance de la place au village. Un voisin, vieux Montpelliérain de toujours, y a ses habitudes. Pas pour manger. Juste parler. Évoquer les évolutions de cette ville qu’on ne reconnaît plus. Dissiper la solitude.

« En fait, on se dit qu’avec des solidarités plus actives, dans n’importe quelle rue, des gens pourraient décider qu’un soir par semaine, on s’y met, on s’arrange, on se débrouille, on dresse table ouverte ». Tout autre chose qu’une fête des voisins standardisée par les médias. Et tout l’inverse de la concentration de l’aide d’urgence dans un lieu géant, spécifique, où l’aide aux démunis – même très respectable – devient une fonctionnalité à traiter, isolée du reste de la vie. Dans cette visée, Projet citoyen 34 est en train de bichonner un projet d’atelier de cuisine, où là encore s’estomperait la coupure entre bénéficiaires et bénévoles, avec l’idée « de mutualiser, en connectant des quartiers entre eux ».

Pierre le guitariste continue d’argumenter, d’un geste : « Et tu vois bien, là, il y a aucune barrière métallique ». Éléonore rebondit aussi sec : « C’est sûr que si on venait me poser une barrière ici, elle ferait pas long feu ! » C’est pas compliqué, elle exècre « tout ce qui enferme les gens dans des catégories, tout ce qui les empêche, ce qui crée le rejet, le mépris ». Elle fulmine : « français, pas français, d’un quartier ou d’un autre, absolument tout le monde a droit à la même dignité ».
Entre les maraudes, finalement nombreuses, qui s’activent à aider les plus démunis dans les rues de Montpellier, il y a beaucoup plus de diversités, parfois de compétition, voire de querelles, que ce qu’on croirait. Certains élus n’y sont pas indifférents. On n’essaiera pas de démêler tout cela dans ces quelques lignes. Projet citoyen 34 compte parmi les initiatives les plus modestes, surtout sans la grosse tête. Plus une vraie originalité : cette association est née de citoyens qui s’étaient rencontrés sur les ronds-points des gilets jaunes à l’automne 2018.

Pour Éléonore, et plusieurs des femmes qui l’accompagnent, impossible d’oublier la Noël d’alors, au milieu du giratoire. « Personnellement, j’ai grandi dans une famille à l’abri du besoin. Et catholique. Je peux vous dire que les noëls y étaient superbes. Mais je n’ai pas le souvenir d’un seul qui m’ait bouleversée comme celui du Grand M entre gilets jaunes ». Entendons : « Cette rencontre spectaculaire de ressentis échangés dans tous les sens, entre gens de tous milieux, constatant que l’isolement dépend bien de ce que tu gagnes, dans un monde où on te fait sentir partout que tout devrait être payant ».

Quand pour certaines le mouvement reflua, « c’était impensable de rentrer chez soi, et d’y rester les bras croisés ». Il fallait se prendre en charge, s’affirmer autonomes, appeler des voisines « dont pas mal ont des parcours de vie pas faciles. C’est que nous le matin, on croise pas les mêmes gens que les commentateurs télé ou les élus ! » Puis se faire concrètes : « On a choisi de servir un soir par semaine, à notre échelle, le samedi, qui est un jour déserté par d’autres ». Cela se complète d’un goûter, le mercredi, qui alors compte avant tout pour distribuer de la chaleur humaine, plutôt que des calories nutritives. Hyper volubile, Éléonore marque une pause quand on lui demande de rassembler en quelques mots les valeurs entretenues autour d’elle : « respect mutuel, non jugement, être à l’écoute ». Au moment de mettre sous presse [début avril 2021], Le Poing se réjouit d’apprendre que Projet Citoyen 34 a pu amplifier beaucoup son action, en comparaison de ce qui est écrit dans l’article. Raison de plus pour y apporter sa contribution.

Dans un post facebook publié le 31 juillet et notamment illustré par cette photo, Projet citoyen 34 annonce une pause estivale : « Nous avons créer quelque chose de l ordre de l exceptionnel un lieu où toutes cultures, âges, religions, se croisent certains se cottoyent d autres juste se salut, un endroit où l on peut manger en compagnie et pas seul dans son coin… Un endroit, notre jardin où il règne maintenant un air de grande famille. Oui je suis fière de nous, et de nos protégés tous ont avancé, ou amélioré leur santé ou moral alors… Au nom de toute l équipe je vous remercie de nous suivre et de nous soutenir chaqu un comme il peut… Et vous dit aurrevoir jusqu’à au 1er septembre date de la reprise de notre maraude… Ciao portez vous bien et veillez sur les vôtres… 😉 Bonnes vacances la famille 🌴😀⛱️ »

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