Elsa Dorlin met les féminismes sous le feu de la rampe
Le 20 octobre dernier la librairie montpelliéraine Fiers de lettres organisait une rencontre avec la philosophe Elsa Dorlin dont l’ouvrage qu’elle a coordonnée Feu ! Abécédaire des féminismes présents est sorti le 14 octobre dernier aux éditions Libertalia. Le Poing y était.
Des incontournables de la littérature féministe comme Sorcières de Mona Chollet, aux essais bien plus pointus et universitaires dont celui là même d’Elsa Dorlin Sexes, genres et sexualités, cette dernière trouvait qu’il manquait dans le paysage un ouvrage qui brosse les féminismes actuels, pas leurs historiques mais les féminismes underground, présents. C’est chose faite avec ce “véritable pavé, qui peut devenir une arme contondante” comme s’amusera à le dire l’autrice. “Une véritable histoire d’amour pour toutes les résistantes anonymes des violences les plus crasses, à celles qui embrasent les tribunaux, cassent des genoux et brisent les vitrines, à celles qui inventent mille tactiques imperceptibles pour survivre et se mettre à l’abri, à la mémoire de celles dont les noms recouvrent les murs de nos villes la nuit, à la puissance des collectifs”.
La promesse de ce livre c’est le présent. Ne pas conter l’histoire des féminismes du point de vue des revendications (obtenues ou non) faites aux institutions mais raconter le féminisme vivant. Ce n’est pas “de répertorier les droits octroyés ou les lieux où on a obtenu un peu plus de parité et qu’on a demandé, encore une fois, au père, au maître, au patron”, mais bien de mettre sous le feu de la rampe les féminismes actuels, qui se vivent au quotidien. C’est rassembler 71 voix, qui sont autant d’entrées dans l’abécédaire, 71 styles de ceux et surtout de celles qui mettent le feu au poudre. “Feu ! ” c’est bien sur le titre de cet ouvrage et son entrée éponyme écrite par Adèle Haenel mais c’est aussi pour Elsa Dorlin, “le feu des cocktails molotov […], les révoltes en Amérique Latine”.
Plusieurs fois interrogée sur le choix des entrées de l’abécédaire, la philosophe met en exergue les pieds de nez faits aux bien pensants. Ainsi, l’entrée Universalisme (p.619) (idée d’une unité du genre humain qui passerait outre les particularités liés aux caractéristiques propres au genre féminin, aux personnes racisées, etc) a été écrite par la brillante militante antiraciste et féministe Rokahya Diallo. Le Néolibéralisme (versus Féminsites, p.431) est lui attaqué de front. Celui-là même qui fait se lever les Femmes en gilets jaunes (p.201), qui détruit les politiques de santé publique, dépolitise le Cancer (p.65), stigmatise et précarise les personnes atteintes de Schizophrénie (p.567).
Feu ! c’est finalement un récit nouveau qui nous est donné à penser. Un récit des féminismes sous un autre angle historique : celui du présent. C’est aussi un autre angle géographique, une invitation à décentrer notre occidentalisme. Se demander ce que ça fait “de penser l’Histoire des féminismes en étant une femme martiniquaise ? En étant une femme de la diaspora ?”. Le petit auditoire venu écouter la grande Elsa Dorlin semble repartir avec l’impression qu’Elsa est une amie de toujours, venue partager avec nous ces 71 voix. Quant à nous, on vous invite à les faire entrer dans votre salon, votre chambre, votre canapé, à vous les faire prêter, à les parcourir et à les partager à votre tour.
N.B. En mars dernier nous voulions aussi partager 8 voix actuelles des féminismes. On a fait une très grosse pause , mais on a de merveilleux entretiens à vous partager et on espère pouvoir continuer bientôt. En attendant on vous invite à relire les premiers.
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