Les municipaux montpelliérains choqués et mobilisés après les agressions dans les écoles
Les faits de violence survenus la semaine dernière ont marqué des communautés professionnelles déjà écœurées par la réforme de leur temps de travail.
A 10 heures ce lundi matin sur le parvis de l’Hôtel de Ville de Montpellier, Julie et Marie sont les deux premières agentes municipales qu’on croise pour le rassemblement qui est convoqué à cet endroit. Ce sont toutes les deux des ATSEM, agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles. Une grande majorité des établissements scolaires et crèches de la ville a été affectée par la journée de débrayage à l’appel des syndicats UNSA, FO et CGT des territoriaux. Le personnel municipal périscolaire, tout particulièrement les ATSEM, a adhéré à une action en solidarité aux victimes des deux agressions récemment survenues à l’intérieur même de deux établissements de la ville, à La Martelle et La Croix d’Argent.
C’est bien pour ça que Julie et Marie ont effectué le déplacement jusque devant la mairie. Mais aussi parce que « nous devons travailler plus pour ne pas gagner plus ». Cela découle d’une réforme nationale qui a aligné le temps de travail de ces territoriaux sur celui des autres fonctionnaires. « A Montpellier, Mickaël Delafosse explique qu’il n’y est pour rien, contraint d’appliquer cette règle nationale. Mais il fait partie de l’équipe de campagne d’Anne Hidalgo. Laquelle, en tant que maire de Paris, a refusé de mettre cette règle en application ! » relèvent Julie et Marie, l’ironie amère.
Leur temps de travail s’en trouve rallongé de soixante-dix heures dans l’année – deux semaines complètes, tout de même. Mais c’est surtout la manière dont la chose s’applique, qui les accable : « On nous a rajouté le suivi des enfants en fin de journée, dans l’attente des familles qui viennent les récupérer. Auparavant, cela était confié à des animateurs. Pour nous, cette tâche supplémentaire vient au bout d’une journée de dix heures de présence avec les enfants, quand déjà on n’en peut plus ».
D’où le sentiment de « ne pas être écoutées, d’être méprisées ». Plus globalement, « même les parents n’ont pas idée de ce qu’est notre métier ». Les ATSEM, en général des femmes, font-elles aussi partie des invisibles, essentielles pour faire tourner le système, mais aussi des moins valorisées : « Dès 7h40 nous sommes là pour accueillir les enfants que nous confient les familles. Puis nous restons présentes et actives au côté des enseignants pendant tout le temps pédagogique, nous animons des ateliers, nous accompagnons et aidons les enfants aux toilettes, ou pour se rhabiller, etc. Puis il y a le temps de cantines, qui sont de plus en plus fréquentées avec l’effort municipal sur les tarifs, et les parents de plus en plus nombreux à ne pas pouvoir reprendre les enfants. Ça continue l’après-midi, avec les siestes, l’endormissement, le pliage des literies, puis la relance du temps pédagogique, les ateliers, pour un service total d’une durée de dix heures. Et donc à la fin on nous demande à présent de reprendre les enfants en charge avant le retour des familles, alors que cela était confié à des animateurs vacataires jusque-là ».
C’est dans ce contexte que les agressions récentes ont été perçues comme « le signe d’une dégradation générale très grave, puisque ça s’est produit à l’intérieur même des écoles, devant les enfants, alors que cet espace semblait encore protégé » s’insurge Julie. Par ailleurs gilet jaune (et plusieurs du Prés d’Arènes sont venus en solidarité), elle ne croit guère que le contrôle des pièces d’identité à l’entrée des écoles soit une solution – c’est celle que nous laissait envisager un syndicaliste. Il pourrait encore s’agir d’occasions supplémentaires de montées de tension. Elle évoque plutôt des notions de « disponibilité, de vigilance, d’écoute plus attentive ».
Plus globalement, « c’est tout un service, des équipes, un état d’esprit, un contexte de travail, qui sont fragilisés ». Une Atsem d’une autre école indique : « Nous sommes théoriquement sept en poste. Mais avec les absences, nous tournons à quatre, pour nous occuper du même nombre d’enfants ». Selon les sources au sein même des responsables municipaux, l’absentéisme a explosé, porté à 30 % ou 40 %, notamment avec le nouveau système mis en place. Les congés maladies, les burn-out ont enflé, quand les stress de la période du COVID, ou les mises à l’écart des agent.es les plus vulnérables à la contamination, avaient déjà clairsemé les rangs d’un personnel, qui par ailleurs gagne en âge.
Victimes collatérales : les animateurs vacataires, avec des postes de très courte durée, depuis que la séquence de fin d’après-midi leur a été retirée et reversée aux ATSEM. Rémunération peu attractive, manque de formation, horaire ultra-morcelé : la mairie peine à recruter des étudiants, sur des jobs dont ils ont pourtant cruellement besoin eux-les mêmes. Mais l’évolution générale rend plus attirant d’aller vendre de la malbouffe à d’autres jeunes pour des enseignes multinationales de la fast-food, que s’occuper intelligemment d’enfants en plein éveil. « Dans les écoles, ces effectifs d’animateurs connaissent une rotation de renouvellement incessant » et « c’est encore un autre facteur de fragilisation des équipes » relève Fabien Molina, syndicaliste de l’UNSA.
Les tristes événements de La Martelle et La Croix d’Argent pourraient se comprendre comme purement « sécuritaires ». Mais ils révèlent surtout une dégradation générale des conditions de la vie sociale. Soit une retombée des politiques ultra-libérales, cogérées par la social-démocratie en poste à Montpellier. Ne suffisent pas à les résoudre, les shows sécuritaires à bord de postes de police mobile, dans les quartiers coupables d’être trop basanés.
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