Racisme : toutes les routes mènent aux Roms
Le 2 avril, une brève du journal La Gazette de Montpellier rapportait les propos élaborés et virtuoses d’un délégué syndical Force ouvrière (FO) de la TAM, dont nous attendons les œuvres complètes avec une certaine émotion, qui proposait de créer « une navette spécialement » pour les Roms qui empruntent quotidiennement la ligne 9 car selon lui ces derniers constitueraient « un danger sanitaire », et leur odeur serait une « véritable infection ». Depuis de nombreuses semaines déjà des chauffeurs au nez fin évacuaient les bus et les désodorisaient abondamment, comme sur certaines lignes aériennes on gaze les insectes pour se protéger des contagions exotiques, et refusaient parfois de prendre ces usagers dans leur autobus public resté porte close à l’arrêt Place de France.
Cet homme averti nous révélait l’impossible : le savon manque aux pauvres. Mais y aurait-il plus ? Une épidémie guetterait-elle notre agglomération ? Une poignée d’indésirables contagieux serait-elle sur le point de propager une périlleuse épidémie par l ‘échange de monnaie comme les zombies par la morsure ?
“NON DESSERVIS”
La portion du trajet de cette ligne relie la ville au quartier périphérique du Zénith où vivent sur 2 sites proches et totalement inégaux environ 300 hommes, femmes et enfants provenant de Bulgarie, de Roumanie, des anciennes républiques Tchèques et Yougoslaves. Des réfugiés pour certains et des travailleurs nomades ou sédentaires pour d’autres.
La ligne qu’ils empruntent ou payent, selon leurs ressources, leur évite un interminable trajet à pied pour aller gagner leur vie, faire les courses pour le repas du soir ou aller à l’école. Comme tout le monde. Et aller se soigner aussi selon leurs moyens ou leurs droits, quand ils sont ouverts. Mais depuis quelques temps l’affichage des informations de circulation de cette ligne signale certains arrêts non desservis, et pour cause : une benne pleine de gravats doublée d’un portail, tombés du ciel, entravent la circulation. Une idée lumineuse dont personne ne connaît l’origine mais dont chacun sait reconnaître le génie social. Midi Libre souligne que cette apparition magique pénalise « des personnes âgées qui se rendent au cimetière ».
Il faut observer aussi que ramener du pain et de l’eau pour une famille nombreuse, harassée par un travail pénible et des conditions de vie difficiles voire suffocantes, ajoute à la survie un cruel sentiment de mépris répétitif. Et ajoute à la vulnérabilité de l’existence précaire un isolement dont il convient de signaler le caractère discriminatoire.
INDÉSIRABLES
A Montpellier la question de l’eau est centrale. Avec une arrivée d’eau par camp sur les sites Zénith 1 et 2, seule la nature physique des lieux a permis des aménagements individuels aux disparités importantes et aux conséquences redoutables. Toilettes, douches, machines à laver pour une poignée d’habitants débrouillards de Zénith 1 ; alors que le vaste Zénith 2 établi sur une plaine goudronnée sans ombre et sans aucun lieu d’hygiène, contraint à un aménagement bidonville pour 200 à 250 personnes. Il demeure pourtant que les femmes lavent le linge en bassine. A l’eau froide ou tiède. Régulièrement. Car la flambée des prix des lavomatiques (qui « se réservent le droit d’entrer ») les plus proches, à environ 2km, en a rendu leur usage prohibitif. Une mesquinerie supplémentaire qui vient faire mentir le proverbe Rom selon lequel « une femme qui balaie sa maison lave aussi sa réputation ». Cependant, malgré la bonne volonté de chacune, les conditions de distribution d’eau sont totalement insuffisantes et aujourd’hui la ville ne proposant même plus de bains publics, les rares et éparses points douches associatifs ne suffisent pas. Dans une enquête menée en 2013 dans les villes où l’association est présente, et rendue publique pour les élections municipales de 2014, médecins du Monde, qui œuvre dans les bidonvilles pour faciliter l’accès au droit à la santé (orientation, instruction de dossiers) et mène une action de prévention santé (buccodentaire, sexuelle, suivi de pathologies, contraception) rappelait que « les élus municipaux peuvent agir sur la santé grâce à leurs compétences dans différents domaines : action sociale, logement, hébergement, accès à l’eau et à l’hygiène, pouvoirs de polices… et ainsi participer à la réduction des inégalités sociales et territoriales de santé. »
IL N’Y A PAS DE FOYERS
A ce sujet, Damien Nantes, délégué régional de Médecins du Monde, explique qu’une des missions locales de l’association est d’accompagner et d’éduquer les personnes en situation de précarité, vulnérables tant sur le plan social que santé, afin qu’elles puissent faire valoir leurs droits. « Le danger sanitaire est un fantasme. Oui des problèmes sanitaires il y en a : parce qu’un terrain sans accès à l’hygiène et où le ramassage des ordures n’est pas correctement assuré fragilise un peu plus des populations vulnérables touchées par des problèmes de nutrition, de mal-logement, exposées successivement à la rigueur de l’hiver et de l’été. Le fantasme est sur le problème sanitaire que cela pourrait engendrer à l’extérieur. Notamment à propos de la gale, rumeur tenace. Elle ne se transmet pas en serrant la main, mais plutôt après un contact prolongé à des vêtements ou de la literie par exemple. »
Rencontré fin avril, il confirme qu’il n’y a pas de foyer épidémique à Montpellier, mais souligne à titre d’alerte l’inquiétude grandissante d’un certain nombre d’associations quant au retour de la tuberculose, réapparaissant de manière éparse en France chez les plus vulnérables. Fort heureusement un travail in-situ, et un engagement sans faille d’associations agréées et de l’agence régionale de santé encadrent le dépistage et la vaccination materno-infantile quand elle est obligatoire, et veillent sur les risques épidémiques. Des associations que le syndicat FO de la Tam n’a peut-être pas consultées. Sûrement pas Médecins du Monde nous rapporte Damien Nantes.
VENTRE PLEIN ET VENTRE VIDE
Assurément le dialogue social n’est pas en bonne santé lui non plus. J’en ai eu l’exemple en me rendant par le bus que je connais bien au bidonville Zénith 2 afin de rendre visite aux gens qui y vivent et de connaître leur opinion. Le bus était à l’arrêt et la conductrice pratiquait une entrée rigoureusement sélective à l’entrée. Ouvrant et claquant les portes sur chacun des Roms qui voulaient y monter. Coinçant méthodiquement têtes et jambes de chacun entre les parois caoutchouteuses, donnant de l’accélération et du frein, faisant ainsi vaciller ou chuter femmes et enfants, puis gazant le bus avec un aérosol dont il serait bon de savoir ce qu’il fait là. Je passe sur les longues intimidations qui m’ont été proférées après mon intervention et ne manquerai pas de dire cependant que les voyageurs ont quitté les lieux ainsi : « Là, on ne lui dit pas merci au chauffeur ». La coutume est donc comprise. Mais vraisemblablement ventre plein et ventre vide ne parlent pas le même langage, comme le dit le proverbe Rom.
CM
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