La chronique littéraire d’Eugène : « Stratégies anticapitalistes pour le XXIe siècle »
Erik Olin Wright, mort prématurément en 2019 fut un sociologue américain marxiste engagé dans de nombreuses luttes sociales. Les Editions La Découverte ont eu la bonne idée de publier dans la collection « l’horizon des possibles » son dernier ouvrage posthume en 2021. « Stratégies anticapitalistes pour le XXIe siècle » tente de renouveler l’approche marxiste aux prismes des échecs du XXe siècle mais surtout des dynamiques actuelles du monde néolibéral.
La France serait l’un des pays les plus anticapitalistes du Monde d’après un sondage publié par le think tank libéral « Institute of Economic Affairs ». Un article de « L’Express » du 26 septembre 2023 nous révèle que cette étude a sondé les opinions dans 34 pays répartis sur tous les continents. Des échantillons représentatifs d’environ 1 000 personnes ont été interrogés dans chaque pays. Au total, 34 550 personnes ont participé à l’enquête. L’anticapitalisme pour demain alors !
Erik Olin Wright, mort prématurément en 2019 fut un sociologue américain marxiste engagé dans de nombreuses luttes sociales. Les Editions La Découverte ont eu la bonne idée de publier dans la collection « l’horizon des possibles » son dernier ouvrage posthume en 2021.
« Stratégies anticapitalistes pour le XXIe siècle » tente de renouveler l’approche marxiste aux prismes des échecs du XXe siècle mais surtout des dynamiques actuelles du monde néolibéral.
I/ Pourquoi être anticapitaliste ?
Les raisons de s’opposer au capitalisme
Le capitalisme se base sur un mythe pour s’autocélébrer. Il suffit d’écouter Macron, caricature du financier néolibéral ; les fantastiques innovations technologiques et l’incroyable diversité des biens de consommation accessibles auraient permis un monde d’abondance.
Or, le capitalisme produit de la pauvreté au milieu de cette abondance. C’est une « machine à inégalité » qui augmente la précarité, les emplois pénibles et aliénants et la destruction de l’environnement.
Olin Wright énonce à la suite de ce constat sa thèse. Les moyens pour passer de l’ancien monde capitaliste à un nouveau monde améliorant la prospérité de la plupart des gens existent. On peut s’opposer au capitalisme par intérêts de classe, croyances religieuses, intérêts matériels ou encore valeurs morales. Mais l’analyse marxiste d’ « intérêt de classe » est au XXIe siècle insuffisante. La construction de coalition autour de valeurs et préoccupations morales communes est primordiale pour bâtir des alternatives désirables.
Les fondations normatives
L’équité et l’égalité sont à distinguer de la vision libérale de « l’égalité des droits devant la loi » qui nie, au nom du principe de responsabilité individuelle, l’égal accès au moyens sociaux (travail, liens sociaux, respect social, autonomie…) et matériels (alimentation saine, toit, loisirs, éducation, santé…) nécessaires à une vie épanouie. Or, il est impossible de distinguer ce dont nous portons réellement la responsabilité et se dont nous ne sommes pas responsables. Les stigmates sociaux (race, genre, sexualité…) et l’injustice environnementale font obstacle à l’épanouissement humain.
La démocratie et la liberté devrait être étroitement liées. La démocratie, c’est participer aux décisions sur les choses qui affectent sa vie (l’autodétermination), c’est décider des frontières entre la sphère privée et la sphère publique. Cela implique non pas que tous les gens participent réellement à égalité aux décisions collectives mais qu’il n’y ait pas d’obstacles sociaux inégalitaires à leur participation.
La communauté et la solidarité expriment le principe selon lequel les gens doivent coopérer les uns avec les autres en vertu d’un réel engagement pour le bien-être des autres et d’un sentiment d’obligation morale qu’il est bien de le faire. Là où existe un sentiment de communauté puissant, les gens sont moins vulnérables. Plus ce sentiment sera fort, plus la probabilité de politiques publiques égalitaires et redistributives stables sera forte et plus la valeur de démocratie aura de chance d’être pleinement réalisée.
II/ Diagnostic et critique du capitalisme
Le capitalisme est contradictoire à toutes ces valeurs car il empêche l’épanouissement humain avec la dégradation environnementale, la compétition entre humains, le militarisme et l’impérialisme.
Egalité/équité
Les inégalités économiques et sociales sont inhérentes au capitalisme. Ce dernier impose aux humains un accès inégal aux conditions matérielles et sociales nécessaires pour une vie épanouie. L’organisation capitaliste alimente même des obstacles dont les gens ne sont pas responsables (précarité, faim, maladies…). Le capital prime sur le travail. L’exploitation des travailleurs assure une accumulation insolente du capital. De plus, le capitalisme crée une majorité d’emplois mal payés et pénibles. Il en résulte de réelles souffrances dans la vie de la majorité des humains.
Démocratie/liberté
Les capitalistes ont le pouvoir décider où et quand investir ou désinvestir, hors de tout contrôle démocratique. Les Etats capitalistes comme la France édictent des règles favorables aux intérêts des capitalistes, l’oligarchie au pouvoir étant particulièrement liée aux élites économiques. Ces dernières ont le pouvoir de dire aux travailleurs ce qu’ils ont à faire. Ainsi, le travailleur pauvre n’a plus la liberté de refuser un emploi, de dire « non » à une personne riche ; il perd son autodétermination !
Communauté/solidarité
Dans un contexte de concurrence entre les travailleurs (salaires, emplois, carrière…), ces derniers suivent leur intérêt économique personnel par peur ou (et) cupidité. Face à cette compétition permanente, les valeurs communautaires s’affaiblissent dans l’entreprise comme dans la société. Le consumérisme privatisé renforce également l’indifférence au bien-être des autres. La fragmentation du marché du travail brise enfin le pouvoir d’agir collectivement pour remettre en cause de système injuste et individualiste.
Scepticisme
Malgré cela, beaucoup doutent encore que le capitalisme soit l’unique coupable de ces maux. On pointe du doigt les évolutions technologiques (qui détruisent les emplois), les mauvais gouvernements (incapables de prendre des bonnes décisions), la désintégration des familles (pauvreté persistante, soucis éducatifs), l’urbanisation et la mobilité géographique (crise des valeurs communautaires). Deuxièmement, les alternatives sont vues comme utopiques et les pouvoirs en place sont considérés comme inébranlables.
III/ Les variétés d’anticapitalisme
Écraser le capitalisme
Les révolutionnaires jugent le capitalisme irréformable. Il faut donc le détruire puis reconstruire une alternative. Les crises capitalistes fragilisent le système et des ruptures peuvent être envisagées pour renverser les classes dominantes. Un parti révolutionnaire doit prendre le pouvoir pour contrôler l’état, mettre hors d’état de nuire l’opposition bourgeoise et imposer un système économique alternatif.
Cette stratégie a insufflé aux luttes du XXe siècle espoir et optimisme. Cependant, la plupart des révolutions ont conduit à des régimes inégalitaires et liberticides à cause d’erreurs stratégiques, de leaders dictatoriaux et de circonstances défavorables. La colère des révoltés a légitimé une violence et une répression omniprésentes sans proposer d’alternatives permettant l’épanouissement et l’émancipation (Chine, URSS, Cuba…).
Démanteler le capitalisme
L’alternative socialiste a été tentée par des réformes étatiques dans le cadre de la démocratie, comme durant le Front Populaire entre 1936 et 1938. L’État Providence a mis en place une économie mixte pour démanteler progressivement le capitalisme. Le.s Parti.s de gauche ont réussi à conserver le pouvoir grâce au soutien de la population et à réussi sur le long terme à donner de nouvelles structures économiques au pays. Cette stratégie fut un échec face au fascisme des années 1930 et au néolibéralisme dans les années 1970.
Domestiquer le capitalisme
La social-démocratie a tenté de neutraliser les nuisances de cette offensive néolibérale en créant des contre-institutions pour stabiliser le capitalisme et le protéger de ses tendances autodestructrices. C’est dans ces perspectives qu’ont été pensés la Sécurité Sociale, les services publics, les régimes complémentaires, une fiscalité redistributive. Les récentes évolutions de la social-démocratie montrent l’inefficacité de cette stratégie (pensons à la décennie Mitterrand!). Le capitalisme n’est plus domestiqué mais déchaîné en ce début de XXIe siècle.
Résister au capitalisme
C’est la stratégie la plus courante aujourd’hui. Par la rue, on cherche à influencer l’état et à empêcher ses « réformes » sans vouloir prendre le pouvoir. Or, ces luttes se fragmentent entre corporations (avocats, consommateurs, écologistes…) et identités (luttes minoritaires liées au sexe, à la race, à la religion ou à l’ethnicité). Il paraît, dans la France de Macron et Darmanin, impensable d’arriver à domestiquer le capitalisme par une action collective de résistance…La répression a atteint en effet un niveau inouï.
Fuir le capitalisme
Le capitalisme étant impossible à abattre car trop puissant et corrompu (les élites au pouvoir réussiront toujours à retourner l’opposition ou à saboter toutes actions radicales de transformation sociale et économique), il faut se soustraire à son emprise en vivant dans une micro-société alternative (ZAD, squats…). On y adopte une simplicité volontaire, des formes de vie collectives, égalitaires et démocratiques. On y rejette toute idée de consumérisme et de croissance économique. Mais on renonce à abattre ce système monstrueux.
Éroder le capitalisme
Ces quatre stratégies ne se placent pas également par rapport au capitalisme. Ecraser le capitalisme est une stratégie se situant au niveau « du choix du jeu » (capitalisme versus socialisme). Domestiquer et démanteler le capitalisme se situent au niveau « des règles du jeu » (capitalisme social-démocrate versus néolibéralisme). Résister et fuir le capitalisme se situent enfin au niveau « des coups à jouer » (intérêts économiques immédiats). Ces stratégies peuvent se cumuler (résistance puis écrasement / domestication puis démantèlement / résistance et fuite…).
Face aux succès mitigés de ces stratégies cumulées, Erik Olin Wright en propose une nouvelle : « éroder le capitalisme ». Il faut profiter des failles du système pour que le capitalisme perde son rôle dominant dans le système. Par la mise en place d’alternatives plus égalitaires, démocratiques et participatives partout où cela est possible (coopératives, associations, réseaux « peer to peer »…), le capitalisme peut sur le long terme d’effriter. Cela doit passer par une puissante mobilisation politique pour favoriser et défendre ces alternatives émancipatrices.
Cette stratégie cumule des approches « par le haut » (lois et institutions pour changer les règles du jeu) et des approches « par le bas » (portées par des collectifs et mouvements sociaux aux aspirations émancipatrices). Ces utopies réelles doivent être défendues également par les militants comme par un État courageux n’ayant pas peur d’affronter les puissantes entreprises capitalistes dont tant de personnes dépendent.
IV/ Au delà du capitalisme : le socialisme comme démocratie économique
Il fut difficile pour les mouvements sociaux des années 1980 et 1990 de formuler des revendications inclusives autour d’alternatives positives. Depuis 2000, l’anticapitalisme et le socialisme reprennent de la vigueur, s’émancipant des expériences bureaucratiques et autoritaires des « marxistes-léninistes » et maoistes du XXe siècle.
Une idée du socialisme centrée sur le pouvoir
On distingue trois pouvoirs ; le pouvoir économique (entreprises, banques…), le pouvoir politique (gouvernement, parlement, juges…) et le « pouvoir social ». Ce dernier est la capacité à mobiliser/persuader des individus afin qu’ils participent volontairement à des actions collectives et de coopération. Un état ne peut être démocratique que si les pouvoirs économique et politique sont subordonnés au pouvoir social. Ce dernier décide de la mise en place du socialisme, de l’allocation et de l’utilisation des ressources.
Les éléments constitutifs d’une économie socialiste démocratique
L’économie socialiste et postcapitaliste est un écosystème combinant des types particuliers de relations de pouvoir. Elle reposerait ainsi sur un mélange de diverses formes de planification participative, d’entreprises publiques, de coopératives, d’entreprises privées gérées démocratiquement…Cette architecture évoluerait au grès des expérimentations et délibérations démocratiques.
Le revenu de base inconditionnel
L’un des fondements d’une économie postcapitaliste est le RBI qui serait financé par l’augmentation des impôts des plus riches. Ce revenu éliminerait la pauvreté et réduirait les inégalités. Tous auraient un égal accès aux conditions matérielles nécessaires pour mener une vie épanouie. Ils auraient le temps de s’engager dans des initiatives relevant de nouvelles formes de relations sociales et économiques (coopératives de travailleurs, activités artistiques, petite agriculture durable, économie sociale et solidaire…).
L’économie coopérative de marché
L’économie coopérative de marché serait le second pilier de cette nouvelle économie. Elle est gérée par des principes démocratiques et inscrite dans les territoires. Les valeurs cardinales des coopératives sont la solidarité, l’égalité, la démocratie, la dignité du travail…Elles devraient être soutenues par le RBI (pour réduire la dépendance des travailleurs des coopératives), des programmes publics (pour faciliter la conversion des entreprises capitalistes, former les travailleurs à cette nouvelle économie, …), des banques publiques (locaux abordables, prêts à taux zéro…).
L’économie sociale et solidaire
Les coopératives, associations, mutuelles et autres entreprises sociales portent de nouvelles relations économiques, davantage axées sur les besoins. Elles créent des zones d’émancipation au sein du capitalisme comme les banques du temps et devises locales, cuisines communautaires, bibliothèques d’outils de bricolage, jardins communautaires, échanges de soins, cliniques et garderies gratuites…Il s’agit de rendre service à tous suivant les valeurs de la communauté et de la participation démocratique.
L’organisation économique non-marchande
La fourniture par l’État des biens et des services serait à la fois fournie directement par l’État et des organisations non-étatiques financées et supervisées par l’État. Cet équilibre devrait être décidé par la délibération et l’expérimentation démocratiques.
Quand aux communs de la connaissance, la production collaborative « peer to peer » (P2P), les licences Creative Commons et les licences libres résoudraient l’inégal accès aux moyens de production et de diffusion des savoirs et connaissances.
V/ L’anticapitalisme et l’État
De tels coups, vus dans le chapitre précédant, sont encore vus comme utopiques tant les règles du jeu capitaliste sont omniprésentes. En effet, ces stratégies anticapitalistes ont besoin de l’appui partiel de l’État. Or, Macron réduirait à néant toutes tentatives de nouvelles relations économiques émancipatrices menaçant le capitalisme. On se souvent de Pinochet qui anéantit au Chili en 1973 toutes les réformes sociales entamées les années précédentes dans le pays, par un coup d’État militaire soutenu par la bourgeoisie réactionnaire et les économistes néolibéraux.
Le problème de l’État capitaliste
Aujourd’hui, les gouvernements sont au service de la reproduction du capitalisme, tant les élites politiques sont organiquement liées aux oligarchies économiques. L’État dépend de la taxation du revenu produit par le marché, recrute sa bureaucratie dans des sphères formatées par le néolibéralisme, sanctuarise la propriété privée (vue comme la valeur fondamentale de « l’État de droit »). Le caractère de classe de l’appareil d’État est fondamentalement capitaliste. Il est donc impératif de renforcer les processus démocratiques de la machinerie ordinaire de l’État.
Or, le capitalisme est pétri de tendances autodestructrices. La précarisation croissante des travailleurs affaiblit leur pouvoir d’achat. La baisse des formations professionnelles brise les savoir-faire. Les bulles spéculatives entraînent des crises capitalistes graves et périodiques. La compétitivité permanente accroît la prédation des entreprises les plus riches sur les consommateurs et les concurrence. Les externalités négatives dégradent l’environnement et les communs…
L’État Providence a pu, durant les « 30 Glorieuses », contrebalancer ces processus autodestructeurs. Il a été, avec le soutien des syndicats, à l’encontre des intérêts de certains groupes capitalistes en freinant par la taxation et la redistribution l’accumulation du capital. Depuis les années 1980, la social-démocratie a résolu les « échecs de marché » du capitalisme et donc renforcé ce système. Les nombreux empiétements de l’État social-démocrate sur le capitalisme ont alimenté finalement l’offensive néolibérale contre cet état…
Perspectives
Le drame du réchauffement climatique va probablement conduire à la fin du néolibéralisme. L’État va devoir créer de nouveaux impôts pour financer la planification écologique. Cependant, les changements technologiques liés à la révolution technologique détruisent de nombreux emplois, précarisant et marginalisant de plus en plus de travailleurs. Face aux contestations sociales et écologistes croissantes, l’État capitaliste va renforcer son caractère autoritaire ; c’est ce qui est en train de se passer dans la France de Macron, entre autres !
Un autre scénario est cependant possible. Ces contestations sociales et écologiques peuvent revitaliser la démocratie. Les mobilisations populaires progressistes peuvent faire pression sur l’État pour favoriser l’essor de l’emploi public, augmenter les impôts, instaurer le RBI…On est ainsi dans une stratégie d’érosion du capitalisme dans le système économique global avec un programme politique de consolidation des espaces économiques alternatifs. Le dépassement du capitalisme passe par le développement de ces valeurs démocratiques, égalitaires et solidaires.
Démocratiser l’État
Des innovations institutionnelles peuvent inverser les effets anti-démocratiques du néolibéralisme d’État. Cela passe par le contrôle du mouvement mondial du capital, la régulation du secteur financier, l’investissement dans les services publics et le renforcement du pouvoir des syndicats. Cela passe aussi par une vraie décentralisation du pouvoir, l’établissement de budgets participatifs (villes, écoles, logements sociaux…), l’établissement d’une chambre législative de citoyens tirés au sort , le financement public des élections (afin de briser l’influence de l’oligarchie)…
VI/ Les agents de la transformation
Les activistes politiques et ceux qui agissent dans l’économie sociale et solidaires sont complémentaires. Les syndicats, associations et organisations communautaires doivent être reliés d’une manière ou d’une autre à des partis politiques de gauche, seuls capables d’agir directement au sein de l’État.
Le problème du pouvoir d’agir collectif
Le « pouvoir d’agir », ce n’est pas suivre un scénario programmé et défini par un rôle mais être à l’initiative d’actions et faire preuve de créativité et capacité d’improvisation remarquables. Les acteurs collectifs ne sont plus les classes sociales au XXIe siècle mais les organisations et associations à travers lesquelles les gens se réunissent pour coopérer en vue d’atteindre leurs objectifs. Elles élaborent ensemble des stratégies pour cibler les institutions puissantes et parvenir à l’émancipation humaine.
Les identités multiples (genre, classe, race, classe, orientation sexuelle, religion, ethnicité, langue, handicap…) constituent le profil identitaire d’une personne. Cette dernière juge subjectivement l’une ou l’autre plus importante. Cette identité dominante est étroitement liée au pouvoir et aux relations sociales. Autrefois imposées par les dominants, l’identité est aujourd’hui une découverte de soi. Conscients d’être « tous dans le même bateau », des gens, partageant des identités enracinées dans différentes formes d’inégalité et de domination, peuvent agir collectivement.
Les souffrances comme la pauvreté, le mépris, la marginalisation, la perte d’autonomie, l’insécurité et les violences peuvent se transformer en identités partagées à travers des interprétations culturelles et des contestations sociales. La lutte et les pratiques culturelles/idéologiques contribuent à former des identités cultivées profondément liées aux acteurs collectifs des luttes (partis politiques, organisations du mouvement social, syndicats de travailleurs…). Par l’intersectionnalité, elles peuvent faciliter les convergences de luttes sociales et collectives.
Les intérêts sont ancrés dans les solutions aux problèmes que les gens rencontrent dans leur vie. Les gens peuvent, face aux soucis, développer une « fausse conscience », c’est à dire une mauvaise compréhension de ce qui améliorerait en réalité leur vie. Les intérêts des identités multiples (genre, classe, ethnicité, religion…) sont souvent incompatibles. A cela s’ajoutent des intérêts de court terme et des intérêts de long terme qui sont également en tension. Certains sont mis en avant, d’autres placés entre parenthèses.
Nos valeurs entretiennent aussi une relation tendue avec nos intérêts. Elles sont pourtant de puissantes sources de motivation et d’identité. Des blancs ont pu ainsi lutter contre la ségrégation aux Etats-Unis ou l’Apartheid en Afrique du Sud. Des hommes s’investissent de plus en plus dans les luttes féministes en France et dans le monde. Des militants issus de milieux favorisés viennent vivre dans des squats ou dans des ZAD pour vivre hors du système. Des retraités manifestent aux côtés des travailleurs contre la casse du système des retraites…Les exemples sont innombrables !
Passer des identités, des intérêts et des valeurs aux acteurs collectifs
La vie quotidienne (enfants, famille) comme le consumérisme sont des obstacles à l’engagement et à l’action collective. A cela s’ajoute une complexification des classes sociales affaiblissant le sentiment partagé d’un destin et de conditions de vie. Mais les identités mises en avant par les combats sociétaux (et non sociaux) peuvent véhiculer des valeurs proches de celles de l’anticapitalisme émancipateur. Elles sont en effet basées sur l’expérience vécue de la domination, de l’inégalité et de l’exclusion.
Les combats des « politiques minoritaires » doivent donc être considérés comme partie intégrante d’une politique émancipatrice globale et non comme une question secondaire. En effet, les minorités racisées partagent avec la classe ouvrière la valeur égalitaire d’un égal accès aux moyens matériels et sociaux nécessaires à une vie épanouie. Les luttes pour la démocratie directe ou contre les violences policières sont un objectif fédérateur pour ces personnes qui se sentent moins touchées par un programme anticapitaliste global (faute de capital culturel suffisant).
Il faut profiter de la désaffection populaire du capitalisme en proposant des alternatives viables et crédibles. Cela passe par les nouveaux modes d’organisation des entreprises (SCOP, coopératives…), les nouvelles formations politiques à gauche (comme la France Insoumise) et la lutte contre la privatisation de la fourniture de services et de biens publics par l’État. La contingence des évènements historiques et le pouvoir d’agir inventif détermineront si ce potentiel pourra ou non se réaliser.
Postface ; imaginer à nouveau le socialisme
L’anticapitalisme semble faible face à la déferlante réactionnaire et néolibérale auourd’hui. Plus qu’un volontarisme programmatique, l’anticapitalisme soit ainsi délimiter l’espace de valeurs socialistes puis partir en quête des agencements favorables à leur épanouissement dans les plis et replis du système actuel. Toute organisation de l’activité collective porte en elle un hybride socialisme, capitalisme et étatisme. Il faut donc y repérer le socialisme pour en augmenter la proportion et éroder la part du capitalisme.
Les valeurs d’égalité, d’autonomie et de solidarité qui définissent l’anticapitalisme sont également la source de l’antiracisme, des mobilisations LGBT+ et du féminisme. La défense transversale de ces valeurs, la tolérance de principe envers les autres socialismes et la reconnaissance d’une stratégie réaliste sont indispensables pour qu’une action anticapitaliste commence à s’écrire. Une action plurielle, hétérogène, décentralisée et évolutive portée par une multiplicité et sans stratège établi.
Eugène Varlin
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