Procès pour apologie du terrorisme à Montpellier : de la prison avec sursis requise

Elian Barascud Publié le 8 février 2024 à 20:27 (mis à jour le 9 février 2024 à 12:01)
Quelques militants et soutiens de la cause Palestinienne avaient organisé un rassemblement devant le tribunal en amont du procès d'Abdel L., convoqué pour apologie du terrorisme le 8 février.

Le 4 novembre dernier, Abdel L., un militant décolonial, avait fait une prise de parole à la fin d’une manifestation de soutien à la Palestine dans laquelle il avait parlé de l’attaque du Hamas du 7 octobre comme d’un “acte héroïque de la résistance palestinienne” et un “battement d’aile de papillon”. Il était jugé ce jeudi 8 février à Montpellier

Ils étaient quelques uns, ce jeudi 8 février, place Pierre Flotte à Montpellier, à s’être réunis devant le tribunal pour venir en soutien à Abdel, militant décolonial, convoqué pour apologie du terrorisme à la suite de propos tenus à la fin d’une manifestation le 4 novembre dernier.

Dans le hall, un journaliste de l’AFP tendait le micro à Perla Danan, présidente de la section Montpelliéraine du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), constitué partie civile dans le dossier. “Le Crif demande une peine exemplaire. On parle de personnes radicalisées, il faut barrer la route aux personnes qui distillent de la haine.”

Le paradoxe survint quelques minutes plus tard, quand, arrivée dans la salle d’audience, elle s’assit aux côtés d’une femme, l’embrassa puis papota d’un air amical avec elle. Il s’agit de Florence Médina, ancienne candidate Reconquête aux législatives de 2022 dans la première circonscription de l’Hérault, elle même convoquée à l’audience pour incitation à la haine, après avoir posté un message sur Facebook en disant “Si c’est la guerre que les racailles veulent ils vont l’avoir. Dans les années 80 il existait des ratonnades – au risque de choquer on peut recommencer” après le meurtre du jeune Thomas à Crépol. Son avocat étant malade, son affaire a été renvoyée au 14 novembre prochain.

D’ailleurs, Perla Danan se fera surprendre en train de prendre en photo les soutiens du prévenu pendant l’audience. La police la fera sortir de la salle pour lui demander de les supprimer. Elle s’est ensuite réinstallée pour suivre l’audience.

“Un discours politique”

C’est aux alentours de 16 heures qu’Abdel L. a été appelé à la barre, et que la présidente de séance a rappelé les faits qui lui étaient reprochés : “Le 4 novembre à Montpellier, lors d’une manifestation de soutien à la Palestine, vous avez pris la parole publiquement, et avez qualifié l’attaque du Hamas du 7 octobre “d’acte héroïque”, “d’acte de résistance”,de “réponse proportionné” et de “battement d’aile de papillon”. Une enquête a été ouverte par le préfet pour apologie du terrorisme après la diffusion d’une vidéo sur les réseaux sociaux, et vous vous êtes rendu spontanément au commissariat.”

Le prévenu, qui était depuis lors sous contrôle judiciaire avec interdiction de se rendre en manifestation de soutien à la Palestine, a assumé ses propos, et les a explicité devant le tribunal. “Le bout de vidéo a décontextualisé mon propos, qui se voulait plus large. C’est un discours politique, qui souligne la déroute de l’armée israélienne, la victoire militaire de la résistance palestinienne l’espoir que cela représente pour les palestiniens. Il faut comprendre le contexte Je parlais de la destruction d’un mur, construit illégalement et de façon contraire au droit international, dans lequel les palestiniens sont enfermés depuis des décennies. L’acte de résistance, c’est de s’être échappé de ce mur pour rentrer chez eux. Même les militants décoloniaux Israéliens disent que cette situation est une cocotte minute qui allait exploser.”

Un débat sur le mot terrorisme

C’est ensuite le terme de “terrorisme” qui a été débattu, Abdel le récusant face aux questions et relances du tribunal. “Si on veut condamner des morts de chaque côté, il faut parler de crimes de guerre, c’est un terme juridique.” Selon lui, le terrorisme est “un terme fourre-tout” qui impose un récit favorable à l’Etat d’Israël. et d’insister “Cela a été perçu par les palestiniens comme un acte de résistance. On ne peut pas parler du 7 octobre sans parler de la colonisation Israélienne. Oui, ces morts sont tragiques, mais qualifier la résistance palestinienne de terrorisme est une insulte. Qualifier quelque chose de terrorisme n’apporte pas de solution. Moi, je suis pour la paix, il faut appliquer le droit, définir ces morts juridiquement pour qu’il y ait des jugements, sinon ça va créer encore de la violence.”

Il a également argumenté a propos des accusations d’antisémtisme dont il a fait l’objet sur les réseaux sociaux après la diffusion de la vidéo de son intervention. “Je pense que ce jour-là, les gens qui m’écoutaient ont compris que je dénonçais l’instrumentalisation de la question juive à des fins politiques, j’ai même été applaudi.”

L’avocate de l’Organisation des Juifs d’Europe, constituée partie civile ,lui a ensuite demandé comment il qualifiait “le massacre de jeunes Israéliens qui écoutaient de la musique ce soir-là”. “Un mort est un mort, j’ai de la peine”, a répondu Abdel L.. Et l’avocate de reprendre : “Est-ce du terrorisme ?”, allant jusqu’à comparer cette scène aux attentats du Bataclan en 2015, provoquant des réactions choquées dans la salle. “Je ne sais pas pourquoi vous me demandez cela”, a simplement répondu le militant.

Autre association partie civile dans le dossier, le Bureau National de Vigilence contre l’antisémitisme (BNVCA), dont l’avocate a ensuite demandé quelle était l’habilitation d’Abdel L. à défendre les Palestiniens, en sachant qu’il n’était “ni dans un parti politique, ni un palestinien vivant sur place.” Réponse du prévenu : “Des blancs d’Afrique du Sud ont soutenu les noirs pendant l’apartheid, des français ont soutenu les algériens dans leur désir d’indépendance.” Il a également ajouté qu’il avait mené des missions humanitaires dans plusieurs pays, dont la Palestine.

“Pas habilité”

Devant les questions récurrentes des avocats des parties civiles pour savoir si il qualifiait l’acte du 7 octobre, Abdel L. a fini par répéter qu’il n’était “pas habilité” à répondre à ces questions, car il fallait répondre sur un plan juridique. C’est alors que le procureur, après avoir recadré les débats en précisant que “si chacun avait son avis sur la question, ce n’était pas une arène politique”, a alors rappelé la définition du terrorisme en droit français, en parlant “d’atteinte à l’intégrité d’autrui”.

Les plaidoiries des avocats des parties civiles se sont ensuite enchainées. Celui du Crif a rappelé que depuis le 7 octobre, les actes antisémites avaient augmentés de 1 000 % en France, et que “ces propos distillent la haine dans notre société en usant d’un sophisme qui fait passait un terroriste pour un résistant. Or, ce n’est pas l’objectif politique qui sépare le résistant du terroriste, mais l’objectif opérationnel”, a-t-il martelé. “Ce n’est pas un acte héroïque, c’est une abomination.”

Puis, rappelant la cérémonie nationale d’hommage aux français tués en Israël le 7 octobre qui a eu lieu le 7 février, il a cité Emmanuel Macron. “Le 7 octobre est le plus gros massacre antisémite de notre siècle” ,puis a évoqué pèle-mêle l’attentat de l’hypercasher et la mort de Samuel Paty. L’avocate de l’organisation juive européenne a parlé de “pogrom” et a comparé le 7 octobre aux “atrocités nazies”.

De son côté, l’avocate du BVNCA a dénoncé “une tribune politique devant le tribunal” et a rappelé “l’horreur de viols, de tortures, commises par le Hamas le 7 octobre”, en disant qu’Abdel niait ces massacres. “Quand vous allez manifester dans la rue et que vous prononcez ces paroles de justification de ces actes, vous transposez le conflit en France”, a-t-elle scandé. Elle a demandé 5 000 euros de préjudice et une publication de la décision de justice dans les journaux aux frais d’Abdel L.

Prison requise

Avant d’entamer ses réquisitions, devant la sensibilité du sujet, le procureur a tenu à rappeler qu’il ne tiendrait pas de discours politique. “J’ai mon opinion, mais je représente la nation entière.” Pour lui, le caractère d’apologie du terrorisme des propos d’Abdel L. est caractérisé. Il a donc requis douze mois d’emprisonnement avec un sursis probatoire intégral et un stage de citoyenneté à effectuer.

“Au 24 janvier, il y avait 25 700 palestiniens morts et 63 000 blessés” ont précisé les avocates de la défenses avant d’entamer leur plaidoiries, en parlant de “génocide”. Citant plusieurs arrêts, elles ont tenté de démontré que la parole de leur client était politique et qu’elle s’inscrivait dans le cadre de la liberté d’expression. “Il n’est pas dans le déni des crimes, il parle de paix et de lutte contre l’antisémitisme, et il soutient tous les peuples en lutte”, ont-elle argué. “L’apologie du terrorisme, dans ce cas, n’est que de l’interprétation, on ne peut pas condamner quelqu’un sous le coup d’une émotion nationale.” Elles ont également plaidé que la constitution des parties civiles étaient infondée, tout en soulignant le fait qu’elles “tentaient d’instrumentaliser le dossier.” On lui a demandé si il était habilité à militer en faveur de la Palestine. Moi je suis blanche et d’origine chrétienne, je n’ai donc pas le droit d’être contre le racisme ?”, a lancé une de ses avocates. Elles ont demandé la relaxe.

Le délibéré aura lieu le 21 février à 14 heures.

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