Au Quartier généreux avec Le Poing, “réforme ou révolution” vont en débat

Le Poing Publié le 14 octobre 2024 à 18:52 (mis à jour le 15 octobre 2024 à 09:10)
Une cinquantaine de personnes ont participé au débat organisé par Le Poing au Quartier généreux le 12 octobre 2024.

Votre média indépendant Le Poing vient d’ouvrir un cycle de débats publics. Un premier rendez-vous a vu se confronter les points de vue sur la question : “Nouveau Front populaire, l’énième illusion électorale ?”

À Montpellier, le bar-local associatif Quartier généreux aura été, en juin et juillet 2024, un quartier général pour les activistes du vote en faveur du Nouveau Front populaire, contre le Rassemblement national (RN). Généralement, ce lieu est particulièrement fréquenté par une mouvance sensible aux thèses de La France insoumise, versant jeunes ; mouvance qui fut également marquée par la campagne “Nous sommes” aux dernières élections municipales.

Alenka Doulain en est aujourd’hui l’une des élues, rare figure active de l’opposition de gauche à Michaël Delafosse. Ce samedi 12 octobre 2024, elle avait pris place sur l’estrade du Quartier généreux, pour une soirée de débat à l’initiative du média indépendant Le Poing. Autres intervenant.es à son côté : Julia Mignacca, porte-parole montpelliéraine d’Europe-Écologie-Les-Verts devenu “Les Écologistes” (dans le courant d’opposition à Michaël Delafosse), et Matthieu Gallandier, militant libertaire, notamment co-auteur de l’ouvrage Temps obscurs – Nationalisme et extrême-droite en France et en Europe (aux éditions Acratie).

Depuis dix ans qu’il existe, Le Poing a pris l’option de répercuter les luttes sociales. Il s’est tenu à l’écart de l’arène de la politique politicienne et de ses joutes électorales. Cela en conformité avec son option politique, qui privilégie radicalement le mouvement social, au détriment des jeux de la représentation institutionnelle.

Or Le Poing vient de décider d’ouvrir ses colonnes à l’observation du fonctionnement des assemblées politiciennes locales, et des batailles pour y conquérir des places. Là, Jules Panetier, responsable de publication et animateur du débat, avertit aussi sec : « Jamais nous ne donnerons de consigne de vote en faveur de telle ou telle liste, ou de tel ou tel candidat ». Puis : « Toujours nous resterons en position de contre-pouvoir face à n’importe quel pouvoir en place issu des urnes ».

Reste qu’Alenka Doulain ou Julia Mignacca font partie des interlocuteur·ices avec lesquel·les il est envisageable de dialoguer. Sachant que, « en lançant ces débats réguliers, Le Poing tire le constat de l’état sinistré de la presse à Montpellier, alors qu’existe un besoin d’échanges et de confrontation des idées. On se souvient des Gilets jaunes, où il y avait énormément à parler. Ou de la lutte contre la réforme des retraites, où se posaient des tas de questions sur les stratégies à mettre en œuvre pour gagner » indique encore Jules.

Le débat de samedi ne portait donc pas sur les municipales de 2026, même si beaucoup ne pensent qu’à ça lorsqu’ils croisent l’élue MUPES (Alenka Doulain, pour Montpellier Union Populaire écologique et sociale), ou la porte-parole locale des verts, Julia Mignacca. Le sujet allait beaucoup plus au fond : peut-on, ou pas, privilégier la voie électorale pour en finir avec le capitalisme, et faire barrage, pour commencer, à la fascisation en cours ? En d’autres temps, on l’aurait dit comme ça : réforme ou révolution.

Sur l’estrade, Matthieu Gallandier était là pour promouvoir les thèses révolutionnaires libertaires. Et dans la salle, très pleine, bon nombre d’intervenants se sont relayés dans ce sens. Outre le fait qu’il se soit agi d’hommes exclusivement, il faut reconnaître que, de ce côté-là, l’exercice a parfois eu les allures d’une répétition de certitudes, au risque qu’en émane un parfum groupusculaire, dont on ne voudrait pas qu’il traduise une forme d’impuissance.

Cette remarque n’enlève strictement rien au sérieux de cette option. À défaut de citer mot à mot, on va rapporter en substance, et en recoupant plusieurs de ces interventions : « C’est déjà une faute, une erreur politique, de se focaliser sur le seul risque d’accès de l’extrême-droite au pouvoir à la faveur d’une échéance électorale. C’est s’aveugler sur le fait que la fascisation est en cours. On voit comment une droite au pouvoir se radicalise et devient hyper-violente pour défendre le maintien des intérêts de la bourgeoisie ».

Par ailleurs, « le renvoi aux échéances électorales conduit à affaiblir la motivation pour la mobilisation dans les luttes. Puis, une fois conquis une part de pouvoir dans les institutions en place, cela se traduit par une pacification, un étouffement de la puissance des luttes ». Puisqu’on parlait de Nouveau Front populaire, il y eut un rappel historique de ce que fut celui de 1936 : « Ses grands acquis sociaux ont été arrachés par la grève générale dans les usines, non par l’application d’un programme électoral. Politiquement, le Front populaire fut une révolution manquée. On l’a vu commettre la faute irréparable d’abandonner les Républicains espagnols massacrés par le fascisme. Et au final, tout s’est soldé par le vote de bon nombre de ses députés en faveur des pleins pouvoirs au maréchal Pétain (mettant en place son régime fasciste de collaboration avec l’occupant nazi) ».

Rappel plus récent : « En Grèce, on a vu la gauche dite radicale, de Syriza, impuissante à résister quand la bourgeoisie internationale lui a intimé l’ordre de rentrer dans le rang ». Rappel théorique plus fondamental : « La question n’est pas que celle de la prise du pouvoir. La question est celle des racines de l’oppression capitaliste, c’est-à-dire l’extraction de la valeur et l’exploitation des travailleurs. Ne s’inquiéter que des abus de la finance, c’est se contenter d’un anticapitalisme tronqué ». Mais qu’en est-il de la puissance réelle du mouvement révolutionnaire ? Réponse : « La puissance révolutionnaire ne s’est jamais confondue avec celle des groupuscules révolutionnaires. La puissance révolutionnaire est celle des soulèvements populaires. On n’en a pas été loin en France récemment, avec les Gilets jaunes ».

La parole d’en face, pro-vote, partagée entre l’élue MUPES et la porte-parole écologiste, en appelle à une complémentarité stratégique entre le mouvement social et sa traduction institutionnelle : « L’État de droit est aussi ce qui garantit l’égalité de tous les citoyens, et qui rejette l’option de la guerre civile. C’est la loi qui inscrit des droits, comme par exemple la couverture santé pour tous, ou l’avortement. Il n’y a pas de petite victoire. On a besoin de victoires pour relever la tête. On a besoin des luttes sociales et aussi des acquis dans la loi. Le Nouveau Front populaitre a réveillé un espoir. Il a constitué un moment de réassurance, qui a redonné confiance dans l’action collective. Il y en a besoin, à côté des alternatives plus radicales ».

Dans sa position d’élue, Alenka Doulain martèle que « tout siège gagné pour notre camp est un siège en moins pour nos adversaires », ce qui justifierait après coup l’incroyable alliance avec le milliardaire Altrad. L’objectif étant, sur le terrain montpelliérain, de combattre l’influence du RN alors même que « le maire de la septième ville de France stigmatise régulièrement une partie de la population et contribue à la diffusion des thèmes de l’extrême-droite ». L’enjeu est pour elle de redonner « un vrai sens politique à des enjeux locaux, sur le terrain ». Exemple : imposer le maintien d’un service public de la petite enfance, sans délégation aux systèmes privés. Ou encore, instaurer une régie publique de récupération agricole des nombreuses terres en jachères, de manière à garantir l’autonomie alimentaire, des cantines publiques pour commencer.

Ce pragmatisme de proximité gestionnaire, cette capacité à « faire de la politique qui s’adresse à nos voisins » se soucie donc peu de répondre aux enjeux théoriques de fond du débat posé. On a remarqué comment, dans la salle tendance LFI, comme à la tribune, un gros souci s’est manifesté contre l’influence néfaste du Parti socialiste (PS) au sein du NFP. Unanimité sur ce point. Sauf que large place est faite au PS, sans qu’on se l’explique bien.

Si un doute planait, un communiqué de la MUPES, publié à l’issue du débat, est venu le balayer. Ce communiqué salue le succès et la qualité de ce débat. Mais cela en le travestissant du tout au tout : pas une fois n’y apparaissent les mots de “libertaire”, ou de “révolutionnaire”, qui n’ont pourtant cessé d’être mis en discussion. Seule semble importer une magnifique convergence constatée entre l’élue MUPES et la porte-parole verte. Il n’est pas plus mentionné qu’il s’agissait d’une initiative du Poing. Et grosso modo, c’était comme un petit meeting de mise en jambes en vue de la seule perspective électorale. CQFD.

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