La chronique littéraire d’Eugène : “Où va le bloc bourgeois ?” de Bruno Amable et Stephano Palombardini

Le Poing Publié le 18 novembre 2024 à 10:08
Emmanuel Macron, Marine Lepen et Bruno Retailleau caricaturés par Jerc.

Bruno Amable et Stephano Palombardini,ont publié en 2022 trois entretiens aux éditions La Dispute (« Où va le bloc bourgeois ? ») dans lequel ils élaborent différents scénarios politiques pour le second quinquennat de Macron. Ce livre, prophétique et brûlant d’actualité, est un prolongement de « L’illusion du bloc bourgeois » paru en 2017

En juin, Macron vendait sa dissolution comme un accélérateur de « clarification » politique. Trois mois plus tard, il l’a réalisée en refusant de nommer une personnalité de gauche à Matignon, lui préférant un élu LR adoubé par l’extrême droite. C’est une caricature du « bloc bourgeois », alliance entre le macronisme, le conservatisme et le fascisme.

Bruno Amable et Stephano Palombardini,ont publié en 2022 trois entretiens aux éditions La Dispute (« Où va le bloc bourgeois ? ») dans lequel ils élaborent différents scénarios politiques pour le second quinquennat de Macron. Ce livre, prophétique et brûlant d’actualité, est un prolongement de « L’illusion du bloc bourgeois » paru en 2017.

Le macronisme se définit par un déferlement autoritaire de mesures brutales depuis 2017 (répression des Gilets Jaunes, gestion de la pandémie, imposition de contre-réformes antisociales…). Le contexte de cet ouvrage est né alors que Emmanuel Macron était, avant même la Présidentielle de 2022, annoncé vainqueur par tous les médias et les instituts de sondage.

9 mars 2022 : du progressisme libéral au néolibéralisme autoritaire 

Influences et constructions théoriques 

Les auteurs, Amable et Palombarini, sont convaincus que les institutions sont le produit de compromis politiques. Les institutions sont le produit des conflits sociaux et permettent cependant de les neutraliser. Certains groupes sociaux avaient intérêt en 2017 de remettre en cause les compromis institutionnels passés quitte à créer une crise.

Si le PS assume depuis 1983 ouvertement les réformes néolibérales, la droite traditionnelle (RPR puis UMP) ont souvent freiné ces réformes pour préserver une composante populaire du bloc de droite. Delors (PS), Balladur (RPR) et Bayrou (Modem) ont tenté de dépasser les divisions pour former un « bloc bourgeois », mais trop précocement.

Il leur manquait un « bloc social » (A.Lipietz), c’est-à-dire un système stable de rapports de domination, d’alliances et de concessions entre différents groupes sociaux (dominants et subordonnés) capable d’imposer son dispositif comme conforme à l’intérêt de la nation toute entière. Un bloc bourgeois capable d’imposer son hégémonie culturelle et idéologique.

Bloc bourgeois et voie française au néolibéralisme 

Le bloc bourgeois a su avec Macron en 2017 agréger un nouveau bloc à vocation de domination afin de mettre en place la transformation néolibérale du pays. Ce groupe repose sur les groupes sociaux les plus aisés : les classes moyennes et hautes du PS et les professions libérales et les cadres supérieurs du RPR/UMP.

Constatant les inepties du libéralisme classique (le « laisser faire »), ce bloc bourgeois attend à l’inverse faire de l’État un serviteur du capitalisme. Il faut s’attaquer à la protection sociale, aux services publics et au droit du travail et favoriser à l’inverse le secteur privé et les marchés financiers. C’est cette fameuse obsession néolibérale de modernisation de la France !

Ces adeptes vont ainsi progressivement pénétrer, dès les années 1970, la sphère administrative et la sphère politique afin de repenser les institutions. Il faut en finir avec la lutte des classes qui doit être remplacée par le « dialogue social », intervenir pour favoriser le marché et la concurrence, seuls capables de corriger les problèmes économiques.

Pour cela, il faut se débarrasser de ce bloc populaire de droite (indépendants, paysans, petits commerçants) hostile au « modernisme ». Il faut également mettre de côté ce prolétariat de gauche qui croit encore à la lutte des classes. Delors puis Rocard vont ainsi patiemment faire infuser les mécanismes du marché dans la société des années 1980.

Aux réformes suscitant le plus de résistances (celles touchant aux conditions de vie des Français), on préfère sournoisement contaminer nos existences avec des principes comme ceux de la responsabilité individuelle, du risque, de récompense du mérite personnel…Cela produit une transformation graduelle et progressive destinée à contourner les mouvements sociaux (années 90).

Macron a réussi à poursuivre et à intensifier cette voie avec un nouveau bloc social et de nouvelles forces politiques. Minoritaire numériquement, ce nouveau bloc bourgeois entend passer en force les dernières réformes brutales concernant les retraites, le code du travail, la protection sociale et l’assurance chômage.

Face aux inévitables résistances que ces réformes vont susciter, Macron sait qu’il faut être rapide. Il va réussir à séduire une partie des classes populaires avec la doctrine de la récompense du mérite individuel. S’attaquer aux « cas soc’ » assistés ou aux fonctionnaires « privilégiés », c’est récompenser tout le monde selon ses mérites et une concurrence loyale.

Rapide, Macron est aussi autoritaire en réprimant dans le sang et les larmes les résistance au néolibéralisme. Cependant, les classes moyennes et populaires exclues de ce nouvel ordre bourgeois peinent à mettre en place des stratégies alternatives et sont profondément fragmentées idéologiquement et porteuses d’intérêts hétérogènes.

Présidentielles 2022 : hypothèses

Depuis 2017, le bloc bourgeois de Macron s’est largement droitisé. Macron et Le Pen se ruent sur l’électorat conservateur (LR), ce qui explique certaines convergences macro-lepenistes. Macron dispose néanmoins d’une « aile gauche » héritée du PS, libérale et pro-européenne. A lui d’essayer de la conserver malgré ses tendances droitières et autoritaires.

En effet, Macron viole depuis 2017 l’État de droit pour passer en force ses réformes antisociales et réprimer les nombreuses contestations populaires. Il joue également sur le sentiment d’insécurité ; le besoin de protection, qui n’arrive plus à se traduire dans la demande d’un changement de politique économique et sociale, s’exprime autrement (contre l’islam, l’immigration…).

Amable et Palombardini prophétise 70 % de vote à droite pour la Présidentielle de 2022. Une politique de gauche de rupture semble impossible comme une autre trajectoire institutionnelle que cette Ve République autoritaire. Pour construire une perspective de rupture avec l’hégémonie néolibérale autoritaire, il faut une alternative concrète, praticable et chiffrée.

Deuxième entretien, la victoire d’un bloc bourgeois vieilli et droitisé, 9 mai 2022 

Macron devient à nouveau président en 2022 grâce à un électorat de droite et retraités (43 % des électeurs de Macron pour ces derniers!). Il perd une grosse partie des catégories populaires qui avaient voté pour lui en 2017 mais gagne à l’inverse les petits commerçants et entrepreneurs arrosés par le « quoi qu’il en coûte » durant la pandémie.

Macron garde aussi cette « aile gauche » héritée du PS de Valls. Progressistes sur le plan des droits individuels et des libertés publiques, ces électeurs font néanmoins primer leurs obsessions néolibérales et pro-européennes. Macron représentait une sorte de vote utile « de gauche » (!) face aux « populismes » de Mélenchon et de Le Pen.

La faillite de la social-démocratie (de compromis entre la bourgeoisie « de gauche » et les classes populaires) et le triomphe du néolibéralisme explique à l’opposé le renforcement d’une gauche de rupture comme la montée de l’extrême droite. L’espace de compromis se réduit et les attentes se radicalisent dans les trois blocs, bourgeois, de gauche et fasciste.

Reconfigurations à droite 

La droite conservatrice a été dynamitée par Macron (échecs de Zemmour et Précresse). Seul le bloc fasciste continue sa progression avec l’appui des catégories populaires en souffrance. Si les bases électorales de Le Pen et Macron sont aux antipodes, leurs programmes se retrouvent néanmoins dans ce néolibéralisme autoritaire.

Le RN, malgré un programme économique néolibéral, séduit en effet un large pan des classes populaires avec son image usurpée « anti-système », sa stratégie simpliste du bouc-émissaire (fonctionnaires, « cas soc’ », immigrés) et sa promesse de la préférence nationale. Le RN divise ainsi les classes populaires sur des bases ethniques et religieuses.

Le RN comme LFI sont aujourd’hui en compétition pour déterminer qui est le véritable opposant au bloc bourgeois. La gauche de rupture dispose elle aussi d’un socle social solide (dans les grandes villes). Cela explique que Mélenchon soit « l’homme à abattre » pour Macron, Le Pen et les médias maintream. Macronistes et Lepénistes sont prêts à s’entendre pour isoler la gauche de rupture.

La gauche de rupture attire à nouveau à elle des catégories traditionnellement abstentionnistes comme les jeunes, les habitants des banlieues et les salariés modestes du privé. Les classes populaires tentées par le RN (que Ruffin tente de convertir en vain) ne sont plus à gauche. La gauche bourgeoise est restée chez Macron. Le bloc de gauche change donc de visage…

Troisième entretien. Et maintenant ? 26 juin 2022 

Au lendemain des élections législatives de 2022, le bloc bourgeois comprend qu’il est trop minoritaire pour s’affirmer durablement face au bloc de gauche (NUPES) et au bloc fasciste. Ces derniers blocs peuvent temporairement se coaliser pour abroger une réforme macroniste comme celle des retraites.

La chance du bloc bourgeois est qu’il peut compter sur une partie des députés LR. Le RN veut également apparaître comme un « parti sérieux » capable de gouverner. La probabilité d’un gouvernement fasciste devient possible, Macron ayant crée un boulevard pour l’extrême-droite et les électeurs « castor » à gauche disparaissent peu à peu.

Les abstentionnistes sont de plus en plus nombreux aux législatives, notamment chez les jeunes et les classes populaires. Ces élections n’attirent pas les foules ce qui montre que la Ve République est vue comme une monarchie élective dans laquelle la verticalité du pouvoir permet de neutraliser le pouvoir législatif afin de continuer à mettre en place brutalement les politiques néolibérales.

Les abstentionnistes favorisent clairement le bloc bourgeois et le bloc fasciste. Les jeunes et précaires sont convaincus que les députés n’ont aucun pouvoir voir qu’ils sont tous complices du système. Néanmoins, la gauche s’est rassemblée sur un programme de rupture et semble progresser fortement (en témoignent les élections législatives anticipées de 2024).

Plus qu’une simple combine électorale, la NUPES (devenue le Nouveau Front Populaire en juin 2024) a réussi à dépasser (parfois péniblement) les appareils existants. Grâce à la pression des mouvements sociaux (syndicats, collectifs, militants de la base et intellectuels), le bloc de gauche a pu grandir et devenir un mouvement politique malgré les divisions et rivalités.

Les auteurs semblent avoir bien prédit l’évolution droitière actuelle. Depuis juillet 2024, on voit bien que le bloc bourgeois macroniste ne tient qu’en ralliant à lui le parti LR, avec la bénédiction sournoise du RN. En effet, il existe entre ces trois partis un élément unificateur, la politique néolibérale et sécuritaire.

Macron va ainsi pouvoir continuer à faire passer, malgré son échec électoral de 2024, des lois répressives, des baisses d’impôts et des attaques brutales contre le service public. RN, LR et Macronie ont l’objectif commun immédiat de se légitimer réciproquement en disqualifiant la gauche de rupture incarnée à l’Assemblée par le Nouveau Front Populaire (dominé par LFI).

La gauche de rupture doit ainsi absolument se refonder et s’affirmer autour d’un programme commun de rupture avec le néolibéralisme autoritaire. La gauche de rupture doit profiter de la protestation sociale (qui s’intensifie en cette fin d’année 2024) en étant présente à tous les endroits où la colère sociale s’exprime.

En effet, le macronisme n’a plus les moyens « d’adoucir » les conséquences sociales de ses horribles réformes. Le temps du « quoi qu’il en coûte » est bien fini avec le gouvernement Barnier qui entend bien continuer les contre-réformes antisociales avec des mesures d’austérité. Le risque de l’étincelle est immense ! Les forces de gauche doivent en profiter…

Nos articles sont gratuits car nous pensons que la presse indépendante doit être accessible à toutes et tous. Pourtant, produire une information engagée et de qualité nécessite du temps et de l’argent, surtout quand on refuse d’être aux ordres de Bolloré et de ses amis… Pourvu que ça dure ! Ça tombe bien, ça ne tient qu’à vous :


ARTICLE SUIVANT :

Cette semaine dans l'Hérault : mobilisations féministes, agriculteurs en colère, festival Technopolice