En mairie de Montpellier, peut-on imaginer des perquisitions sans causes ?

Le Poing Publié le 22 novembre 2024 à 18:13
Mairie de Montpellier (photo de Mathieu Le Coz/Hans Lucas)

Michaël Delafosse vient de décrocher les unes des medias d’une façon peu enviable : la Brigade financière du SRPJ a perquisitionné en mairie, à propos d’un nombre impressionnant d’emplois douteux et de questions entourant la rémunération de son ex directeur de cabinet

Le procureur l’a indiqué à un journaliste montpélliérain : « J’ai fait le choix de ne pas communiquer sur ce dossier tant qu’il est en phase d’enquête » (*). Cette précaution vise sans doute à protéger l’institution judiciaire d’une submersion dans les remous politico-médiatiques provoqués par l’ouverture de deux enquêtes préliminaires touchant à des soupçons d’emplois fictifs et de détournements de fonds dans la gestion du personnel en mairie de Montpellier.

Des perquisitions en ont découlé, le jeudi 14 novembre, par la Brigade financière du SRPJ, avec retour sur les lieux dans les jours suivants. Impact spectaculaire maximum, médiatique bien entendu, jusque dans la presse nationale. Au regard de quoi, l’absence d’informations parfaitement fiables amplifie en proportions inverse la sensation de doute et le besoin d’éclaircissement. L’opposition municipale attaque sous cet angle. Et le maire contre-attaque, catégorique : « Parler d’emploi fictif sous mon mandat est diffamatoire. »

L’affaire découle du rapport publié par la Cour régionale des comptes en juin 2023, analysant la gestion du personnel municipal montpelliérain. Ce rapport couvre la période 2015-2021, alors que Philippe Saurel était maire de Montpellier (à l’exception de la dernière de ces années, où Michaël Delafosse le remplace). La Cour des comptes pointe alors le nombre astronomique de 297 agents rémunérés, mais sans affectation ; payés à ne rien faire. Soit une perte annuelle de 10 millions d’euros.

La Cour précise qu’elle n’a aucune habilitation judiciaire. Elle se borne à relever une anomalie, sans incrimination d’emploi fictif, supposant une intentionnalité délictuelle. Ce n’est pas de son ressort que de l’établir. A la Justice de trancher cela. Et à la police d’enquêter, pour commencer. On en est là.

Ladite anomalie paraît néanmoins spectaculaire, quand on se souvient que Philippe Saurel avait fait grand bruit, lorsque, lui-même maire, avait annoncé la découverte, en son temps, de trente emplois « fantômes » en mairie de Montpellier. Dix fois moins. Ces chiffres viennent percuter le dossier par ailleurs lancinant d’un taux d’absentéisme exceptionnel en mairie de Montpellier, coûtant 33 millions d’euros annuels.

Enfin, les enquêtes à présent ouvertes se complètent d’un examen du mode de rémunération de l’ex-directeur de cabinet du maire actuel, touchant un complément de revenus au niveau de 15 %, en provenance du CCAS, organisme satellite de la ville, spécifiquement voué à l’action sociale, sans que le rapport paraisse bien évident… Sa rémunération à partir de la mutualisation de la Ville et de la Métropole aurait été insuffisante. C’est là que surviennent les doutes en matière de détournements de fonds que le SRPJ a mandat d’établir – ou pas.

Les diverses composantes de l’opposition dénoncent une obscurité régnant dans tous ces fonctionnements. Il est rappelé aussi que la Chambre régionale des comptes avait pointé une forte augmentation des dépenses de personnel en début de mandat de Michaël Delafosse, et un effectif de cabinet alors porté à 220 agents rattachés. Le cabinet réunit les collaborateurs les plus directs d’un élu, orchestrant pleinement l’orientation politique qu’il donne à son action (cela très différemment des directions et services purement techniques).

Parmi les voix d’opposition, Alenka Doulain a réitéré une demande qui n’est pas nouvelle : que soit portée à la connaissance publique « un organigramme clair détaillant les fonctions et rémunérations des membres » de ce cabinet. L’absence de clarté sur une multitude de données concernant la gestion du personnel (et non le seul cabinet) revient avec insistance dans la bouche de Dominique Mendez, responsable du syndicat Force Ouvrière des agents communaux : « La direction des ressources humaines est dans l’incapacité de nous fournir des chiffres clairs, car eux-mêmes ne savent pas où ils campent » a-t-elle déclaré en interview sur la Web-Télé de l’Hebdo L’Agglorieuse (le 19 novembre).

Se gardant d’entrer directement sur le terrain politique, qui n’est pas dans les vocations premières d’une organisation syndicale de défense des personnels, elle a tout de même exprimé quelques explications sur les fameux emplois rémunérés sans affectations. La syndicaliste suggère que certains postes, dans « certains quartiers » et parmi « certaines communautés » auraient des finalités qui ne relèvent pas des cadres conventionnels du service public communal. Elle ne s’y attarde guère, considérant que cela a toujours existé, sans rien de spécifiquement montpelliérain, en tout bon héritage clientéliste.

Elle dénonce beaucoup plus vigoureusement, en revanche, l’existence d’agents « placardisés », comme tombés en disgrâce, privés de mission alors qu’ils ne demanderaient qu’à s’activer. Elle parle là de « maltraitance ». Et elle se scandalise que les nouvelles dispositions contre l’absentéisme se soldent par le fait que « des agents dûment en arrêt maladie soient financièrement sanctionnés, pendant que d’autres, empêchés à temps plein de travailler, touchent une rémunération intégrale ».

Et de pointer d’autres anomalies, telle l’octroi d’indemnités de résidence de plus de 700 euros mensuels à tel haut cadre bénéficiant pourtant d’un logement de fonction. Il en irait aussi d’un recours aux heures supplémentaires comme variable d’ajustement de rémunération de certaines missions particulières, quand beaucoup d’agents très demandeurs de pouvoir en effectuer, par nécessité, se les voient refuser.

Ces points (parmi d’autres), complètent, en contredisant en partie, ceux apportés dans un communiqué par le maire de Montpellier, après six jours de mutisme. Son propre argumentaire a consisté à souligner que l’essentiel des remarques négatives publiées par la Cour régionale des comptes en juin 2023 touchent à la période antérieure à son élection. De sorte qu’il explique n’avoir eu de cesse, par la suite, de corriger toutes ces erreurs, en appliquant la presque totalité des recommandations formulées par cet organisme de contrôle.

Il explique aussi que la crise sanitaire s’est liée à la politique de mutualisation des services de la Ville et de ceux de la Métropole, accompagnant son arrivée aux affaires, pour expliquer le nombre exceptionnel de 297 agents représentant la totalité des situations « nécessitant un accompagnement individuel » dans ce contexte bien particulier. Selon le décompte qu’il fournit, ne resteraient que 23 agents aujourd’hui en arrêt maladie, et 27 « dans une situation encore complexe », toujours à solutionner.

Reste qu’on n’imagine pas bien ce que la situation montpelliéraine aurait de si différent d’autres communes analogues où semblables « anomalies » ne sont pas constatées. Et on n’a pas tendance à confondre les initiatives et modalités d’intervention de la Brigade financière du SRPJ avec une folle intervention incontrôlée, façon équipe de la BAC en roue libre. L’impact politique du déclenchement de ces enquêtes préliminaires paraît d’ores et déjà dévastateur.

(*) Propos rapporté dans la Gazette de Montpellier le 22 novembre 2024. Laquelle n’aura pas dérogé à sa ligne de grande fidélité à tout pouvoir en place recoupant ses intérêts, en réduisant son traitement de l’affaire à sa rubrique d’échos, et en ramenant à de purs « fantasmes » les doutes qu’elle soulève.

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