Lutte contre la « cabanisation » : chasse aux pauvres en milieu rural

Jules Panetier Publié le 18 décembre 2024 à 19:02
Photo publiée sur la page Facebook du préfet de l'Hérault, pour illustrer des destructions de constructions illégales les 24 et 25 juillet sur les communes de Loupian et Bessan

L’Hérault est l’un des départements les plus virulents sur la lutte contre la « cabanisation ». Dès 2008, le Préfet, le Procureur général et 19 communes volontaires signaient une charte pour renforcer leur pouvoir contre les constructions illégales, c’est-à-dire réalisées sans autorisation d’urbanisme. La charte rassemble aujourd’hui 62 municipalités et les autorités revendiquent, pour l’année 2023, avoir dressé 580 procès-verbaux d’infraction à l’urbanisme, avec 662 316 € d’astreintes pénales émises. Pour comprendre les dessous de cette répression urbanistique, Le Poing a causé avec Camille (prénom modifié), de l’association Halem (Habitant⋅es de Logements Éphémères ou Mobiles).

Article initialement paru dans le journal papier numéro 42 du Poing, sur le thème “LGBT, services publics, vote RN : les campagnes montent au front”, publié en septembre 2024 et toujours disponible sur notre boutique en ligne

Le Poing : Comment s’est fondé l’association des Habitant⋅es de Logements Éphémères ou Mobiles ?

Camille : L’association est née en 2005 à La Ferté-Alais, dans l’Essone, dans un camping dans lequel vivait deux cents personnes à l’année, dont beaucoup de travailleurs.euses pauvres. La mairie nous avait coupé l’eau et l’électricité en plein hiver. Un gars qui était arrivé avec son bus impérial a dit à tout le monde : « Ben, écoutez, on va à la mairie », et l’eau et l’électricité ont été rétablis. Ce gars-là, c’était Joe Sacco, le fondateur d’Halem, décédé depuis. Il organisait souvent des fêtes dans le camping, et parmi les invités, il y avait François Lacroix, alors directeur de l’association des gens du voyage. Et c’est là qu’une réflexion plus large est partie sur les discriminations contre celles et ceux qui n’ont pas un mode d’habitat classique. Joe a pris son bus, il a fait un tour de France pour rencontré des lieux et des collectifs et en 2008, lors d’une rencontre à Saint-Jean-du-Gard, on s’est vu confier l’animation des réseaux de l’habitat choisi.

Est-ce toujours un habitat choisi ?

Il y a eu un gros débat pour savoir s’il fallait parler d’habitat choisi ou subi parce que même quand c’est choisi, tu subis énormément de contraintes. Et tout le monde ne choisit pas. La vie des gens du voyage est régie, entres autres, par le « schéma départemental pour l’accueil et pour l’habitat des gens du voyage », renouvelé tous les six ans. Les « aires d’accueil », ce sont des ghettos, éloignés des services publics et à côté des voies ferrées, autoroutes, déchetteries, incinérateurs, cimenteries… C’est de la discrimination spatiale.

Quels sont les différents types d’habitat que vous regroupez ?

On fait le lien entre toutes les formes d’habitats éphémères, démontables, mobiles, transportables, compostables : camping-car, mobile home, yourte, caravane, tiny house… De l’habitat traditionnel à ceux qui sont inspirés par le système D, mais qui constituent de vrais logements pour les personnes qu’ils abritent.

On en est où de la législation sur les habitats légers ?

On pourrait remonter à la circulaire de 1980 qui interdit d’habiter de façon permanente dans des espaces de loisirs… En 2005, une loi réduit les possibilités de construire sans autorisation d’urbanisme de vingt à cinq mètres carrés. On parle souvent de la loi Alur de 2014, qui autorise les maires à accorder des dérogations pour des habitats légers en résidence principale sur les terrains non constructibles, mais rien n’est fait pour l’appliquer. Les gens peuvent faire une demande Stecal [Secteur de taille et de capacité d’accueil limitées, où sont exceptionnellement autorisés des constructions en zone agricole et naturelle, ndlr], mais le projet doit passer devant la CDPENAF [Commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestier], face aux chasseurs, aux notaires, aux propriétaires terriens, à la FNSEA [syndicat agricole dominant]… Pour eux, les yourtes, c’est un truc de zadiste, et même quand il y a un vrai projet agricole, ils n’y croient pas. Ils sont vraiment sectaires, c’est horrible. Même si parfois, il y a des syndicalistes de la Confédération paysanne avec qui on peut parler. Les dossiers sont refusés parce qu’ils ne sont pas raccordés aux réseaux, alors que la loi Alur précise que ce n’est pas obligatoire si l’installation est autonome…

Comment vous agissez sur le terrain ?

On fait de l’aïkido juridique, de l’accès au droit, des cagnottes de soutien, des fiches techniques, de l’assistance juridique aux procès, des formations pour savoir comment fonctionne l’Etat, etc. On pousse à la médiation face aux autorités, on insiste surtout sur les arguments sociétaux. A l’heure de la décarbonation et de la loi « zéro artificialisation nette des sols » à l’horizon 2050, on ne peut pas se passer d’une réflexion sur l’habitat léger. Aujourd’hui, Halem, c’est 800 adhérent.es et une vingtaine de membres actifs.ves au national pour coordonner les comités locaux, organiser les assemblées générales, faire émerger des stratégies judiciaires, etc.

Quel est le niveau de répression contre les habitats légers ?

Ça commence par une visite de conformité, voire directement un procès-verbal, et ça peut aller jusqu’à la destruction de l’habitat. Ce qui est vraiment horrible, ce sont les astreintes à payer chaque jour une amende, qui peut monter à plusieurs centaines d’euros, tant que l’installation n’est pas démontée. Ça pousse à la marginalisation, certains en reviennent à se dire « tant pis, je n’aurai pas de compte en banque ». Face aux prix de l’immobilier et aux locations de yourtes à 600 euros le weekend, la société ne supporte pas que des gens puissent vivre en pleine nature pour pas trop cher.

Comment le terme de « lutte contre la cabanisation » s’est imposé chez les autorités ?

En 2006, le Préfet des Pyrénées-Orientales s’est lancé dans la lutte contre la « cabanisation » en dressant des procès-verbaux à tout-va, d’abord pour « nettoyer le littoral », puis finalement pour tout le coin. L’intensité de la répression dépend des territoires. Dans l’Hérault la charte de lutte contre la cabanisation date de 2008, alors que la plupart des départements n’en ont pas, même si ça se généralise. Ca peut s’expliquer parce que c’est un coin très prisé, avec un urbanisme galopant qui pousse les gens à se poser à la campagne.

Qu’est-ce que vous répondez aux autorités qui refusent des constructions au nom du risque d’incendie ?

Tous les cas que j’ai connu d’incendies de yourte était d’origine criminelle. Et les élu.es locaux qui entretiennent parfois des discours odieux sur celles et ceux qui habitent en habitant léger ont leur part de responsabilité. Quand tu habites dans la forêt, tu n’as pas envie de la cramer, tu peux entretenir les chemins d’accès pour les pompiers, prévenir les départs d’incendie.

Brève : Aigle, l’intelligence artificielle au service de la délation contre la cabanisation

« On entend dire, on dit, il y a de plus en plus de cabanisation, il y en a partout… Mais combien ? Où exactement ? Des caravanes ? Des maisons ? Combien en zone inondable ? À côté des rivières ? En fait on ne le sait pas vraiment. On en connaît par la délation, le repérage au hasard en cheminant en voiture et en regardant des heures sur Google maps. Et ne pas avoir de vision globale, ça c’est un problème. Pour lutter efficacement, il faut connaître son ennemi » Cet extrait issu du site du gouvernemental beta.gouv.fr/startups/aigle vante l’autonomisation de la délation grâce à l’outil « Aigle », développé depuis 2018 par la Direction départementale des territoires et de la mer de l’Hérault, en partenariat avec le cabinet de conseil « écoresponsable » SiaPartners. L’idée est de repérer les constructions illégales sur les cartes de l’Institut géographique national via l’intelligence artificielle. Hind Emad, élue déléguée au développement économique et numérique à la Métropole de Montpellier, parlait-elle de ce genre de projets quand elle disait, en 2023 lors des Assises de l’économie, souhaiter « créer un écosystème où les entreprises transforment leurs activités pour minimiser leur impact environnemental, où l’innovation est au cœur de chaque projet, et où la responsabilité sociétale est une valeur fondamentale » ?

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