« On bloque tout » à Montpellier : la force du nombre, l’étau du centre-ville

Le Poing Publié le 10 septembre 2025 à 18:46 (mis à jour le 10 septembre 2025 à 19:17)
Plus de 10 000 personnes ont manifesté à Montpellier le 10 septembre. (Photo de Mathieu Le Coz / Hans Lucas)

Les assemblées bondées annonçaient un mouvement puissant à Montpellier : plus de 10 000 manifestant·es ont déferlé dans les rues ce mercredi 10 septembre. L’accès à une autoroute, la faculté Paul-Valéry et des lycées ont été bloqués. Les grévistes sont au cœur de la lutte, et l’antifascisme est une évidence. Mais la contestation s’engouffre dans le piège répressif du centre-ville, et l’appel à « tout bloquer » reste à concrétiser

Dès l’aube, ce mercredi 10 septembre, de nombreuses personnes occupent divers points de blocage à Montpellier. 200 manifestant·es se sont réuni·es au rond-point de Près d’Arènes pour bloquer les voies vers l’autoroute. La police intervient vers 6 h 45 pour les déloger. Un journaliste est gazé à bout portant et la représentante de la Ligue des Droits de l’Homme, Sophie Mazas, se fait bousculer et intimider. Un barrage filtrant a aussi été installé au rond-point de l’hôtel du Département, là encore, évacué par la police, mais dans une atmosphère beaucoup plus calme.

Outre l’Université Paul-Valéry, habituée des blocages en périodes de mouvements sociaux, plusieurs lycées voient des poubelles s’entasser devant leur portail : Jean-Monnet, (que le proviseur a décidé de fermer), Clémenceau, Jules Guesdes… Marion, une lycéenne de Jules Guesdes, témoigne : « Je suis là parce que mes parents galèrent à payer le loyer et qu’on étudie dans des conditions déplorables. On est 40 par classe, on nous met une pression monstrueuse par rapport à Parcoursup en nous disant qu’on n’a pas le droit à l’erreur et que chaque note compte. Je ne compte plus le nombre de potes à moi qui sont en décrochage scolaire… tout le système éducatif est à changer, il faudrait qu’on ait un système comme en Allemagne ou les après-midi sont dédiées à des activités… »

Plusieurs secteurs en grève

7 h 30. Le piquet de grève des cheminots, devant le siège régional de la SNCF, sert de lieu de convergence pour tous les secteurs en grève : travail social, hôpital, éducation nationale… « Il faut essayer de construire une interpro », explique Max Miller, travailleur social syndiqué CGT. Julien, enseignant syndiqué chez Sud Éducation, précise : « Demain on se réunit en intersyndicale, Solidaires va essayer de faire le pont entre le mouvement populaire et le mouvement syndical. »

Pendant ce temps, un cortège sauvage se balade en centre-ville et réalise une action au Carrefour de Louis Blanc pour dénoncer la complicité de la multinationale avec l’État israélien. Les étudiants de Paul-Valéry partent en cortège depuis la fac et réalisent une halte devant le CROUS de Boutonnet pour protester contre les retards de paiement et les problèmes administratifs dans le versement des bourses.

A 11 heures, une foule, dont beaucoup de jeunes, s’amasse sur la Comédie. On y croise Yona, sage-femme dans un hôpital public parisien : « Je suis là aujourd’hui pour dénoncer la déliquescence de l’hôpital public. Dans l’établissement où je travaille, on est obligé de fermer le service de grossesses à haut risque car beaucoup de sages-femmes partent en arrêt maladie et qu’on n’a plus d’argent pour en embaucher d’autres. Résultat, les bébés sont hospitalisés à un endroit, et les mères dans un autre établissement. Il faut plus de moyens pour la santé. »

La manifestation (non déclarée) part finalement en direction de la gare. On compte au moins 10 000 personnes, sinon plus. La préfecture, elle, évoque 6 000 manifestants. Sur le trajet, on rencontre Cyprien, qui travaille en restauration, et, qui avec ses collègues, a développé une méthode de lutte originale : « J’ai longtemps été partisan du dialogue apaisé et du compromis mais j’ai fini par comprendre que ça ne marchait que dans un sens. Je travaille 6 jours sur 7 avec 5 coupures au SMIC pour un patron qui n’en a rien à foutre de nous et qui s’en met plein les poches, donc avec mes collègues, comme c’est compliqué pour nous de se mobiliser à cause des horaires et qu’il n’y a pas de syndicats, on s’organise pour lui faire perdre de l’argent : on fonctionne que sur réservations, qu’on bloque à 19 heures, et on offre une quantité absurde de bouffe aux clients. C’est notre manière à nous de résister à ce système injuste. » Malheureusement, nous lui avons promis de ne pas révéler l’adresse du restaurant…

L’étau répressif du centre-ville

Après un tour de centre-ville, l’ambiance se tend. Des cordons de CRS s’installent autour de la place de la Comédie. Projectiles et lacrymos d’un côté, des poubelles en feu de l’autre. La police utilise un canon à eau, et des face-à-face auront lieu une bonne partie de l’après-midi. Une poignée de militants d’extrême-droite du “Bloc montpelliérain” seront aperçus dans le cortège, et chassés. . Le journaliste Samuel Clauzier, s’est vu frapper par la police alors qu’il filmait les forces de l’ordre. Selon l’Observatoire des Libertés Montpelliérain, émanation de la Ligue des Droits de l’Homme,lusieurs manifestants ont été blessés dont au moins trois au visage, avec pour l’un traumatisme crânien nécessitant une prise en charge hospitalière. L’organisme dénonce “l’usage illégal du LBD40 par la Bac visant hauteur de visage à moins de 3 mètres”. La préfecture annonce 22 interpellation et quelques dégradations matérielles (un tag sur une banque, un radar endommagé sur l’A750…)

Ce mouvement est historique à bien des égards. Contrairement aux gilets jaunes, la mobilisation ne se tient pas le weekend mais au cœur de la semaine, ce qui pose immédiatement la question de la grève. C’est sans doute la raison pour laquelle les syndicats semblent enfin prêts à rentrer dans la danse. La question de l’extrême droite, elle, n’en a jamais vraiment été une : Marine Le Pen s’est désolidarisée du mouvement avant même son lancement, et les fascistes de rue sont totalement absents. Surtout, le mouvement survient en pleine crise politique, qui pourrait se transformer en crise de régime. Un atout comme une faiblesse : les vents forts propagent l’incendie autant qu’ils peuvent l’étouffer. Le mouvement peut habilement exploiter les turpitudes du sommet de l’État pour faire avancer ses positions, mais il pourrait tout aussi vite s’enliser dans des batailles électorales si des législatives anticipées étaient convoquées.Quant au slogan « tout bloquer », s’il a le mérite de la clarté, sa mise en pratique est loin d’être simple. Le réflexe des mouvements sociaux reste de tourner en rond dans des centres-villes où les policiers sont comme des poissons dans l’eau. Pour l’emporter, il faudra savoir emprunter les chemins de traverse et frapper là où ça fait mal en bloquant, vraiment, l’économie.

Rendez-vous est donné demain à 18 h 30 au Corum pour l’assemblée générale.

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