Charles Bukowski, Contes de la folie ordinaire
« L’AMOUR N’EXISTE PAS ! C’EST UN CONTE DE FÉES, COMME LE PÈRE NOËL ! » Qui d’autre que Bukowski, ce vieil alcoolo brisé par la vie pour nous conter ses histoires trash, sordides et délirantes, à lire un verre de scotch à la main pour lui rendre hommage.
Au beau milieu des années 70, Charles Bukowski, allemand immigré aux Etats-Unis, publie Contes de la folie ordinaire, des nouvelles sous-titrées Erections, ejaculations, exhibitions and general tales of ordinary madness et The most beautiful woman in town. Fervent amateur de whisky et de prostituées, il titube entre son poste de facteur qui lui permet de survivre et ses poèmes publiés dans les revues underground.
Ses contes peignent la vie ordinaire, la misère du quotidien et la violence des sentiments. Entre l’autobiographie et le fantasmagorique, Bukowski est l’anti-héros de sa propre existence. Il n’a honte de rien, il vomit ses tripes après avoir avalé des litres de scotch, transformant ses maux en mots.
« J’étais comme qui dirait malade de tristesse, comme quand on croit toucher le fond du gouffre. Je suis sûr que vous connaissez. Tout le monde connaît. Mais je me dis que je connais un peu trop, voilà. »
Battu par son père qui battait aussi sa mère, ayant grandi dans une Amérique pauvre qui ne lui laissa pas beaucoup de chance, le poète maudit se purge d’alcool et d’écriture. « Il y a dans la vie de chacun un moment où il faut choisir de fuir ou de résister. Je choisis de résister. » Charles Bukowski fréquente les gens, ceux qui font le trottoir, ceux qui tiennent des bars miteux et ceux qui ne décollent pas du comptoir. Ce sont ses personnages. Il y a Henry, Le petit ramoneur, celui qui s’est fait rétrécir par sa femme jusqu’à se retrouver dans son vagin se battant contre Capitaine Clito. Il y a Tania, La machine à baiser, une femme objet-sexuel dont le Bukowski imaginaire tombe amoureux. Et ce vieux professeur allemand Von B., le père de la machine à baiser.
« Il a fait les plans d’une femme mécanique qui te baise mieux que toutes les grandes putes de l’Histoire ! Tout ça sans Tampax, sans emmerdes, sans baratin ! – ça, c’est la femme que j’ai cherché toute ma vie. »
Mais il y a aussi Cass, « belle, intelligente et schizo ».
« Cass pleurait sans bruit, ses larmes gouttaient sur ma peau. Notre étreinte fut lente, obscure, merveilleuse. J’ai serré Cass contre moi et nous avons dormi. C’était meilleur encore, peut-être, que de faire l’amour. Filer ensemble dans le sommeil sans la secousse du désir. »
Bukowski est capable de tout. Insultes, sexisme purulent, amour aussi pur que de l’eau-de-vie. Et parfois, il parle même politique. Dans La politique est l’art d’enculer les mouches, il évoque le nucléaire qui a « répandu sa merde radioactive dans tous les coins ». Et donne un cours incisif de science politique. « La différence entre une démocratie et une dictature, c’est qu’en démocratie tu votes avant d’obéir aux ordres. Dans une dictature, tu ne perds pas ton temps à voter. »
Comme quoi, Bukowski n’était pas qu’un ivrogne obsédé sexuel, instable et chaotique, c’était aussi un grand poète romantique à sa façon, souffrant du vide qu’il tenta toute sa vie de combler par l’alcool, les femmes et les mots.
« Maintenant oubliez-moi, chers lecteurs, je retourne aux putes, aux bourrins et au scotch, pendant qu’il est encore temps. Si j’y risque autant ma peau, il me paraît moins grave de causer sa propre mort que celle des autres, qu’on nous sert enrobée de baratin sur la Liberté, la Démocratie et l’Humanité, et tout un tas de merde. »
Quarante ans après, Charles, tu es le seul de ta tombe à avoir trouvé les mots sur cette « salope et dégueulasse »* année 2015.
Virginie
*Extrait de la nouvelle Carnets d’un suicidé en puissance
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