Témoignage d’un ancien détenu de VLM : « la prison, c’est pas censé être une privation de dignité »
Le 28 février 2016, c’était jour de Carnaval à Montpellier. Les flics ont gâché la fête en gazant les gens dès 21h30 alors forcément, la joyeuse parade s’est transformée en émeute urbaine. Sylvain s’est fait choper par la BAC et emprisonner dans la foulée. Il nous raconte ce qu’il a vu lors de son séjour à la prison de Villeneuve-lès-Maguelone.
Le Poing : Comment tu t’es fais arrêter ?
Sylvain : J’me suis retrouvé un peu tout seul, éloigné du cortège, et à un moment donné j’entends gueuler : « chopez-le ! », « enculé on va t’niquer ! », et une bande de types habillés comme moi, sans brassards ni uniformes, commencent à me pourchasser. Au début j’me suis dit que ce sont des fachos alors comme j’étais tout seul, j’me suis barré en courant. J’arrive à en passer deux mais dans la rue d’après, j’me retrouve face à une ligne de CRS et quand ils voient les types me courser, les CRS commencent à me tabasser. Donc c’est là que j’comprends que les types qui me coursaient étaient des collègues des CRS. Et là, telle une horde de hyiènes qui voit un animal blessé pour l’achever, ils me tabassent tous. Ce n’était pas des coups pour maitriser une personne, parce que ça m’empêchait pas de bouger, mais c’était des coups pour faire mal, pour marquer. Ils m’ont même fait une clé au niveau du cou. Ensuite ils me serrent les menottes au maximum, s’ils auraient pu faire un cran de plus, ils l’auraient fait. Ils me jettent dans leur voiture, j’attends 5 ou 10 minutes, puis un policier de la BAC prend sa matraque télescopique et me met un grand coup sur l’arête du nez, juste pour le plaisir.
Ça se passe comment quand t’es au commissariat ?
Quand j’arrive au comico, j’vois les flics se trimballer avec le manche de pioche qui était dans leur voiture, déjà on se demande pourquoi les types se baladent avec ça, et ils commencent à me le tendre en me disant « avoue, tu te trimballais avec ça ! » J’vois le sale piège qu’ils veulent me tendre alors moi j’leur dis « y’a pas moyen je touche pas à la pioche, y’aura pas mes empreintes dessus, laissez tomber ». Ensuite, pendant mon audition, je fais usage de mon droit à garder le silence. Y’en a un qui a ouvert ma geôle et qui m’a dit : « tu veux fumer ? », j’lui réponds « oui », il me dit « tu vas parler ? », j’lui réponds « non », et il me dit « bonne nuit ! » J’avais un avocat commis d’office, mais elle comprenait rien à rien. Elle ne contredisait même pas les évidences les plus simples à démonter ! Le procureur a reconduit ma garde à vue, parce que soi-disant les flics faisaient des investigations par caméra vidéo pour prouver leur théorie à deux balles selon laquelle c’était moi le meneur de l’émeute. Mon avocate leur a quand même dit « et bien profitez-en pour produire les vidéos de l’interpellation, pour voir si les policiers qui l’ont interpellé portaient bel et bien les insignes distinctifs d’un policier ». Parce que t’as le droit de te barrer en courant quand tu penses être pourchassé par des civils qui te veulent du mal, et en l’occurrence, c’était vraiment le cas. Mais comme d’habitude les flics ont travaillé uniquement à charge, alors qu’ils sont aussi censés enquêter à décharge. Ils ont produit uniquement les vidéos qui les intéressaient.
La garde à vue se termine et on t’emmène jusqu’au tribunal…
Ouai, j’arrive dans les geôles du tribunal, et là j’passe devant le JLD, le juge des libertés et de la détention. C’est lui qui décide si j’vais en prison en attendant mon procès qui a lieu le lendemain. Je dis au JLD que je vis à Utopia 003 [bâtiment public réquisitionné par un collectif de précaires pour lutter contre le mal-logement, ndlr], je lui donne l’adresse précise, je lui dis que c’est là que je reçois mes courriers, que j’suis même passé sur France 3 pour parler du lieu. Mais pour le JLD, comme c’est un squat, ça ne vaut rien, ça n’existe pas, ça n’offre aucune « garantie de représentation ». Le JLD me dit aussi qu’on est en pleine période électorale, et que si les flics me chopent sur une autre manif d’ici quelques jours, elle ne saurait pas comment se justifier auprès d’eux. Bref, elle m’envoie en taule quoi.
Tu passes la nuit en taule et le lendemain, tu retournes au tribunal pour la comparution immédiate. Comment ça s’est passé ?
Effectivement, on me trimballe de la prison au tribunal, et on me met dans le bureau de l’assistance sociale. Ses questions me soule vite, j’vois pas pourquoi j’devrais parler de mes parents, mon enfance, ma vie… ça n’a rien à voir avec le dossier. Ensuite j’vois le procureur, qui m’a détruit tout de suite en me disant : « je demande trois ans contre vous ». Moi j’me dis « bon, j’suis hors-service pendant un bon moment là ». Arrivé devant le juge, je demande un délai comme la loi le prévoit pout les comparutions immédiates, parce que j’sentais bien que tout le monde était encore chaud à ce moment-là. Au final j’ai eu raison parce que j’ai appris par la suite que Saurel [le maire de Montpellier] et le préfet étaient très énervés pour cette histoire de carnaval… À la fin de l’audience, c’est retour à la case prison, en attendant le « vrai » procès, trois semaines plus tard.
Quelles sont tes premières impressions en arrivant à la prison de Villeneuve-lès-Maguelone, alias VLM pour les intimes ?
J’vois le chef du bâtiment, on m’explique vite fait comment ça se passe, puis on me traine à l’infirmerie où on me propose des radios, que je refuse d’emblée. J’suis pas malade, j’veux pas m’exposer à des rayons dangereux. J’comprends par la suite que s’ils me demandent de faire des radios, c’est pour voir si j’avais pas ingurgité des ovules de coke ou d’héro dans le bide. Déjà ça en dit long sur la soit-disant indépendance des médecins… J’refuse aussi de voir le psychiatre alors là le médecin commence carrément à me faire du chantage : « attention, tout refuser comme ça, ça peut être un motif de suppression de RPS [remise de peine supplémentaire], j’pourrais écrire un rapport ». J’lui dit que j’men fous et que j’fonctionne pas au chantage.
Ensuite je débarque aux quartiers arrivants, j’me retrouve tout seul pendant 3 jours dans ma cellule avec une seule promenade par jour. Puis on me transfère dans un autre bâtiment et là on se retrouve à 5 dans une cellule de 3 personnes. T’as ton matelas par terre, comme au camping, sauf qu’au camping, les chiottes sont loin du campement, mais là, t’as la gueule collée aux chiottes. Elles sont même pas fermées, c’est une sorte de toute petite porte de saloon qui les cache et du coup, quand t’es assis dessus, tout le monde voit tes couilles. Les douches c’est la même galère : quand y’en a un qui se douche, celui qui est à côté est mouillé aussi. La bouffe est dégueulasse, y’a même pas de sel. Le café, c’est un par jour, sauf le dimanche… Et puis comme ils trouvaient que les barreaux c’était pas suffisant, ils ont rajouté une grille à la « fenêtre ». Le seul truc que tu peux voir quand t’es au rez-de-chaussée, c’est des poubelles et des rats. Parfois les déchets crament, alors toi tu te retrouves avec toute la fumée dans la cellule, t’as l’impression que tu vas t’étouffer.
Ça se passe comment avec les prisonniers ?
Quand j’arrive dans la cour de promenade, les autres essayent de me jauger, voir qui j’suis, pourquoi j’suis là. Quand j’ai dis que j’étais là pour une manif où y’a eu de la baston avec les flics et que j’vivais dans un squat qui accueille des gens qui ne savent pas où dormir, les autres prisonniers trouvent ça cool. Ça s’est bien passé. J’suis pas un ours brun, j’parle bien, j’fais pas des affaires bidon, j’suis fiable, plus vieux que la moyenne avec mes presque 40 balais. Y’a des gamins, ils sont rentrés à 17 ans, on dirait des petits frangins. Y’en a un qu’a pris 4 mois pour tentative de vol de vélo. L’histoire la plus scandaleuse, c’est celle d’un monsieur d’origine algérienne, avec un fort accent blédard, t’as du mal à comprendre quand il parle. Un beau matin, y’a un accident de la route mortel qui se produit dans la rue où il habite. Des témoins de la scène disent qu’ils ont vu un véhicule fuir avec une personne de type européen à l’intérieur, donc ça correspond pas à un algérien. Les caméras n’ont pas capté la scène, mais y’a une image du véhicule de ce monsieur algérien dans une rue adjacente peu de temps après l’accident. Ça a été un motif suffisant pour que la police le place en garde à vue alors que le jour de cet accident, ce monsieur allait au travail en voiture, comme d’habitude. Sa voiture, qui n’est même pas accidentée, est gardée par la police. Y’a aucune preuve et pourtant, il est resté un mois en prison. Au final, y’a jamais eu de procès. Le témoin qui, dès le début, a dit aux policiers qu’il a vu un véhicule fuir avec une personne de type européen à l’intérieur est revenu au commissariat pour demander aux policiers pourquoi son témoignage n’a pas été pris en compte et pourquoi ce monsieur algérien est toujours en prison. C’est grâce à cette personne que ce monsieur a été libéré, mais à une semaine près, il passait aux assises et risquait de se faire condamner à des années et des années de prison… Son entreprise a coulé, sa femme s’est retrouvée seul avec les gamins, tous non majeurs. Ce monsieur n’a jamais volé ne serait-ce qu’une orange sur un marché, mais il a un fort accent blédart et n’arrive pas bien à s’exprimer. Donc pour les policiers, c’est forcément un coupable. En plus, on l’a jeté en prison soi-disant parce qu’il n’offrait pas de garantie suffisante de représentation alors que le mec a une femme, un travail, une maison, des enfants… Des histoires comme ça, y’en a beaucoup en prison.
Au niveau des téléphones et du shit, ça circule toujours autant ?
Les téléphones, y’en a plein. Le shit, y’en a partout, y’a de la coke, de l’héro. L’alcool, ça se fait un peu moins, faut mettre du sucre dans du jus du raisin, avec un peu de levure si t’as, mais ça peut te retourner le bide. Les colis pleuvent parfois quand t’es en promenade : des potes de prisonniers jettent toute sorte du matos par-dessus les murs de la prison pour les filer à leurs potes détenus. J’ai un codétenu qui s’est pris un colis sur la tête, il a eu 3 points de suture ! Y’en a même qui se font envoyer des pots de protéines, pour bien avoir les muscles gonflés. Côté bédo, les matons tolèrent tout. J’ai vu un type sortir avec un gros joint allumé dans le couloir, la surveillante lui fait une réflexion, le type lui répond « Oh désolé j’avais pas fait attention que je l’avais laissé allumé ». Si les matons ne disent rien, c’est parce qu’ils te mettent à 3 dans une cellule de 2, à 5 dans une cellule de 3, donc c’est une manière d’acheter la paix sociale. T’es moins revendicatif quand t’es complètement gazé par la fumette. D’ailleurs, dès la visite médicale, l’administration m’a proposé des antidépresseurs. Ils voulaient aussi que j’prenne des cachets roses pour dormir.
T’as eu un peu de contact avec l’extérieur ?
J’ai reçu le courrier très tard, ils me le donnaient plusieurs jours après qu’ils l’aient reçu. Ce qui fait qu’il pouvait se passer une semaine entre le moment où on m’envoyait le courrier et le moment où je le lisais. Alors quand je devais répondre à mon avocat en une semaine pour des affaires juridiques, ça me mettait dans la merde. Heureusement mon avocate a été réactive et a travaillée sur le dossier en avance, mais si tu tombes sur une avocate endormie, t’es mal. Mon avocate a reçue la notification comme quoi je la désignais avocate seulement la veille du procès ! Ça aurait bien arrangé tout le monde que j’aille au procès sans avocat. J’avais même pas de stylo pour répondre aux courriers, et quand tu demandes au maton de t’en donner un, la réponse c’est « vas te faire foutre ». Mes parloirs aussi ils ont aussi été bloqué. Y’a des parloirs actifs, c’est quand l’administration t’autorise à recevoir des parloirs, et y’a des parloirs inactifs, c’est-à-dire que t’as une interdiction de recevoir du monde, sauf parents. Moi j’étais en parloir inactif, l’administration pénitentiaire m’a dit que c’était le vœu du procureur et que ça a été confirmé par le juge pour cause de « période électorale ». Et le directeur de la prison a suivi l’avis du juge. Donc pas de parloir.
Trois semaines après ton incarcération, on t’emmène au tribunal pour le « vrai » procès, t’as vécu ça comment ?
C’était assez surréaliste. Les flics sont habitués à mentir, donc normalement ils font ça plutôt bien, t’es pas censé pouvoir démonter le dossier de l’accusation en 30 secondes de discours. Mais là, les flics sont revenus sur leurs versions, y’en a une qui a dit que je l’ai frappé puis finalement, elle a avoué s’être fait mal toute seule. Et comment justifier le fait que j’avais des marques corporelles bien visibles, et pas eux ? C’était tellement bidon que c’était risible. Y’a aucune vidéo où on m’identifie. Même en enquêtant à charge, ils n’ont pas à réussi à trouver des « preuves » qui justifieraient le fait que j’sois en prison. Au départ j’ai été interpellé pour violences aggravées et participation à un attroupement en vue de provoquer un trouble à l’ordre public et destruction, mais comme y’avait aucun élément qui correspondait à ces accusations, ils ont rajouté un nouveau chef d’inculpation en cours de route : la rébellion. C’est le seul motif pour lequel j’ai été condamné. Et c’est au nom de ça qu’on a justifié ma mise en détention.
Comment a réagie l’administration pénitentiaire quand des amis à toi ont tiré des feux d’artifice devant VLM en solidarité avec tous les prisonniers ?
J’étais au troisième étage au moment du feu d’artifice, c’était un régal. Tout le monde tapait avec ses plateaux, je vois la banderole « Feu aux prisons », je comprends que c’est pour moi. Même si c’est aussi pour tous les prisonniers évidemment. C’était l’euphorie totale, j’ai bien profité du spectacle. J’en profite pour dire un grand merci à tous ceux qui m’ont soutenu, qui m’ont filé du pognon, qui m’ont envoyé des lettres de soutien. Merci à l’assemblée générale contre l’état d’urgence aussi. Après le feu d’artifice, le directeur m’a dit « vous faites partie d’un noyau dur, on ne veut pas de débordement, vous n’aurez toujours pas de parloir ». L’administration, que ce soit en prison, à la police ou chez les juges, considère les militants comme des gens très dangereux, comme si on avait des cellules cachées un peu partout et qu’on était ultra organisé, qu’on se parle en code et qu’on réfléchit tout à l’avance. Ils ne peuvent pas imaginer que les gens agissent simplement sous le coup de la révolte.
T’as fais combien de cellules ?
En tout j’ai fais 4 cellules. La règle, c’est que dès que je commençais à bien m’entendre avec les gars de la cellule, on me déplaçait. J’ai fais quasiment tous les étages de mon bâtiment.
Y’a de la solidarité entre détenus à VLM ?
Malheureusement, pas assez. Y’en a beaucoup qui en arnaquent d’autres, avec une logique de petits commerçants. Y’en a peu qui partagent ce qu’ils ont sur le coeur. Les communautés sont assez fermés : y’a les gars de la Paillade, les gitans de Figuerolles, les catalans, les vieux, etc, ça se mélange pas trop. Y’a pas mal de rivalités.
Qu’est-ce que tu faisais de tes journées ?
J’ai beaucoup attendu. Je n’avais pas le droit à la bibliothèque et à l’atelier informatique parce que y’avait internet. Et j’ai refusé de travailler parce que j’bosse pas pour 3€ de l’heure, j’suis pas un chien. On parle de privation de liberté, mais c’est aussi une privation de dignité. 5 dans une cellule prévue pour 3, avec des gens qui dorment par terre devant la porte des chiottes, c’est dégradant. Et quand on m’a amené au tribunal, on m’a foutu à poil et on m’a demandé de montrer mon cul, à l’aller, et au retour alors que j’avais toujours 4 flics autour de moi, même pour aller pisser. C’est déshumanisant.
Un dernier mot sur la prison ?
Faut pas y aller.
Propos recueillis par Jules Panetier
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