Luttes en milieu rural : quand les services publics deviennent une zone à défendre
Depuis des mois, les luttes essaiment dans les territoires ruraux de l’Hérault et des Cévennes gardoises pour s’opposer à la fermeture des classes ou à la dégradation de santé. Petit tour d’horizon non-exhaustif de quelques combats.
Article initialement paru dans le journal papier numéro 42 du Poing, sur le thème “LGBT, services publics, vote RN : les campagnes montent au front”, publié en septembre 2024 et toujours disponible sur notre boutique en ligne
En septembre dernier, le collectif « Nos Services Publics » rendait un rapport qui analyse deux décennies de politiques publiques en les comparant à l’évolution des besoins sur la question des services publics. Arnaud Bontemps, porte-parole du collectif, dressait sur France info un bilan des ravages du capitalisme néo-lbéral : « Depuis quinze ans, on a une contrainte croissante sur les moyens, sur les dépenses des services publics, moins de fonctionnaires, moins d’impôts, qui crée un décalage croissant, un fossé. C’est dans cet écart que s’ouvre un espace pour le secteur privé. Et en retour, ce développement du secteur privé vient déstabiliser le service public. »
Selon l’Association des maires ruraux de France, la présence d’écoles primaires a diminué de 24% sur le territoire français entre 1980 et 2013. On observe une baisse de 36 % des bureaux de postes, de 28 % pour les gares, de 48 % pour les maternités et de 4 % pour les hôpitaux. Des dégâts qui se constatent dans les ruralités héraultaises et gardoises.
Des classes fusionnées sans fin
Dans le petit village de Cazilhac (1 566 habitant.es en 2021), dans le nord-est de l’Hérault, à proximité de Ganges, un collectif de parents d’élèves s’est monté en février dernier pour s’opposer à la fermeture d’une classe dans l’école du village. Le 27 avril dernier, ils étaient une quarantaine à être mobilisé.es devant l’école, pour faire circuler une pétition, qui a reçue près de 300 signatures.
Béatrice Gal, représentante des parents d’élèves, explique : « L’école va de la maternelle au CM2. Elle a été créée il y a quinze ans pour les enfants de Cazilhac et Laroque, le village voisin. Mais depuis 2018, les enfants de Laroque vont à l’école à Ganges pour favoriser la mixité sociale. Laroque est un village majoritairement pavillonnaire, alors que Ganges connaît des difficultés socio-économiques. »
Conséquences : les effectifs sont passés de 174 élèves en 2020 à 132 en 2023, et une première classe a fermé en 2022. Depuis, toutes les sections fonctionnent désormais en double niveau. (Par exemple, CP/CE1). « Le risque avec cette nouvelle fermeture, c’est des sections en triple niveaux ou des doubles niveaux avec des conditions de travail dégradées », alerte Béatrice Gal, alors que 117 élèves sont attendu.es à la rentrée 2024.
Une potentielle fusion des classes de maternelle vers une section à trois niveaux, avec 23 enfants dont cinq en situation de handicap, inquiète les parents : « Cela risque de provoquer de moins bonnes conditions d’apprentissage pour les enfants, qui n’auront pas toute l’attention qu’ils méritent. De plus, on manque de moyens pour les trois AESH [NDLR : accompagnant des élèves en situation de handicap] qui interviennent pour accompagner les enfants en situation de handicap. »
Le collectif de parents d’élèves a sollicité une rencontre avec les élu.es locaux pour demander un retour des élèves de Laroque dans celle de Cazilhac. Les élu.es ont refusé, au motif que si cela apparaît comme une solution efficace pour faire remonter les effectifs, elle ne garantit pas de bonnes conditions de travail et d’apprentissages. « L’Inspection Académique a placé l’école sous surveillance. Peut-être qu’une commission va avoir lieu fin août, on va voir », précise Béatrice Gal, qui ajoute que « sur les écoles privées du coin, dont celle de Laroque, on a jamais eu les chiffres sur la répartition des élèves. L’argument de la mixité sociale ne tient pas si tous les enfants de familles aisées vont dans le privé… »
L’école de Cazilhac n’est pas la seule en lutte dans le coin : à Margon, village de 800 habitant.es près de Pézenas, les parents d’élèves de l’école ont appris au mois de janvier qu’une classe allait être supprimée à la rentrée prochaine. Pendant une grosse semaine, ils se sont retrouvé.es à une quarantaine devant l’établissement pour protester, allant jusqu’à bloquer l’entrée. Sans succès. Même situation à Sauve, village de 2 000 habitant.es dans le Gard, où parents d’élèves et élu.es se sont mobilisé.es le 10 juin dernier. Ils ont parqué un troupeau de moutons devant les grilles de l’école primaire en guise de protestation.
Pas un sous pour les fous
Depuis la fin de l’été 2023, il n’y a plus de psychiatre au Centre Médico-Psychologique pour l’Enfant, l’Adolescent et la famille (CMPEA) du Vigan, sous-préfecture du Gard, peuplée d’environ 4 000 habitant.es, entraînant une fermeture dite « temporaire » des suivis psychiatriques.
Coralie Joly, secrétaire de l’Union Départementale CGT du Gard et membre de la coordination de santé de la CGT, explique : « Les consultations pour adolescent.es et le suivi paramédical continuent, mais CMPEA n’accueille plus de nouveaux patients. Le service psychiatrie d’Alès est déjà en souffrance et ne peut pas dépêcher quelqu’un au Vigan à cause de l’éloignement géographique. Actuellement, on estime que 500 enfants auraient besoin de ce service, pour des suivis du trouble du comportement ou des prescriptions pour une aide scolaire via la reconnaissance de handicap. Ils sont obligés d’aller à Saint-Hyppolite du Fort. Comme on est le coin le plus pauvre du département, c’est une galère sans nom pour les parents. »
Pour elle, la psychiatrie est le parent pauvre de la médecine : « la moyenne, en France, c’est 23 psychiatres pour 100 000 habitant.es. Selon l’Agence Régionale de Santé (ARS), on est à 18 dans le Gard. »
Face à ce constat, un collectif pour la réouverture complète du CMPEA s’est monté il y a quelques mois. Il regroupe la CGT, Solidaires et des parents d’élèves concerné.es par la fermeture du centre. Ils demandent à l’Agence Régionale de Santé (ARS) de transférer la compétence de la gestion de la psychiatrie à l’hôpital du Vigan pour ne plus dépendre d’Alès. Le 11 juin dernier, ils étaient une centaine devant le CMPEA pour protester. Selon l’ARS, un redécoupage de la cartographie du secteur psychiatrique dans le Gard serait à l’étude, et elle s’engagerait à maintenir l’activité du CMPEA. Une réunion avec la sous-préfète du Vigan est prévue au mois de juillet pour débloquer la situation.
Pas de blé pour les bébés
À Ganges, on ne parle pas d’un service public, mais de la clinique privée Saint-Louis, à Ganges, appartenant au groupe Cap Santé, qui hébergeait une maternité jusqu’en décembre 2022. Celle-ci a été « suspendue temporairement » selon son directeur, en raison d’une pénurie de médecins gynécologues et de la démission simultanée de quatre anesthésistes. « La maternité réalisait 300 accouchements par an », détaille Sandrine, secrétaire qualité vie sociale à la CGT de Ganges. « Il y a bien un centre périnatal de proximité (CPP) qui assure le suivi des femmes enceintes à la clinique, mais on ne peut plus y accoucher. Beaucoup de communes sont impactées dans un rayon de 50 à la ronde, les options qui restent c’est Montpellier, Nîmes ou Alès. Certaines femmes accouchent dans leur voiture ou sur le parking de l’hôpital à cause de ça » , déplore la syndicaliste.
Dans la foulée de la fermeture, un collectif pour le maintien de la maternité de Ganges, et s’est rallié à une coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité. Il a réalisé une dizaine de manifestations devant la clinique, devenue un point d’arrêt à quasiment chaque mobilisation dans la ville, notamment celle du 8 mars. Robert, membre du collectif, précise : « Outre les accouchements, c’est aussi les soins gynécologiques et les IVG [interruption volontaire de grossesse] qui ne sont plus pris en charge. Le sujet nous est tombé dessus sans prévenir, il y a eu peu de communication sur le sujet de la part des élus et de la direction de la clinique, alors qu’on parle d’une maternité labellisée avec une haute qualité de suivi. »
Une nouvelle clinique comprenant une maternité, financée par l’Agence Régionale de Santé à la hauteur de 11 millions d’euros, devrait voir le jour à Ganges en 2025. « Mais le chantier n’a pas commencé », souffle Robert, qui évoque « un contexte démobilisateur pour le collectif », suspendu, tel la maternité qu’il défend, au déroulé des travaux.
Malaise hospitalier dans la vallée de l’Hérault
Depuis plusieurs mois, une mobilisation couve au cœur de l’Hérault, autour de l’accès aux soins, pour le maintien d’un service d’urgences ouvert en permanence sur Lodève. Deux rassemblements d’ampleur ont eu lieu, le 22 avril et le 11 juin, accompagnés d’une grève du personnel soignant de la petite ville de 7500 âmes. Un collectif d’habitant.es et d’élu.es du lodévois, de la vallée de l’Hérault, des communes du Larzac, s’est également formé. Entre deux campagnes d’information, ce collectif a mis à disposition de la population une pétition, en ligne et dans les commerces de la région, laquelle a déjà récolté plusieurs milliers de signatures.
« Depuis 2009, le Centre d’Accueil et de Permanence des Soins (CAPS) est un service sans entité juridique reconnue. », explique Thierry Gervais, secrétaire de la CGT du Centre Hospitalier de Lodève. « Le budget nécessaire à son fonctionnement était versé par l’ARS à l’équilibre financier. Depuis quelques années, les médecins libéraux qui faisaient fonctionner ce service ont laissé la place à des médecins contractuel.les rémunéré.es par le Centre Hospitalier. Ce fut le début des problèmes. L’ARS continue depuis à financer le CAPS, mais n’inclut pas les rémunérations des médecins libéraux. Les médecins libéraux sont donc supporté.es par le budget du Centre Hospitalier, d’où un déficit de plusieurs centaines de milliers d’euros. Le CAPS est un service qui est indispensable pour nous tous, avec près de 10 000 passages par an. Il est plus que temps de pérenniser ce dispositif en antenne de médecine d’urgence. Si la transformation du CAPS en antenne de médecine d’urgence par l’ARS semble inéluctable, l’absence de clarté sur les modalités d’ouverture ne nous convient pas. Le silence toujours assourdissant de l’ARS nous fait craindre une ouverture partielle entre 12 et 24h par jour. Or, moins de 24h, c’est la catastrophe assurée. »
Les services d’urgence les plus proches sont à Béziers et Montpellier, soit à environ 45 minutes de voiture de Lodève. Alors qu’une nouvelle mobilisation est déjà prévue pour le 12 octobre, la lutte a déjà porté ses fruits. Michaël Delafosse, maire de Montpellier mais aussi président du comité de surveillance du CHU de la métropole, s’est engagé à un partenariat permettant des consultations ophtalmologiques et orthopédiques sur Lodève, en attendant que l’ARS se décide à dénouer le cordon de la bourse, pour aligner un budget permettant l’ouverture permanente de la future antenne de médecine d’urgence.
Au Centre Hospitalier de Clermont l’Hérault, tout proche, c’est aussi la lutte qui a permis l’amélioration du service public : sous la menace d’une grève le 14 mai portant également sur les conditions de travail des salarié.es de l’établissement, la direction a annoncé l’achat de nouveaux matériels de soins.
Élian Barascud et Julien Servent
Brève 1 : L’extrême-droite contre les services publics
Les syndicats rappellent que malgré son vernis social, le Rassemblement National (RN) est l’ennemi des services publics.
Pour la Fédération Syndicale Unitaire (FSU), « le principe de préférence nationale et les attaques visant à faire d’une partie de la population des boucs émissaires vont à l’encontre du principe d’universalité du service public, créent de la division, sapent la cohérence sociale et génèrent tensions et violences. »
Le syndicat Solidaires complète : « Le RN au pouvoir dans le domaine de la santé, c’est la suppression de l’Aide Médicale d’État (AME), des difficultés d’accès aux soins pour les plus précaires, la remise en cause de l’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG). Dans le domaine de l’éducation, c’est l’arrêt de l’accueil et de l’éducation pour toutes et tous, la fin des Réseaux d’Éducation Prioritaire (REP), un recul sur l’accueil des élèves trans, des programmes scolaires réactionnaires. Et dans l’enseignement supérieur, ce sont des attaques de l’indépendance de la recherche et la fin des financements en sciences humaines […] Le RN a toujours voté contre la revalorisation du salaire des fonctionnaires de 10%. Il a également toujours voté contre le développement des services publics : contre l’augmentation des moyens alloués aux hôpitaux, à l’Université, à la justice. »
De son côté, la Confédération Générale du Travail (CGT) dénonce le fait que « les créations d’emplois qu’il propose sont essentiellement concentrées sur les secteurs sécuritaires. Car le RN a une conception des missions publiques liée à sa vision de la société et non pas à l’intérêt général. De plus, comme il est dans le même temps pour une réduction des budgets de l’action publique, il est sûr qu’il procédera à de nombreuses suppressions d’emplois dans de nombreux secteurs de la fonction publique. »
Suppressions d’emplois, mais aussi privatisations : le parti d’extrême-droite a récemment annoncé sa volonté de privatiser l’audio-visuel public… Pour que son ami Vincent Bolloré puisse avoir de nouveaux médias en sa possession ?
Brève 2 : Une asso qui porte la voix des transports publics
“Nous sommes des citoyen.nes qui habitons « la périphérie » de la Métropole de Montpellier, du Cœur d’Hérault, du Gangeois ou du Grand Pic Saint Loup, du Sommiérois et de l’Est montpelliérain, de l’Agglomération de Mauguio ou encore de l’Ouest Montpelliérain qui subissons depuis trop longtemps des temps de déplacement et des embouteillages insupportables, des coûts en augmentation insoutenable, des pollutions en augmentation constante”, peut-on lire sur la pétition lancée par l’association Transportons-nous le 10 mai dernier, qui a déjà récolté plus de 300 signatures.
“Nous voulons une alternative mobilisant tous les modes de déplacement en s’adossant sur un maillage ferroviaire original et innovant, prolongeant les lignes de tram de la Métropole pour irriguer profondément des territoires périurbains et ruraux ! Nous appelons la Région Occitanie, la Métropole Montpellier Méditerranée et l’État à organiser une véritable concertation et à prendre en considération le droit à la mobilité de tous.tes les citoyen.nes quel que soit leur lieu de résidence”, écrit l’association.
Celle-ci travaille déjà à des propositions : ses membres ont discuté avec des cheminot.es à propos d’une ligne ferroviaire entre Montpellier et Lodève, sur laquelle 55 à 60 % du sillon ferroviaire pourrait être récupéré et amélioré.
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