A Montpellier, gilletjaunisation de la bataille contre la Loi Sécurité

Le Poing Publié le 21 novembre 2020 à 18:50 (mis à jour le 22 novembre 2020 à 13:16)

Enormément de monde s’est joint à la manifestation tolérée par la Préfecture. Et celle-ci n’a cessé de gagner en combattivité bouillonnante

Faudra-t-il remercier Gérald Darmanin ? C’était à se poser la question, vers 13 heures ce samedi sur la place des Martyrs de la Résistance (tiens, résistance…) à Montpellier. Là, sous les fenêtres du préfet de l’Hérault, la foule n’en pouvait plus de s’époumoner dans un interminable « On est là, on est là, même si Macron ne veut pas, nous… ». Cinq minutes, ou bien plus, comme une rengaine, une transe, une ivresse. Et alors… et alors, qu’est-de que ça fait du bien ! Ne pas y voir du folklore : la Loi qu’il s’agit de combattre est dictée par ceux qui ont la haine à l’idée qu’on soit là (et qu’imaginer de ce qui traînait sous les casques des forces de l’ordre autour du bâtiment, renvoyées à leur stress des deux années passées).

Largement plus de deux mille, peut-être trois mille ? Elles et ils étaient là, presque surpris d’eux-mêmes, bravant l’atmosphère de plomb, lentement et sûrement répandue par le confinement ; deux mille, peut-être trois mille, déjouant le piège du énième réflexe gouvernemental, de légiférer de façon minable, en catimini et en urgence, pour profiter des circonstances. On n’en revenait pas d’être là, quand pas plus tard que le lundi précédent, devant les mêmes grilles de cette autorité – toujours plus pâlissante, sur le fond – seul un carré des braves appelait au sursaut, sans même oser fixer un rendez-vous clair pour une manifestation de masse.

Vers 11 heures ce samedi, devant l’Hôtel de Police, on n’était encore sûr de rien. La situation s’était brouillée avec deux appels à manifester le même jour. A 14 heures, un cortège interdit entendait braver cette même loi sécuritaire et faire d’un pavé deux coups en marquant le deuxième anniversaire des Gilets jaunes. Il restait donc à craindre que le cortège autorisé du matin ne soit que celui des gauches de bonne volonté, respectables dans l’objectif partagé, mais poussives dans leurs rituels protestataires.

Là, un premier signe ne trompait pas : la présence des jeunes. Beaucoup de jeunes. On s’ébroue sur le boulevard de Strasbourg, tournant le dos au commissariat comme à un objectif manqué. On s’évalue un peu moins de mille. Pas si mal, mais bon… Reste à se réjouir des pancartes malicieuses (“La République en moonwalk – Seule la répression est en marche”), efficaces (“Violences partout – Images nulle part”), philosophiques (“Leurs mensonges, leurs folies dirigent nos vies – Stop !”), etc.

Parvenue à la gare, la manif a déjà beaucoup grossi. Doublé de volume. Et c’est la vue des premiers casques square Planchon, qui réveille les démangeaisons combattives des deux dernières années. D’abord seulement des petits groupes lancent que « tout le monde déteste la police », laquelle d’ailleurs « déteste tout le monde », qu’il faudrait en finir avec « l’État, les flics et les patrons », que « police partout, justice nulle part », etc. ACAB. Ne pas y voir du folklore, car ça crève les yeux : peut-on sérieusement combattre une aggravation des méthodes répressives, sans se poser la question du rôle fondamental des corps répressifs, voués par essence au maintien de l’ordre établi ?

Voilà que cette réflexion est vite assimilée par la sono de tête, avec la Ligue des Droits de l’homme au micro, dans sa façon héraultaise, qui n’a pas froid aux yeux. Ni au larynx. La foule ne se le fait pas dire deux fois, et baigne dans l’effervescente en débouchant sur la Comédie. Or là, les féministes de Nous Toutes sont déjà regroupées pour préparer la journée de dénonciation des violences faites aux femmes, mercredi prochain. Va-t-il falloir se disputer l’espace ?

Ce côté plein d’imprévu, rebondissant, ravive un peu plus le frisson des samedis pas si lointains. Au micro, on relève, d’un côté, « la précipitation pour faire passer une loi liberticide en urgence », tandis que de l’autre côté, les femmes doivent toujours se mobiliser pour combattre les lenteurs et l’inefficacité de ces mêmes autorités – avec un bilan de plus de cent décès depuis le début de l’année. Pour éviter de trop piétiner, la Loi de Sécurité fait l’objet de quelques premières prises de paroles.

Parmi lesquelles, on remarque que le Syndicat national des journalistes avalise l’idée qu’il faut défendre leur activité, « avec ou sans carte de presse » (ça n’est pas rien, car Darmanin essaie de jouer à fond la décrédibilisation des médias indépendants, et des réflexes corporatistes poussent certains journalistes à surprotéger leurs acquis statutaires). Et la syndicaliste assène qu’il est hors de question de « laisser le Ministre de l’Intérieur décider comment les journalistes doivent exercer leur métier ». D’autant que la première des qualités attendues dans ce registre est « l’exercice de la liberté », qu’il est donc hors de question de limiter.

Avec les sonos inaudibles à plus de vingt mètres, la foule patiente en se consacrant volontiers à l’art des retrouvailles fraternelles et sororelles. Même sans trop de gilets, il se répand un solide parfum en jaune, que les confinements avaient fini par dissiper, autant que les gaz, affreusement plus puissants. Batucada aidant, le moral est gonflé à bloc, au moment de prendre le tournant fatidique du haut de la rue de Loge, au bout des Halles Castellane, pour se retrouver, cette fois nettement plus de deux mille, face au cordon policier barrant l’accès à la place du Marché aux Fleurs. C’est un frisson ; non pas de trouille, mais réjoui de s’être refait la force, pour être à nouveau là.

Presque une heure de prises de paroles supplémentaires. Les organisations se sont mises d’accord sur une plateforme commune resserrée, où figure d’abord, et bien entendu, le retrait de la La loi de sécurité dans son intégralité, sans aucune forme d’aménagement ou de négociation. Essentielle est aussi la dénonciation des dispositions d’urgence – sanitaire, anti-terroriste – qui, dites exceptionnelles, s’incrustent dans le texte à tout jamais. On rappelle que face à toutes questions de sécurité, il n’y a qu’à en revenir à l’État de Droit (cela, même si l’oratrice, lucide, remarque qu’il y aurait à dire sur cette notion ; l’État de Droit n’est-il pas qu’un verrou de l’ordre établi?). Enfin, au tournant autoritariste du Pouvoir, s’oppose une société qui ne se veut rien d’autre qu’ « égalitaire et solidaire ».

Chaque organisation officiellement appelante pourra décliner la chose selon la spécificité de ses propres combats. On remarquera le représentant kurde disant sa solidarité « pour que les Français soient épargnés par une dérive à la Erdogan ». Moment d’émotion, quand la famille de Mohamed Gabsi vient demander justice pour ce Bitterrois, papa de trois enfants, mort en avril dernier, aux mains de la police municipale du maire proto-fasciste de Béziers, pour une simple entorse aux obligations de couvre-feu. Ça n’est pas rien, car la Loi Darmanin veut donner quantité de pouvoirs nouveaux, et d’armes en conséquence, aux polices municipales. Quant à un gilet jaune de Gignac, il demande que les Gilets jaunes massacrés l’an dernier par des armes de guerres soient appelés “blessés de guerre”, et les embastillés “prisonniers politiques”.

Gilets jaunes ? Une fois de plus par effet de sono peu audible, la foule se fait de plus en plus chantante de son côté, slogante, et ça en devient carrément festif, ici et là. Vraiment, on est là. On n’est plus qu’à une heure du rendez-vous de la Comédie. Sur l’œuf (comme les vieux Montpelliérains appellent cette place), le rassemblement sera tué dans l’œuf, laminé par un déploiement policier totalement disproportionné. Mais, rendez-vous pour rendez-vous, les organisateurs rappellent que la lutte ne fait que commencer. Ils annoncent une réunion ouverte à tous, individus compris, pour ce mardi soir. Il faudra en guetter les coordonnées, sur les réseaux.

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