À Montpellier, Toulouse et Marseille, des collectifs militants renouent avec l’enquête ouvrière

Le Poing Publié le 19 janvier 2018 à 12:40 (mis à jour le 28 février 2019 à 20:19)

Banderole du collectif “Working Class Hérault” lors de la manifestation à Montpellier du 12 septembre 2017 contre la loi travail XXL

« Journalistes, politiciens, universitaires, tous commentent et analysent notre rapport au travail. Pourtant, il semble logique que ce soient celles et ceux qui subissent l’exploitation qui soient les plus à même de la décrire, d’exprimer un quotidien fait de travail, de chômage, de galères, mais aussi de luttes. » Partir des récits subjectifs des travailleurs pour faire émerger une force collective, tel est l’objectif que se sont donné les collectifs Classe de Toulouse et de Marseille (Collectif de Liaison pour l’Autodéfense et la Solidarité de ClasSE) ainsi que le groupe Working Class Hérault, basé sur Montpellier. Depuis plusieurs semaines, les militants de ces collectifs renouent en effet avec une vieille tradition du mouvement révolutionnaire, née à la fin du XIXe siècle dans le sillage du marxisme et reprise dans les années 1960 par les maoïstes : l’enquête ouvrière.

Connaître l’ambiance des entreprises pour anticiper les luttes

Pendant le mouvement social contre la loi travail, des membres de l’assemblée des luttes de Toulouse se sont rendus compte que les difficultés qu’ils rencontraient pour développer le rapport de force étaient largement liées à l’inexistence de réseaux de luttes indépendants des syndicats officiels. Au moment où la CGT a décidé de s’investir contre la loi travail, les militants de l’assemblée ont en effet abandonné leurs activités et se sont retrouvés dans une posture de soutien aux actions des centrales syndicales, pourtant en déclin. C’est face à ce constat qu’a émergé l’idée d’établir une cartographie sociale pour comprendre la façon dont Toulouse et ses alentours fonctionnent économiquement et savoir quelle ambiance règne dans les entreprises. Cette volonté a largement contribué à l’émergence du collectif Classe de Toulouse, qui l’a matérialisé en rédigeant un questionnaire d’une trentaine de pages qui a ensuite été remis aux travailleurs pour qu’ils puissent le remplir chez eux.

Conditions de travail, durée du temps de travail, hiérarchie, salaire, risques, collègues, luttes : le questionnaire est général et n’oublie aucune des facettes de la vie d’un travailleur. Pour le moment, une soixantaine de personnes l’ont rempli, en particulier dans le domaine hospitalier. L’objectif est autant d’obtenir des informations que de provoquer des questionnements chez les personnes interrogées. Les militants du collectif Classe de Marseille, qui ont repris le questionnaire de leurs acolytes de Toulouse, ont notamment pu constater que certains travailleurs dans le domaine de la santé et du social, souvent accoutumés à l’idée de devoir se sacrifier pour les autres, se sont interrogés sur leurs conditions de travail en remplissant le questionnaire.

À Montpellier, les militants du collectif Working Class Hérault ont fait le choix d’un questionnaire court et adapté aux personnes visées, en assumant de privilégier la prise de contact à la qualité des informations reçues. Pour le moment, ils sont allés à la rencontre des livreurs à vélo directement sur leurs lieux de travail, c’est-à-dire dans la rue, à un endroit où ils se rassemblent en attendant de recevoir des commandes sur leurs smartphones. Ces rencontres leurs ont permis d’en savoir plus sur leurs techniques de débrouillardises individuelles, qu’on ne dévoilera pas ici par peur que l’info finisse entre de mauvaises mains. Les militants font d’ailleurs attention à protéger l’identité des personnes interrogées et interdisent aux « pisse-copies, politiciens, DRH et universitaires » d’exploiter leurs données.

En finir avec le tabou de l’ingérence

Il est encore trop tôt pour savoir si ces enquêtes ouvrières se développeront et si elles auront un impact sur les luttes, mais elles ont en tout cas le mérite de briser le tabou de l’ingérence, selon lequel un militant n’aurait pas le droit d’agir politiquement sur un lieu de travail qui lui est étranger. La posture de « l’enquêteur » est certes parfois dérangeante, et il convient de rassurer la personne interrogée qu’il ne s’agit pas d’une opération menée par un patron ou un institut de sondage, mais une fois la confiance établie, les liens tissés permettent vraiment d’en savoir plus sur les points de tension dans les entreprises, ce qui donne la possibilité d’établir une cartographie des luttes à venir. Lors d’un mouvement social, cette cartographie pourrait servir à une assemblée de lutte pour savoir où mener un blocage efficace. Cela permettrait ainsi de ne pas toujours se retrouver à tenter de bloquer les mêmes structures – les raffineries et les centrales nucléaires – qui sont certes des points stratégiques, mais dans lesquels les syndicats sont suffisamment développés pour qu’ils aient forcément besoin d’appuis extérieurs.

Au-delà de la question du blocage, l’autre enjeu de l’enquête ouvrière est de faire émerger des revendications communes pour inciter des travailleurs à créer des comités de lutte et à faire grève. Il est facile de faire tomber une barricade, mais on ne peut pas gazer un gréviste pour le forcer à travailler, et le remplacer coûte cher. À l’heure où les politiques anti-sociales de Macron s’imposent sans presque aucune résistance, ces ambitions peuvent paraître démesurées. Faisons-en sorte qu’elles deviennent une réalité.

Article issu d’une discussion autour de la pratique de l’enquête ouvrière et de la cartographie sociale qui a eu lieu le 12 janvier 2018 au centre Ascaso Durruti à Montpellier en présence de militants du collectif Classe de Toulouse, du collectif Classe de Marseille et du collectif Working Class Hérault, basé à Montpellier.

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