A Montpellier, un cas grave de pression anti Trans

Le Poing Publié le 4 février 2021 à 17:22

A la demande de sa famille, le Conseil de l’Ordre des médecins sanctionne deux praticiens jugés trop indépendants dans leur mode d’accompagnement d’une personne en transition de genre.

Le 18 janvier 2021, la chambre disciplinaire du Conseil régional d’Occitanie de l’Ordre des médecins a rendu publique une décision rare, qui a provoqué la stupeur et la mobilisation des associations Fierté Montpellier Pride et Angel. Ces deux entités oeuvrent en faveur des droits dans le domaine LGBTQI+. La première est notamment connue comme entité fédératrice pour l’organisation de la Pride annuelle dans les rues de Montpellier. De son côté Angel est plus particulièrement une association de jeunesse LGBT+.

Aux termes de la décision mentionnée, deux médecins montpelliérains se trouvent sanctionnés. L’un, psychiatre, est suspendu d’exercice pour une durée d’un mois. L’autre, endocrinologue, pour une durée de trois mois. Les deux étaient intervenus professionnellement auprès d’une jeune personne – majeure, toutefois – engagée dans un processus de transition de genre. On protègera l’identité, masculine, de celle-ci, en la désignant sous l’initiale N.

L’implication du Conseil de l’Ordre découle de démarches, connaissant aussi un volet judiciaire, engagées par les parents de N., à l’encontre de personnes l’ayant aidé dans sa transition – cela  quoiqu’il fût majeur au moment où il a bénéficié de l’accompagnement médical incriminé. Il est à noter que les deux associations précédemment mentionnées, et tout particulièrement Angel,  connaissent clairement le parcours de N., qu’elles ont reçu au titre de leurs activités d’accueil et d’entraide pour des personnes concernées par une transition de genre.

Dans un communiqué commun, Fierté Montpellier Pride et Angel débordent du seul cas de N. « Cette action disciplinaire [à l’encontre des deux médecins ayant accompagné N, NDLR] est DANGEREUSE » écrivent les deux associations en mettant en majuscules ce dernier mot, car « elle ouvre la voie à de nouvelles plaintes de la part de parents refusant la transition de leurs enfants, elle fait peser un risque sur tous les médecins ne suivant pas le protocole désuet et transphobe » aujourd’hui en vigueur pour ce qui concerne les transitions de genre.

Le protocole en cause est celui dit de la SoFECT. Il a été élaboré dans les années 80 par des équipes médicales universitaires, puis validé par une circulaire administrative. Or, dans un rapport de 2009, la Haute Autorité de Santé elle-même relevait qu’une circulaire est un document d’ordre administratif, et non juridique, de sorte que « ce protocole ne repose sur aucune base légale ». Mais foin de chicaneries administratives : « La question est que ce protocole est de plus en plus rejeté par les premiers concernés, qui veulent le voir disparaître » souligne Olivier Vaillé, président de Fierté Montpellier Pride.

Pourquoi réclamer cette disparition ? « Parce que les personnes en transition se voient soumises à psychiatrisation, avec notamment l’exigence d’un suivi de deux années sous ce régime, avant même tout accès aux traitements médicamenteux intéressant leur transformation physique ». Autrement dit, la transition n’est pas abordée, dans les faits, comme manifestation d’un libre choix. Elle est renvoyée à une suspicion de pathologie, au moment même où l’Organisation mondiale de la santé (OMS) s’apprête à retirer la transidentité de la classification internationale des maladies.

Au côté du président associatif Olivier Vaillé, le jeune Alec peut témoigner, sur la base de sa propre expérience de transition : « Ce protocole SoFECT impose un parcours pré-tracé, rigide, qui ignore que chaque personne est spécifique dans son désir de transition, lui aussi chaque fois spécifique. On impose des suivis très lourds, des traitements préliminaires inutiles, voire préjudiciables. Derrière ce qui se présente au nom d’une vérité scientifique neutre, on voit en fait la reconduction d’une conception très idéologique, basée sur le modèle binaire d’hommes parfaits d’un côté et de femmes parfaites de l’autre ».

La diffusion des études de genre dans la société, l’accès facilité aux informations et aux soutiens grâce à Internet, font craquer ce cadre de toute part. « Et de fait, nombre de médecins s’affranchissent des recommandations de ce protocole. Certains par conviction, n’en acceptent pas les attendus. Mais bien d’autres, simplement, se basent sur leurs connaissances, leur expérience, pour imaginer l’accompagnement le plus approprié, en confiance avec la personne qui leur fait appel ».

De fait, le psychiatre qu’a consulté N. est plus proche de sa fin de carrière que de ses débuts. Il est réputé pour son expertise, de longue date, dans l’accompagnement de personnes aux parcours transidentaires. En toute conscience professionnelle, il a considéré que les trois consultations consacrées à N. pendant sur une durée de deux mois répondaient valablement aux attentes et besoins de celui-ci, dont l’affirmation masculine ne laissait aucun doute ni ne soulevait problème.

Au regard de quoi, les militants s’étranglent lorsqu’ils constatent que dans les documents relatifs à cette affaire, la Chambre disciplinaire s’obstine à recourir au prénom d’origine de N., alors même que les services  de l’Etat-civil ont dument enregistré sa nouvelle identité depuis novembre 2018 ! « C’est honteux » s’exclame leur communiqué, à propos de ce mégenrage (c’est-à-dire une désignation de genre délibérément erronée), qui en dit beaucoup sur une visée au fond discriminatoire.

Il n’est d’ailleurs pas inutile de rappeler en quoi consiste le Conseil de l’Ordre des médecins. Il ne manque pas de praticiens ou usagers de la santé pour en contester l’existence. L’argumentation est d’abord historique, le principe des ordres professionnels ayant été imposé par le Régime de Vichy, selon ce versant spécifique des idéologies fascistes, qui prône une mise en ordre sociale sur la base des vieilles corporations professionnelles pré-modernes. Ce premier Conseil de l’Ordre se vautra dans la collaboration avec l’occupant, notamment sous l’angle antisémite.

Puis le nouveau Conseil de l’Ordre, à partir de la Libération, continua d’être critiqué, quant à son pouvoir réglementaire indépendant de l’exercice juridique général. A son accession au pouvoir en 1981, François Mitterrand promettait – sans suites – la suppression de pareille « offense à la démocratie ». On estime souvent que cette instance se conforme au profil souvent conservateur de la profession qu’elle encadre, en ignorant les évolutions non conventionnelles dans les pratiques médicales, voire en défiant les évolutions sociétales, en s’arcboutant sur une réglementation déontologique corporative. Cela s’est tristement illustré au moment des grandes luttes sur l’IVG. Et pas que.

On peut analyser dans ces mêmes termes l’attitude aujourd’hui adoptée en matière transidentaire. Il est probable que les médecins sanctionnés à Montpellier fassent appel de la décision les frappant. Ils disposaient d’un mois pour ce faire (à partir de la décision connue le 18 janvier). Quant aux associations militantes, elles ont lancé une pétition. Elles demandent que le ministre de la santé s’oppose à la décision incriminée, quand celle-ci lui parviendra, et qu’il aura alors le moyen juridique d’interférer.

Fondamentalement, « nous demandons l’abandon du protocole SoFECT, et la mise en place d’un nouveau dispositif, qui soit strictement dé-psychatrisé, et qui mette au centre l’autonomie de la personne dans le choix du type d’accompagnement médical lui convenant le mieux ». Clairement, « la transidentité n’est pas une maladie ».  

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