Acte 70 des gilets jaunes à Paris : 1000 à 2000 personnes manifestent tant bien que mal dans une nasse mobile

Le Poing Publié le 15 mars 2020 à 20:53
L'acte 70 des gilets jaunes nassé et gazé boulevard Arago à Paris, le 14 mars 2020

Un an après le spectaculaire « Ultimatum » lancé par les gilets au gouvernement le 16 mars 2019 sur les Champs-Elysées, beaucoup espéraient que l’appel national à venir manifester sur Paris connaîtrait un aussi franc succès. Mais force est de constater que le pari n’est pas tenu. Entre une présence policière massive, des restrictions bien plus étendues que l’an dernier et la propagation du coronavirus qui a dissuadé beaucoup de protestataires et fait annuler tous les autres défilés, le bilan reste mitigé. Malgré une belle preuve de persévérance de la part de ces gilets prêts à sortir dans la rue coûte que coûte.

Un appel perturbé par le coronavirus

Pandémie oblige, les projets du mouvement social pour ce week-end du 14 mars, annoncé depuis des semaines comme un grand moment de convergence des luttes, ont été drastiquement revus à la baisse. Vendredi Edouard Philippe annonce que le seuil d’interdiction pour les rassemblements passe de 1000 à 100 personnes, et demande aux organisateurs de reporter le plus possible leurs défilés. Dans la foulée, les marches pour le climat et contre les violences policières sont annulées. 

Côté gilets jaunes, la situation est plus complexe : les appels à manifester sont maintenus, mais de nombreux gilets décident de ne pas y aller à cause du virus, et l’expriment sur les réseaux sociaux. A contrario, d’autres font le choix de ne pas sacrifier les libertés publiques et la lutte sociale aux mesures de précaution. Les deux prises de position étant à nos yeux également justifiées, avec pour chacune de bonnes raisons interprétables dans le sens du bien commun. D’autres soutiens de ces mobilisations se rétracteront, comme la coordination de lutte de la RATP qui avait beaucoup relayé l’appel pour le 14 mars. Il est clair que la communication confuse du gouvernement autour de la gravité de l’épidémie a beaucoup joué dans cette confusion organisationnelle. 

L’échec des Champs-Elysées

Deux appels à rassemblement étaient donc maintenus : un visant à reprendre les Champs-Elysées, et une manifestation initialement autorisée et déclarée en préfecture entre Montmartre et Bercy, dans le sud parisien.

Dès 8h du matin, les premiers gilets se rendent aux alentours des Champs. Certains attendent un pré-rendez-vous diffusé à 9h sur les réseaux sociaux, d’autres passent déjà les check-point réglementant l’accès à l’avenue. C’est qu’un arrêté préfectoral interdit tout rassemblement aux alentours des Champs, de la gare Saint-Lazare, des Halles et des grands magasins de la ville. Un manifestant nous dira plus tard dans la journée y avoir été contrôlé cinq fois en une heure dans la mâtinée, avec son groupe de cinq amis ! La préfecture se vantera en soirée d’avoir verbalisé 76 personnes sur ces périmètres.

Les stations Concorde, Champs-Élysées-Clemenceau, Franklin Roosevelt, George V, Charles-de-Gaulle-Étoile, Argentine et Porte Maillot sont fermées dès le début de journée pour rendre le rassemblement des manifestants plus complexe. Suivies des stations Opéra, Madeleine, Auber et Miromesnil vers 10h ! Un point de départ tourne sur les réseaux vers 9h : direction le métro Porte de Champeret. Avant même qu’un groupe s’y agglomère, une dizaine de camions de gendarmes mobiles et CRS est sur les lieux. Avec une escouade entière des motards de la redoutée et détestée Brigade de Répression de l’Action Violente (BRAV), particulièrement épinglée par l’enquête de Médiapart sur les ordres illégaux en matière de maintien de l’ordre et les violences policières. Même accueil à chacune des autres solutions de repli proposées aux gilets jaunes. Les Champs ne seront pas investis cette semaine…

Nasse mobile et matraquage à tout va

En parallèle, d’autres manifestants affluent dès 8h30 à Montparnasse pour la manif déclarée. Ils seront petit à petit rejoints par les groupes n’ayant pas réussis à manifester sur les Champs. Là encore, les contrôles sont fréquents, notamment par des unités de police à vélo. Il faut parfois ruser et se fondre dans la masse des passants allant et venant dans la gare Montparnasse pour y échapper. 

Le cortège se met en route sur les coups de 11h, en direction de la place Denfert-Rochereau. Il s’agit, comme cela semble devenir la norme à Paris, d’un cortège “encagé” : c’est à dire une manifestation intégralement encadrée de gendarmes mobiles positionnés en très grand nombre au contact direct des manifestants – une technique qui a été rodée, comme bien souvent dans le maintien de l’ordre, sur les supporters de football. D’autres cordons, en avant et en aval du défilé, empêchent d’autres personnes de venir grossir les rangs de cet acte 70. Alors que les gaz fusent régulièrement dans la nasse, le cortège s’engage sur le boulevard d’Arago, et l’ambiance s’échauffe. Aux charges des gilets sur les forces de l’ordre pour tenter de sortir du traquenard répondront les incursions de la BRAV, violentes, rapides et imprévisibles. Matraquage aléatoire, nombreuses interpellations : un petit jeu qui se répétera toute l’après-midi !

Une présence policière une fois de plus ahurissante !
Les unités anti-émeute encadrent l’acte 70 de très près !

Comme souvent en ces occasions, les moments de tension laissent souvent place à des scènes absurdes qui sembleraient tout droit sorties d’un film comique. La proximité avec les gendarmes qui ferment la nasse fera rivaliser les gilets jaunes emprisonnés de créativité – on ne pourrait compter, par exemple, les éternuements surjoués envoyés dans leur direction. Mais le plus insolite restera sans doute ce moment où plusieurs manifestantes qui faisaient la queue devant des WC publics se sont vu griller la priorité par 3 gendarmes, qui sont allés dans les WC ensemble, apparemment pour ne pas perdre de temps à cause de la session de nettoyage de l’appareil. Tandis que la porte se refermait, l’un des trois se mettait déjà en position pour effectuer sa besogne, sous les yeux effarés des manifestantes, auxquelles il a simplement lancé, sexe en main : « Ben quoi ? C’est la nature ! ».

ACTE 70 DES GILETS JAUNES : MALGRÉ LES PROPRIÉTÉS IMMUNO-DÉPRESSIVES DU GAZ CS, LA POLICE UTILISE MASSIVEMENT LES LACRYMOGÈNES DANS LES RUES DE PARIS

ACTE 70 DES GILETS JAUNES : MALGRÉ LES PROPRIÉTÉS IMMUNO-DÉPRESSIVES DU GAZ CS, LA POLICE UTILISE MASSIVEMENT LES LACRYMOGÈNES DANS LES RUES DE PARIS !Environ 2000 personnes ont ce samedi 14 mars fait le déplacement jusqu'à Paris pour l'Acte 70 des gilets jaunes. Sous prétexte d'interdiction des rassemblements de plus de 100 personnes par mesure de précaution face au Coronavirus, un nombre incroyable de policiers ont pris le cortège principal dans une nasse mobile toute la journée. Même si la préfecture avait recomandé l'usage de pistolets à impulsion électrique, les gaz lacrymogènes ont été abondamment utilisés dans les rues de Paris. Alors même qu'ils sont connus pour leurs propiétés immuno-dépressives, rendant les personnes exposées plus fragiles face à l'infection ! A quel point les pouvoirs publics et la police se soucient-ils de la santé de la population ?

Publiée par Montpellier Poing Info sur Dimanche 15 mars 2020

ACTE 70 DES GILETS JAUNES : MALGRÉ LES PROPRIÉTÉS IMMUNO-DÉPRESSIVES DU GAZ CS, LA POLICE UTILISE MASSIVEMENT LES LACRYMOGÈNES DANS LES RUES DE PARIS !
Environ 2000 personnes ont ce samedi 14 mars fait le déplacement jusqu’à Paris pour l’Acte 70 des gilets jaunes. Sous prétexte d’interdiction des rassemblements de plus de 100 personnes par mesure de précaution face au Coronavirus, un nombre incroyable de policiers ont pris le cortège principal dans une nasse mobile toute la journée. Même si la préfecture avait recommandé l’usage de pistolets à impulsion électrique, les gaz lacrymogènes ont été abondamment utilisés dans les rues de Paris. Alors même qu’ils sont connus pour leurs propiétés immuno-dépressives, rendant les personnes exposées plus fragiles face à l’infection !
A quel point les pouvoirs publics et la police se soucient-ils de la santé de la population ?

 Arrivés près de la station de bus des Gobelins, une longue pause est imposée par le dispositif policier, le temps pour d’autres effectifs de nettoyer les rues suivantes de tout ce qui pourrait y servir de projectile ou de moyen de défense. Chacune de ces pauses imposées fait monter la tension et accroît le risque d’affrontements – une stratégie délétère dénoncée par l’article de Médiapart déjà cité. On apprend qu’une manif sauvage partie des Halles vient d’être violemment dispersée. A plusieurs reprises, les esprits s’échauffent encore. Une grenade explosive lancée en cloche sur la foule par la BRAV blesse un homme au crâne. Evacué à l’hôpital de la Piété-Salpêtre, il en sortira avec une dizaine de points de sutures ! 

Des affrontements de plus en plus tendus

Un virage vers les rues Jeanne d’Arc et Jenner, où deux voitures partiront en fumée : la BRAV hésite à intervenir devant la colère des manifestants, mais finit par foncer dans le tas. En parallèle, d’autres membres de cette unité traquent un groupe de manifestants qui a réussi la grande évasion et tente sa chance hors de l’imposant dispositif, dans l’espoir d’y trouver une herbe un peu plus verte, ou moins bleue. Une dizaine d’arrestations, des volées de coups de matraques avec des blessures derrière les cordons de la gendarmerie, mènent à un pugilat d’une grande confusion. Manifestants et policiers s’empoignent au corps à corps, dans la nasse aussi. Au milieu des gaz, un homme est renversé de son fauteuil roulant, les coups pleuvent, certains gendarmes matraquent à tout va, d’autres protègent les manifestants des excès de la BRAV, donnant lieu à de surréalistes scènes de combat entre policiers. Comme en témoigne ce gilet : « Pressés, compressés, bousculés. Les voltigeurs sont passés à 50cm de moi et le mouvement de foule m’a embarqué. J’ai juste vu le casque d’un gendarme derrière moi et une matraque qui s’abattait sur son bras et puis après je me suis retrouvé en sécurité derrière eux. Et les voltigeurs s’acharnaient sur des personnes au sol. »

Voitures enflammées rue Jeanne d’Arc

De fait les gendarmes avaient pour rôle de nasser les manifestants et de les mettre à la merci totale des voltigeurs. Mais certains, sans non plus désobéir franchement, paraissaient excédés des pratiques de cette nouvelle unité de police. Rappelons que si les gendarmes mobiles sont investis d’une authentique mission de répression du mouvement social, ils paraissent souvent l’accomplir d’une manière plus sobre que les autres corps de police. En témoignent les statistiques sur le nombre de cartouches de LBD40 tirées par les différentes unités. Ou encore l’exemple de cet escadron qui, en pleine manifestation des pompiers en octobre 2019, décide de mettre fin à une nasse jugée dangereuse mais ordonnée par le préfet Lallement. De plus, d’un point de vue strictement pratique, la stratégie visant à régulièrement bloquer les manifestants et les mettre à la merci des BRAV avait souvent pour corollaire de faire des gendarmes qui les encadraient des cibles de la frustration et de la colère populaire, ce qui peut expliquer leur dépit plusieurs fois affiché vis à vis des ordres de la préfecture. Certains ne se seront pour autant pas privés d’utiliser leur gazeuse manuelle pour repousser des groupes de gilets jaunes effrayés qui tentaient d’échapper aux inévitables mouvements de foule causés par les incursions sauvages de la BRAV au-milieu du cortège, dans des rues étroites.

On tourne vers le métro Chevaleret, et les accrochages violents se multiplient, donnant lieu à des charges régulières, au son des grenades explosives. Un homme fait un malaise cardiaque, une femme âgée se retrouve en sang sous les escaliers du métro après un passage à tabac, un policier de la BRAV envoie une série de coups de poing au visage d’un manifestant avant d’en prendre un en pleine face qui le fera basculer vers l’arrière. Quelques instants plus tard, deux flics de la BRAV qui escortaient un manifestant interpellé chutent lourdement sur le sol avec le gilet jaune qui va s’écraser de tout son poids sur le bitume, au-milieu des gaz opaques et de la panique générale qui, là encore, suscite de dangereux mouvements de foule. Si bien que la police finit par annoncer la fin de la manifestation, avant son arrivée prévue à Bercy. Les participants sont invités à sortir au compte goutte de la nasse, avec fouilles systématiques au passage. Ceux-ci se regroupent ensuite, juste à temps pour huer les BRAV qui partent en meute sur leurs motos rugissantes. Certains en profiteront pour aller au contact et tenter de faire choir des policiers de leur engin.

Les bleus nettoient la ville

Sortis du traquenard, et alors que la nuit tombe, les groupes de gilets se retrouvent à descendre le boulevard de l’Hôpital, allumant des feux sur la chaussée. Avant de remonter fissa : le comité d’accueil policier remonte dans l’autre sens, en tirant au LBD !

A partir de ce moment, un nombre incroyable de fonctionnaires de police ratisse les lieux susceptibles d’accueillir les gilets pour une nocturne, et les évacuent à grand renfort de gaz, comme sur la Place d’Italie. Certains manifestants seront poursuivis dans une station de métro, d’autres seront violemment contrôlés après avoir été extraits d’un bar où ils étaient allés se poser après la manifestation.

‘Les gendarmes mobiles chassent les derniers gilets jaunes de la Place d’Italie

Au total, on décompte pour cet acte 70 une quinzaine de blessés, 1160 contrôles préventifs et 79 interpellations !

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